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199. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Il est temps d’en finir avec ces vieux débris des religions physiques de l’antiquité, avec ces inventions flétries de Zoroastre et de Manès qui se sont faufilées dans le catholicisme en passant par la porte de la peur ; il est temps d’en finir avec Osiris et Typhon, avec le blanc et le noir, avec Ormuzd et Arhiman, avec l’esprit du bien et l’esprit du mal. […] En cherchant à cacher la science sous les plis de sa grande robe noire, l’Église n’a pas réussi à l’étouffer, mais elle l’a du moins pendant longtemps reléguée en des lieux inaccessibles. […] Ceux-là ont sagement quitté la palette, pour prendre la chambre noire, ils ont abandonné le vermillon et le brun de Madère pour l’azotate d’argent et l’hyposulfite de soude ; je n’y vois pas grand mal ; de mauvais peintres qu’ils étaient, ils sont devenus de bons photographes ; tout le monde y a gagné. […] La salle est énorme ; de larges feux l’éclairent au milieu desquels passent des hommes demi-nus, noirs, en sueur, actifs, musculeux et superbes comme des cariatides du Puget. […] Là-bas, on aperçoit un minaret blanc et quelques noirs cyprès : c’est Bournabaki, misérable hameau qui a poussé sur les ruines d’Ilion.

200. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

Elle menace, si le désordre continue, d’emporter avec elle le Génie de la maison, le serpent noir qui dort là-haut sur des feuilles de lotus : « Je sifflerai, il me suivra, et, si je monte en galère, il courra dans le sillage de mon navire, sur l’écume des flots. » Tout ce qu’elle chante est harmonieux ; elle s’exprime dans un vieil idiome chananéen que n’entendent pas les Barbares ; ils n’en sont que plus étonnés. […] Une masse d’ombre énorme s’étalait devant eux, et qui semblait contenir de vagues amoncellements, pareils aux flots gigantesques d’un océan noir pétrifié. […] Puis, à mesure que le ciel rose allait s’élargissant, les hautes maisons inclinées sur les pentes du terrain se haussaient, se tassaient, telles qu’un troupeau de chèvres noires qui descend des montagnes.

201. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lawrence Sterne »

Il avait aimé toute sa vie, mais il n’avait jamais aimé assez longtemps pour être autre chose que le plus heureux des hommes… Cependant, voici la bande noire à l’étoffe rose : il mourut seul, dans un hôtel garni, je crois. […] Sterne et La Fontaine ressemblent à ces femmes d’un tel regard et d’un tel geste, que, masquées, le velours noir de leur masque est leur visage encore… Instinctifs comme les grands artistes, ils ne pourraient se déguiser quand même ils le voudraient. […] Et c’est de là, c’est de cette hauteur de mosquée, que l’Imagination, enlevée par un mot, culbute et retombe dans les vulgaires détails de la vie et de la pensée d’un petit ministre anglican « en culottes de soie noire », et qui a mal à la poitrine !

202. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Une urne, une croix noire, un turban sculpté, c’en est assez pour qui vécut quelques jours. […] Il demanda : Qu’est-ce que je vois donc de noir sur la rivière ?  […] Elle était la bûche de Noël de son noir foyer, cette bûche inextinguible qui dure tout l’hiver. […] Une noire méchanceté devint le fond de son caractère. […] Il tomba bientôt dans la mélancolie la plus noire.

203. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Racine, et Pradon. » pp. 334-348

Outre ces couleurs affreuses dont on peignoit le duc dans la parodie, on y traita sa sœur indignement : Une sœur vagabonde, aux crins plus noirs que blonds, Va dans toutes les cours montrer ses deux tetons, Dont, malgré son pays, son frère est idolâtre. […] On eut l’indignité de substituer aux vers les plus heureux des vers plats & ridicules ; jalousie horrible, partage des ames noires & lâches ; mais jalousie renouvellée depuis en différentes occasions par des écrivains obscurs & forcenés ; jalousie semblable à celle de ces peintres scélérats, dont les mains odieuses défigurèrent les plus beaux morceaux de le Sueur.

204. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Voici deux strophes qui nous évoquent le soir, entrant en nous, se faisant nous : Le jour tombe, le jour trébuche, Comme un vieux mendiant à besace, Par les sentiers noirs pleins d’embûches. […] Calme, de la nuit pend au long des noirs chevrons, Plane et traîne sa paix, de cendres imprégnée, À travers le vitrail des toiles d’araignées Dont un rai de soleil fait trembler les fleurons. […] Cernant une écurie ouverte au toit de mousse, Qu’emplit un vibrement nuageux d’ombre rousse, Du purin, noir brocard, s’étale lamé d’or, Où fouillent du groin activement les porcs. […] ……… Mon cœur est las enfin des mauvaises amours Des songes de mes nuits et des maux de mes jours ; Mon cœur est vieux autant qu’un très ancien grimoire, Et, désespérément, j’appelle l’Heure Noire. […] Fourches des châtaigniers, faneuses de l’azur, Sequins dansants des peupliers, gestes obscurs, Mains qui vont promener la nuit sur les fontaines, Marronniers aux doigts noirs, profilés sur le mur !

205. (1885) Les étapes d’un naturaliste : impressions et critiques pp. -302

Que le ciel te conserve avec ton noir museau ! […] La vue de la marmite noire, où nageaient les légumes, suffisait par avance à dilater les narines gourmandes des gamins. […] Voyez-vous le Loup noir qui mange le Mouton ? Puis le Tigre rayé qui mange un grand Loup noir ? […] Bien plus, en une époque où les fantasmagories romantiques, chatoyant encore devant les yeux, faisaient illusion à ses contemporains, il s’opiniâtra à peindre comme il voyait, noir quand ses yeux distinguaient du noir, azuré quand ses yeux apercevaient un coin de ciel.

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