Une expression naturelle de regret se mêle dans la parole d’Arago au sentiment d’orgueil que lui inspire la vérité inaltérable, mais peu accessible, des sciences : Les sciences exactes, a-t-il dit dans sa notice sur Thomas Young, ont sur les ouvrages d’art ou d’imagination un avantage qui a été souvent signalé : les vérités dont elles se composent traversent les siècles sans avoir rien à souffrir ni des caprices de la mode ni des dépravations du goût. […] Lorsqu’il s’agit d’un savant qui s’est distingué dans les sciences physiologiques ou naturelles, la difficulté est grande, mais elle est plus de nature à être vaincue ; il y a toujours moyen pour le talent ingénieux et habile (nous en avons des preuves) de trouver des expressions qui traduisent le genre de mérite du mort et donnent à tous quelque idée de ses travaux. […] Depuis que l’ordre des sciences naturelles est séparé de celui des sciences mathématiques, Cuvier a donné, bien qu’un peu brièvement, d’excellents exemples ; M. […] Lorsqu’une digression, une discussion plus ou moins naturelle se présente, au lieu de l’amener avec adresse, de la fondre dans le sujet, M. […] Arago, caractérisa heureusement l’intelligence à la fois forte et subtile de son ami, quand il la compara à la trompe, si merveilleusement organisée, dont l’éléphant se sert avec une égale facilité pour saisir une paille et pour déraciner un chêne. » Cela n’est pas tout à fait exact : Jeffrey n’a pas dit une telle chose ; c’est en parlant de la machine à vapeur et de ses merveilleux effets, et non de l’intelligence de Watt, qu’il a dit : « La trompe d’un éléphant qui peut ramasser une épingle ou déraciner un chêne n’est rien en comparaison. » Parlant de l’esprit de Watt, Jeffrey le peint plus délicatement : Il avait, dit-il, une promptitude infinie à tout saisir, une mémoire prodigieuse et une faculté méthodique et rectifiante pour tirer, comme par une chimie naturelle, quelque chose de précieux de tout ce qui s’offrait à lui, soit dans la conversation, soit dans la lecture.
Voltaire est le premier, et il demeure incomparable : vif, naturel, facile, toujours prêt, donnant au moindre compliment un tour aisé, une grâce légère, exprimant au besoin des pensées sérieuses, mais les déridant bientôt, et toujours attentif à plaire, à faire rire l’esprit. […] Buffon leur parle à ventre déboutonné, comme on dit ; c’est franc, naturel, mais nullement distingué. […] Flourens, a longuement parlé des collaborateurs de Buffon et de la part que chacun d’eux avait eue dans la rédaction de l’Histoire naturelle. […] Quand Daubenton se sépara de lui, il laissa pourtant un grand vide, un vide irréparable dans la continuation de l’Histoire naturelle ; il ne fut point remplacé. […] Ce fils, jeune officier aux Gardes, qui paraît avoir été assez aimable et gracieux, et d’un bon naturel sans rien de supérieur, l’occupe constamment ; il veille sur son avancement, sur sa santé, sur ses plaisirs.
. — D’abord le naturel en est exclu ; tout y est arrangé, apprêté, le décor, le costume, l’attitude, le son de voix, les paroles, les idées et jusqu’aux sentiments. « La rareté d’un sentiment vrai est si grande, disait M. de V., que, lorsque je reviens de Versailles, je m’arrête quelquefois dans les rues à regarder un chien ronger un os297. » L’homme, s’étant livré tout entier au monde, n’avait gardé pour soi aucune portion de sa personne, et les convenances, comme autant de lianes, avaient enlacé toute la substance de son être et tout le détail de son action. […] Il s’agit de revenir à la nature, d’admirer la campagne, d’aimer la simplicité des mœurs rustiques, de s’intéresser aux villageois, d’être humain, d’avoir un cœur, de goûter les douceurs et les tendresses des affections naturelles, d’être époux et père, bien plus d’avoir une âme, des vertus, des émotions religieuses, de croire à la providence et à l’immortalité, d’être capable d’enthousiasme. […] L’étiquette tombe par lambeaux, comme un fard qui s’écaille, et laisse reparaître la vive couleur des émotions naturelles. […] Ils démêlent tout à la lumière artificielle des bougies ; ils se troublent et s’éblouissent à la clarté naturelle du grand jour. […] L’avènement de la sensibilité est marqué par les dates suivantes : Rousseau, Sur l’influence des lettres et des arts, 1749 ; Sur l’inégalité, 1753 ; Nouvelle Héloïse, 1759. — Greuze, le Père de famille lisant la Bible, 1755 ; l’Accordée de village, 1761. — Diderot, le Fils naturel , 1757 ; le Père de famille , 1758.
