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1116. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre I. Principe des mœurs sous l’Ancien Régime. »

Un homme, pour suivre le roi à la chasse, une femme pour être présentée à la reine, doit établir au préalable, devant le généalogiste et par pièces authentiques, que sa noblesse remonte à l’an 1400  Ensuite c’est une certitude de fortune ; il n’y a que ce salon pour être à portée des grâces ; aussi bien, jusqu’en 1789, les grandes familles ne bougent pas de Versailles, et, nuit et jour, sont à l’affût. […] Deux pages lui ôtent ses pantoufles ; le grand maître de la garde-robe lui tire sa camisole de nuit par la manche droite, le premier valet de garde-robe par la manche gauche, et tous deux le remettent à un officier de garde-robe, pendant qu’un valet de garde-robe apporte la chemise dans un surtout de taffetas blanc  C’est ici l’instant solennel, le point culminant de la cérémonie ; la cinquième entrée a été introduite, et, dans quelques minutes, quand le roi aura pris la chemise, tout le demeurant des gens connus et des officiers de la maison qui attendent dans la galerie apportera le dernier flot. […] On a compté que telle année Louis XV ne coucha que cinquante-deux nuits à Versailles, et l’ambassadeur d’Autriche dit très bien que « son genre de vie ne lui laisse pas une heure dans la journée à s’occuper des affaires sérieuses »  Quant à Louis XVI, on a vu qu’il dégage quelques heures dans la matinée ; mais la machine est montée et l’entraîne.

1117. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Et vos enfants au loin épars sur la pelouse, Et votre époux absent et sorti pour rêver, J’entre pourtant ; et Vous, belle et sans vous lever, Me dites de m’asseoir ; nous causons ; je commence À vous ouvrir mon cœur, ma nuit, mon vide immense, Ma jeunesse déjà dévorée à moitié, Et vous me répondez par des mots d’amitié ; Puis revenant à vous, Vous si noble et si pure, Vous que, dès le berceau, l’amoureuse nature Dans ses secrets desseins avait formée exprès Plus fraîche que la vigne au bord d’un antre frais, Douce comme un parfum et comme une harmonie ; Fleur qui deviez fleurir sous les pas du génie ; Nous parlons de vous-même, et du bonheur humain, Comme une ombre, d’en haut, couvrant votre chemin De vos enfants bénis que la joie environne, De l’époux votre orgueil, votre illustre couronne ; Et quand vous avez bien de vos félicités Épuisé le récit, alors vous ajoutez Triste, et tournant au ciel votre noire prunelle : « Hélas ! […] À pied, ou sur des chars brillants d’ivoire et d’or, Ou sur une trirème embarquant leur trésor, Ils erraient : Antioche, Alexandrie, Athènes, Tour à tour leur montraient ces lueurs incertaines Qui, dès qu’un œil humain s’y livre et les poursuit, Toujours, sans l’éclairer, éblouissent sa nuit. […] Puis, quand ces nœuds du sang relâchés avec l’âge T’auront laissé, jeune homme, au tiers de ton voyage, Avant qu’ils soient rompus et qu’en ton cœur fermé S’ensevelisse, un jour, le bonheur d’être aimé, Hâte-toi de nourrir quelque pure tendresse, Qui, plus jeune que toi, t’enlace et te caresse ; À tes nœuds presque usés joins d’autres nœuds plus forts ; Car que faire ici-bas, quand les parents sont morts, « Que faire de son âme orpheline et voilée, À moins de la sentir d’autre part consolée, D’être père, et d’avoir des enfants à son tour, Que d’un amour jaloux on couve nuit et jour ? 

1118. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Que ce soit dans la rue et dans la multitude, Que ce soit dans la nuit et dans la solitude, Son fantôme dans l’air danse comme un flambeau. […] Il est beau d’avoir éludé l’espace, trompé le temps, reculé les frontières de la nuit. […] « Générations après générations, écrit admirablement Carlyle, l’humanité prend la forme d’un corps, et, s’élançant de la nuit cimmérienne, apparaît avec une mission du ciel.

1119. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

L’horreur de cette affreuse nuit, dont l’obscurité devient de plus en plus profonde à mesure que la narration de Tannhaeuser avance, monte à son comble à l’apparition des demeures de Vénus, dans la montagne qui s’entrouvre comme pour engouffrer sa proie, et où la Déesse elle-même se fait voir appelant et entraînant sa victime. […] Alors l’autre jeune femme, sous le rire chaud de ses yeux noirs, et ce ses dents, et de sombres chevelures dénouées, révéla qu’elle était la Joie ; elle enseignait les tendresses parfumées, le délice des longues nuits, comment les âmes se courroucent en des tumultueux frissons et les hurlements éperdus d’un bonheur qui angoisse, et les sommeils tranquilles, après la tourmente. […] Mais plutôt je veux vous voir toujours l’une et l’autre, car vous êtes gracieuses ainsi que des amantes, et j’aime les onduleuses musiques de vos voix. » On raconte qu’il les fit s’asseoir, auprès de lui ; longuement il leur murmurait des paroles caressantes, tandis que les baignait l’harmonieuse ténèbre d’une nuit royale.

1120. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

Avant la tombée de la nuit, cette chambre, plus qu’encombrée pendant toute la journée, avait été abandonnée aux serviteurs de la tombe, et, lorsque j’y entrai le soir, je trouvai ce même fauteuil, d’où le prince avait si souvent lancé en ma présence une plaisanterie courtoise ou une piquante épigramme, occupé par un prêtre loué pour la circonstance et marmottant des prières pour le repos de l’âme qui venait de s’envoler. » Les propos de chacun en sortant étaient curieux à noter. […] Il avait la faculté singulière de dormir très peu : il passait la nuit au jeu ou à causer, ne se couchait, le plus souvent, qu’à quatre heures du matin et se trouvait réveillé de fort bonne heure.

1121. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

A peine de l’enfance Ta jeunesse hâtive eut perdu les liens, L’Amour te prit sans peur, sans débats, sans défense ; Il fit tes jours, tes nuits, tes tourments et tes biens. […] On sait que Laïs ayant demandé dix mille drachmes à Démosthène pour une nuit, celui-ci répondit qu’il n’achetait pas si cher un repentir.

1122. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Un peu après, quand Gustave, passant durant la nuit près de la chambre de Valérie, chastement sommeillante, ne peut résister au désir de la regarder encore une fois, et qu’il l’entend murmurer en songe les mots de Gustave et de mort, c’est là un songe officiel de roman, c’est de la fable sentimentale toute pure, couleur de 1803. […] Mme de Lézai-Marnésia, une jeune femme charmante qui avait vu périr si affreusement son mari à Strasbourg, s’était remise en sa douleur à Mme de Krüdner et partageait chaque nuit le même cilice, espérant par elle retrouver quelque communication avec celui qu’elle avait perdu, et qui déjà se révélait à la sainte amie plus détachée.

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