Je vivrais mille ans que je n’oublierais pas certaines heures du soir où, m’échappant pendant la récréation des élèves jouant dans la cour, j’entrais par une petite porte secrète dans l’église déjà assombrie par la nuit et à peine éclairée au fond du chœur par la lampe suspendue du sanctuaire ; je me cachais sous l’ombre plus épaisse d’un pilier ; je m’enveloppais tout entier de mon manteau comme dans un linceul ; j’appuyais mon front contre le marbre froid d’une balustrade, et, plongé, pendant des minutes que je ne comptais plus, dans une muette, mais intarissable adoration, je ne sentais plus la terre sous mes genoux ou sous mes pieds, et je m’abîmais en Dieu, comme l’atome flottant dans la chaleur d’un jour d’été s’élève, se noie, se perd dans l’atmosphère, et, devenu transparent comme l’éther, paraît aussi aérien que l’air lui-même et aussi lumineux que la lumière.
Il n’a pas besoin non plus d’oublier les états antérieurs : il suffit qu’en se rappelant ces états il ne les juxtapose pas à l’état actuel comme un point à un autre point, mais les organise avec lui, comme il arrive quand nous nous rappelons, fondues pour ainsi dire ensemble, les notes d’une mélodie.
Mais il ne faut pas oublier que le point de vue de la Critique est tout autre que celui de la psychologie, et qu’il suffit à son objet que toutes nos sensations finissent par être localisées dans l’espace quand la perception a atteint sa forme définitive.
On dînait fort bien aux « Talus », en de fins dîners où le « protecteur » n’apparaissait pas, et où Mallarmé aimait à oublier, dans une atmosphère d’amicale admiration, les soucis de son existence. […] Que de disparus et que d’oubliés, même à ne les prendre que parmi les familiers du Grenier ! […] Nous parlerons de Venise, de nos Venises, en essayant d’oublier ce qu’en auront fait les vandales et les ingénieurs.
Ainsi, dans la tragédie d’Hamlet, les ambassadeurs d’Angleterre et le prince de Norwége Fortinbras ne permettent pas au spectateur d’oublier que les destinées du Danemark sont en jeu.
Mais toi, Morna, viens à mes yeux sur un rayon de la lune : viens près de ma fenêtre pendant mon sommeil, quand j’oublierai la guerre et ses alarmes pour ne songer qu’aux loisirs de la paix.
N’oublions pas qu’il y a, dans toute créature humaine, un enfant qui aime les Contes bleus.