Fénelon eût osé davantage, au moins dans les portions de naïveté et de grâce simple : La Fontaine cheminait, mais d’instinct seulement, dans le même sens. […] Ceux qui ont le mieux critiqué Barthélemy et fait ressortir ses infidélités, ses enjolivements de ton, n’auraient peut-être osé eux-mêmes tout aborder, tout rendre de cette poésie qu’ils admiraient si bien, et ils avaient à leur tour des adoucissements qui l’auraient par endroits voilée. […] De tous nos poëtes, il n’est certes que La Fontaine qui l’aurait osé traduire. […] » Qu’on énumère maintenant ce qui nous reste de ces neuf maîtres, sans parler de tant d’autres qui les suivaient de près, et qu’on calcule, si l’on ose, la part du naufrage. […] Pourtant, l’oserai-je dire ?
Qui l’oserait dire aujourd’hui ? qui oserait soutenir que d’avoir donné à la France une suite de frontières où Douai, Lille, Cambrai, Valenciennes, Saint-Omer, n’étaient plus à l’ennemi, où Besançon et la Franche-Comté nous étaient acquis, où Strasbourg nous couvrait vers le Rhin, où la Lorraine dans un avenir prochain nous était assurée, qui oserait dire que d’avoir obtenu ce résultat, d’avoir extirpé du sein du royaume toutes ces enclaves étrangères, ces bras de polypes qui essayaient en vingt endroits d’y pénétrer, d’avoir fait, selon l’expression de Vauban, son pré carré , et d’avoir pu désormais tenir son quartier de terre des deux mains, ce ne soit pas avoir compris les conditions essentielles du salut et de l’intégrité de la noble patrie française ? […] Tout compté, si trop souvent il s’est montré dur, cruel, sans scrupule dans l’exécution, il a rendu en somme un éminent service à l’État, et même, on l’ose dire, à l’humanité, en organisant cette chose sauvage, la guerre : il l’a, jusqu’à un certain point, moralisée. […] Les premiers n’étaient pas toujours purs et nets ; les seconds avaient bon dos, on trichait à leurs dépens, et il se faisait bien des tours de passe-passe : « Assurément, disait Vauban, s’il y avait quelque bon tour dans la filouterie que le Diable ne sût pas, il pourrait le venir apprendre ici… Il n’y a pas une telle école au reste du monde. » Mais les officiers vont plus loin ; quelques-uns, et des plus coupables, pour se blanchir, osent se plaindre des gens qu’emploie Vauban, comme s’il ne surveillait pas son monde : on semble dire que lui-même interrogé ne pourra disconvenir de certains faits. […] Examinez donc hardiment et sévèrement, bas toute tendresse, car j’ose bien vous dire que, sur le fait d’une probité très-exacte et d’une fidélité sincère, je ne crains ni le Roi, ni vous, ni tout le genre humain ensemble.
Le curieux de sa rubrique aurait-il été de préconiser la liberté sans oser la prendre et sans vouloir qu’on la prît avec elle, en faisant la critique dupe ou victime d’une étiquette de bal masqué, qui lui donnait, à elle, toutes les cartes et l’impunité de son jeu ? […] La pauvre curieuse étouffe dans son masque, de pudeur outragée, et rentre chez elle, humiliée des langages qu’on a osé lui tenir. […] Comme toute femme qui a fait des observations sur son propre cœur, elle a écrit un roman, intitulé Nelida (on aimerait mieux qu’elle l’eût gardé dans son âme) ; puis des lettres politiques si pleines des erreurs du temps où elle les publia, qu’elle n’a pas osé les rééditer, tant les événements qui se sont produits depuis 1849 l’auraient confondue ! […] Elle voudrait rivaliser avec lui, mais n’ose… Et pourquoi n’ose-t-elle pas ? […] … comment osent-elles s’en mêler ?
À votre tour, je veux les lâcher sur vous : « Si la collection de tous les modes, de toutes les qualités sensibles, étant brisée par l’abstraction, la substance imaginaire n’est plus rien ou n’a qu’une valeur nominale, la substance abstraite du mode, dans ce point de vue intellectuel, conserve encore la réalité qui lui appartient, à l’exclusion de toutes les apparences sensibles qui n’existent qu’en elle et par elle14. » Osez dire que vous comprenez ce jargon. […] D’autres, arrivés au bord, n’osaient descendre ; le trou leur semblait trop noir ; mieux valait accepter la doctrine que tenter l’aventure. […] Au retour, quand on les priait de raconter leur voyage, ils n’osaient, par amour-propre, avouer qu’ils s’étaient salis et froissés en pure perte, et confesser qu’ils étaient descendus dans une basse-fosse bien bouchée pour y mieux distinguer les objets. « Oh ! […] On n’ose admettre qu’un grand nom couvre une fausseté éclatante. […] Qui osera dire qu’elle est un être ?
Américain d’origine, il est bien le compatriote de ce suprême et grand Edgar Poë, de celui qui osa penser que la poésie était la création rythmique de la beauté, lorsqu’il écrivit que cette beauté était une des conditions de la parfaite vie « au même titre que la vertu et la vérité ». […] Sans doute, est-il, là-bas, des tâches nécessaires — révolte, gestes de justice — qu’il ne faut point délaisser : Ô mon Dieu, je m’agenouille au coin du feu ; Et j’ose vous demander où est mon vrai devoir : Est-ce dans la joie de votre création, ô Dieu, Ou là-bas dans la ville où le soleil est noir ? […] Alors, c’est en lui la révolte de cette spontanéité, que j’ose qualifier de contre-nature et contre-Dieu, qui chante en lui et l’a voué depuis toujours à l’amour, à la bonté.
III C’est que ses disciples lui ressemblent, à ce poltron hardi ; c’est que, s’ils osent beaucoup, ils n’osent pas tout encore ; c’est que, s’il s’agissait par trop de lui, il s’agirait d’eux ! […] Aujourd’hui plus que jamais, cet homme, dont on n’oserait peut-être pas dresser et signer le symbole, on lui refait une domination par une admiration rampante et rusée.
Qui oserait affirmer, en effet, que pour la philosophie et la littérature l’heure de la décadence n’est pas arrivée ? […] La filiation, la parenté entre le protestantisme et toutes les hérésies, en haut et en bas dans l’histoire, Nicolas l’a assez établie pour épouvanter Guizot, pour que le protestantisme n’ose plus rien contre le socialisme, si ce n’est à la condition de cesser d’être le protestantisme. […] Le démon n’est, après tout, qu’un ange tombé, et qui a emporté un peu de sa grâce divine dans la poussière… Mais, puisque le nom de Voltaire s’est trouvé là sous notre plume, qu’on nous permette de citer sur lui un mot de Joubert, que nous oserons modifier pour l’appliquer à Nicolas : « Voltaire — dit Joubert — aime la clarté et se joue dans la lumière, mais c’est pour la briser et en disperser les rayons comme un méchant. » Nicolas, lui aussi, aime la clarté et se joue dans la lumière, mais c’est pour en concentrer les rayons et vous les renvoyer dans le cœur, comme un homme bon.