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1420. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

mais Eugénie surtout l’a séduit, l’a enlevé, pauvre savant solitaire, comme ces nobles figures idéales, ces apparitions de vierges et de saintes qui se révélaient dans une vision manifeste à leurs fervents serviteurs ; il l’a aimée, il l’a adorée, il a poursuivi avec une passion obstinée et persévérante les moindres vestiges, les moindres reliques qu’elle avait laissées d’elle : il les a arrachées aux jaloux, aux indifférents, aux timides ; il a copié et recopié de sa main religieusement, comme si c’étaient d’antiques manuscrits, ces pages rapides, décousues, envolées au hasard, parfois illisibles, et qui n’étaient pas faites pour l’impression, il les a rendues nettes et claires pour tous : le jour l’a souvent surpris près de sa lampe, appliqué qu’il était à cette tâche de dévouement et de tendresse pour une personne qu’il n’a jamais vue ; et si l’on oublie aujourd’hui son nom, si quand on couronne publiquement sa sainte44, il n’est pas même remercié ni mentionné, il ne s’en étonne pas, il ne s’en plaint pas, car il est de ceux qui croient à l’invisible, et il sait que les meilleurs de cet âge de foi dont il a pénétré les grandeurs mystiques et les ravissements n’ont pas légué leur nom et ont enterré leur peine : heureux d’espérer habiter un jour dans la gloire immense et d’être un des innombrables yeux de cet aigle mystique dont Dante a parlé ! […] C’est bonheur vraiment que de prier dans ces grandes maisons de Dieu, où il semble que la dévotion s’agrandit. » Elle a hérité je ne sais quoi du Moyen-Age et de ses saintes avec leur passion pour la prière, pour la bienheureuse solitude, pour la fuite du monde et la vie cachée.

1421. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

Sir Henry Bulwer a discuté cet acte capital de l’évêque d’Autun avec bien de l’impartialité, et, après l’avoir exposé dans tous les sens, il ajoute : « Mais il arriva alors, comme cela se voit souvent quand la passion et la prudence s’unissent pour quelque grande entreprise, que la partie du plan qui était l’œuvre de la passion fut réalisée complètement et d’un seul coup, tandis que celle qui s’inspirait de la prudence fut transformée et gâtée dans l’exécution. » Cette motion et l’importance qu’elle conférait à son auteur auraient très probablement porté l’évêque d’Autun à un poste dans le ministère, si les plans de Mirabeau avaient prévalu.

1422. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

De son siècle, de l’esprit rationaliste et scientifique qui prévalait alors, il tient son goût de vérité exacte, son observation précise et serrée, sa curieuse recherche et sa sûre connaissance de la vie morale et des passions humaines. […] On désigne cette poésie du nom de poésie légère, ne pouvant l’appeler lyrique ; il y manque en général la passion, l’émotion, la profondeur ; et il y manque l’art.

1423. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

« Les passions de l’âme et les affections du cœur, disait Hegel, ne sont matière de pensée poétique que dans ce qu’elles ont de général, de solide, et d’éternel. » Aussi le grand, le puissant lyrisme n’est-il pas celui par où le poète se distingue de tout le monde, mais celui qui en fait le représentant de l’humanité. […] Les enfants élevés entre 1804 et 1814, n’ayant pas senti les misères et n’ayant éprouvé que la fascination des victoires impériales, gardèrent sous la paix des Bourbons des exaltations, qui cherchèrent à se satisfaire par les passions lyriques et les aventures romanesques des livres718.

1424. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIV. La commedia dell’arte au temps de Molière (à partir de 1662) » pp. 265-292

Scaramouche, à cette vue, frémit d’horreur en songeant à la faiblesse des hommes qui se laissent conduire dans un précipice par leurs passions effrénées. […] Scaramouche prend la fuite ; il reparaît ensuite couvert d’une peau d’ours et moralise en disant que qui veut vaincre ses passions doit fuir l’occasion, conclusion édifiante sans doute d’une scène qui l’est fort peu53.

1425. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

Angèle de Foligno avait assisté en vision à la passion de Jésus-Christ. « Tout ce qu’on dit de cette passion, disait-elle, tout ce qu’on raconte n’est rien auprès de ce qu’a vu mon âme. » C’est là encore qu’Ernest Hello s’essaye à mettre de l’ordre dans les divagations apocalyptiques de Jeanne Chézard de Matel.

1426. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Je suis persuadé que cette sorte d’éloquence aura plus d’éclat, plus de mouvement, plus de puissance, que n’en a jamais eu l’éloquence analogue, chez les Grecs, chez les Romains, chez les Anglais : il y a, dans la contexture et le génie de la langue française, une raison invincible, une logique nécessaire, une clarté constitutive, un sentiment de goût et de convenance, qui apportent peut-être quelques obstacles à la passion désordonnée, mais qui contiennent l’enthousiasme sur les limites où il deviendrait vertige, et qui doivent être très favorables à la discussion calme, solennelle, animée. […] L’art pittoresque s’applique davantage aux détails de la vie privée : il a moins d’idéal, puisqu’il n’a pas cette sorte d’immobilité qui indique un être élevé au-dessus des passions humaines ; il est donc plus approprié à toutes les conditions de l’état social.

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