La tragédie française n’en est pas un ; mais parce qu’elle ne laisse pas d’être inspirée de la tragédie grecque, et surtout parce qu’elle a en elle l’esprit même de la tragédie, il lui arrive, du moins par le souci des groupements à la fois savants et naturels, aussi par les morceaux lyriques qu’elle admet, d’avoir avec l’opéra des analogies qui ne sont pas douteuses et qui sont très loin d’être une dégradation ou de marquer une déchéance. […] Phèdre se lèvera donc tout à l’heure, et c’est pour qu’elle se lève avec vraisemblance que Racine fait lever Œnone, ce qu’il est naturel, du reste, que Phèdre lui commande, puisqu’Œnone, vieille femme, est à genoux, inclinée et dans une position incommode et fatigante. […] Dans le premier cas, au moment où la confidence commence, il est naturel qu’instinctivement elle veuille se rapprocher de la personne à qui elle la fait et que, puisque cette personne est debout, elle se lève elle-même. […] Dans le troisième cas, la confidence est faite par ce mot même : « C’est toi qui l’as nommé » ; il reste à la donner dans tout son détail Ce détail même étant honteux, il est naturel que Phèdre, qui en prévoit toutes les hontes, se rapproche de sa confidente et pour cela se lève. […] Arcas se réveille et manifeste son étonnement de voir Agamemnon à son chevet, ce qu’il est tout naturel qu’il fasse sans parler encore ; et il va parler, mais Agamemnon, très impatient, fiévreux, comme la suite de la scène le montre, lui dit : « Oui, c’est moi ; j’ai à te parler ».
Non point, certes, par une prédestination naturelle. […] Et la joie naturelle des libres créations s’est pour nous perdue. […] C’est la sélection naturelle ; et M. […] L’intelligence, suivant lui, aurait été détournée de sa destination naturelle. […] Gibier, docteur en médecine, naturaliste au Muséum d’histoire naturelle.
C’est d’ailleurs fort naturel. […] Rien de plus naturel, si l’intelligence est destinée surtout à préparer et à éclairer notre action sur les choses. […] Il s’agit de rompre avec certaines habitudes de penser et de percevoir qui nous sont devenues naturelles. […] C’est naturel encore. […] Cette conception de la vérité est naturelle à notre esprit et naturelle aussi à la philosophie, parce qu’il est naturel de se représenter la réalité comme un tout parfaitement cohérent et systématisé, que soutient une armature logique.
Voltaire, dont chaque mot compte quand il s’agit de peindre les hommes qu’il a connus et qu’il définit avec son heureuse précision, a dit de lui dans son Siècle de Louis XIV, en le rencontrant pour la première fois sous sa plume à l’assaut de Prague (1741) : « Le comte Maurice de Saxe, frère naturel du roi de Pologne, attaqua la ville. […] Ce qui est vrai, c’est que Maurice ne se donnait pas la peine d’avoir de l’esprit dans le sens des courtisans français : il se sentait mal à l’aise, tant qu’il ne fut pas dans les hauts emplois où il pût déployer son génie naturel et oser librement : cela perce dans toute sa correspondance avec son père et avec son frère, avant qu’il se fût donné tout entier à connaître à son pays d’adoption. […] Il est franc et naturel ; il a de l’esprit ; il a du bien, et ne donnera pas de l’ombrage comme un homme qui serait plus connu. […] L’on veut de la franchise, de la gaîté, un air naturel et ouvert ; sans cela, personne ne vous parle, et tout le monde est sur ses gardes. » Et encore, dans une lettre au comte de Bruhl (16 septembre 1741) : « Je dois avertir Votre Excellence que M. de Loss n’est pas l’homme propre à traiter avec le Cardinal et les Français ; il a de cette finesse allemande que l’on voit du premier coup d’œil et qui n’inspire que de la méfiance, ce qui nuit plus que chose du monde aux affaires. […] Le premier sens plus large, qui a persisté dans l’expression de bon compagnon, et dans lequel il entre de la franchise et de la gaieté naturelle, est bien le meilleur et le plus français ; Maurice le définit à merveille par opposition à ce qui est serré, discret, cérémonieux, c’est-à-dire à ce qui constitue le comme il faut aux yeux de certaines gens.