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874. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

le Lydien Pactyas est venu chez nous comme suppliant, fuyant la mort à laquelle les Perses l’auraient condamné. […] Un tremblement de terre renversa Sparte pour châtier la mort de quelques Athéniens brûlés dans un temple de Poséidon. […] Le voilà, sous peine de meurtre, contraint à faire son devoir ; cinquante visages le regardent, déjà pâles de la mort prochaine. […] On comprend, en les écoulant, que Job ait compté, parmi les bienfaits de la mort, celui de « ne plus entendre la voix de l’exacteur dans le silence du sépulcre. » Les malheureuses se débattent sous les mains violentes qui les traînent […] Tandis que la morne et caduque Égypte, chargée des chaînes de ses dogmes, tournait autour d’un puits funéraire, dans le cercle qu’avaient creusé ses ancêtres ; tandis qu’elle embaumait ses morts et raidissait ses colosses, la libre et riante Hellade créait ses dieux en chantant, et les sculptait dans les marbres pleins d’une vie sublime.

875. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Tout semblait mort, tout se détournait de lui, s’éloignait pour toujours, le laissant seul à la merci du destin. […] L’atrophie fonctionnelle de la volonté nous est présentée avec tous ses symptômes habituels, la surabondance d’idées et de sentiments abstraits, la disposition que donne cette perpétuelle agitation à l’analyse intérieure et à l’ironie envers soi-même, l’incapacité finale de formuler un jugement arrêté ou de ressentir une émotion entraînante et la scission de l’âme en deux courants d’idées contraires, cette division intestine conduisant à la perception de deux moi irréconciliables, puis causant la mort de l’organisme qu’elle affecte. […] Ce désenchanté de la vie a la plus vive horreur de la mort et de la vieillesse : « … Puis tout à coup, comme de la neige qui nous tombe sur la tête, voir arriver la vieillesse et avec elle sa compagne, la crainte de la mort, cette crainte qui nous mine et nous ronge sans cesse, puis enfin le plongeon dans l’abîme. […] Après Shakespeare, après les Pensées, il ne peut échapper à la contradiction profondément humaine de redouter la mort et de médire de la vie. […] L’obscur passé leur est l’origine des maux qui, ayant commencé peuvent cesser d’être, et quant à la mort même, elle leur apparaît comme la condition essentielle de la durée prospère de l’espèce, qui ne saurait subsister utilement que par la destruction de ses représentants momentanés, comme le corps ne vit que par l’usure de ses cellules.

876. (1890) Les romanciers d’aujourd’hui pp. -357

Rimbaud est mort. […] Mort récemment. […] Mort depuis. […] Mort depuis. […] Barbey d’Aurevilly est mort récemment.

877. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie militaire du général comte Friant, par le comte Friant, son fils » pp. 56-68

À la bataille de Sediman, où Mourad Bey à la tête de ses mameluks se brisait contre les carrés français, mais où un feu de quatre pièces tiré des hauteurs emportait bien des hommes, qui une fois tombés et laissés sur le champ de bataille étaient massacrés, le général Desaix, affligé de voir ces braves périr d’une mort horrible, eut un moment l’idée de rejoindre les barques pour les y déposer ; il demanda l’avis de Friant qui lui répondit aussitôt, en lui montrant les retranchements ennemis : « Général, c’est là-haut qu’il faut aller ; la victoire ou la mort nous y attend, nous ne devons pas différer d’un moment l’attaque. » — « C’est aussi mon sentiment, répliqua le général Desaix, mais je ne puis m’empêcher d’être ému en voyant ces braves gens périr de la sorte. » — « Si je suis blessé, repartit le général Friant, qu’on me laisse sur le champ de bataille !  […] Après la mort de Kléber, Friant fort apprécié de Menou, qui lui écrivait : « Soyez assuré que nous ferons de bonne besogne toutes les fois que l’on emploiera, comme vous, activité et moralité » ; fut moins content sans doute de ce général en chef qui, avec des qualités estimables, n’était pas à la hauteur de sa position et qui ne sut pas accueillir les bons conseils. […] Le poste de colonel commandant des grenadiers à pied de la Garde était vacant par la mort du général Dorsenne, et c’était une dignité.

878. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

En observant plus attentivement, d’ailleurs, la masse confuse de cette société où il n’avait d’abord vu que froideur et mort, il a découvert sous les premières couches croupissantes un grand travail de fermentation et de courants, et il s’est dit que c’était de ce côté plutôt qu’il fallait agir pour renouveler. […] « Et il y aura des hommes qui seront saisis de la soif du sang et qui adoreront la mort, et qui voudront la faire adorer.  « Et la mort étendra sa main de squelette comme pour les bénir, et cette bénédiction descendra sur leur cœur, et il cessera de battre.  […] « Si d’abord la victoire paraît s’éloigner de vous, ce n’est qu’une épreuve, elle reviendra ; car votre sang sera comme le sang d’Abel égorgé par Caïn, et votre mort comme celle des martyrs. » Au chapitre vii, je recommande la parabole de l’homme qui trouve moyen d’augmenter successivement le travail du peuple tout en diminuant progressivement les salaires.

879. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

Elle consacre le droit de vie et de mort du créancier sur le débiteur ; elle pousse l’injure contre les plébéiens jusqu’à leur refuser le droit de mariage avec les patriciens. […] Aussitôt Pompée mort et son âme envolée aux cieux, Caton passe au premier plan. Lui qui, jusque là, et tant que la lutte engagée avec César avait laissé en doute lequel serait le maître, haïssait Pompée lui-même tout en le suivant : aussitôt après le désastre de Pharsale, il se met à le chérir, à l’adopter mort et à l’exalter, et il devient pompéien de tout son cœur. […] On se contente le plus souvent d’embrasser mort et de célébrer le Pompée auquel on résistait vivant.

880. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1854 » pp. 59-74

Au moment où apparaissait, sur la guillotine, le condamné à mort, elle s’écrie : « Comme je me payerais cet homme ! […] Ce riant pré de la Mort est tout ensoleillé, avec, par-ci par-là, la pâle et aérienne verdure d’un saule pleureur répandu sur une tombe comme les cheveux dénoués d’une femme en larmes. […] Et partout des rosiers qui mettent dans ce cimetière une odeur d’Orient, des rosiers de jardin qui ont le vagabondage de rosiers sauvages et enveloppent de tous côtés la tombe et, se traînant à son pied, la cachent sous des roses si pressées, qu’elles empêchent le passant de lire le nom du mort ou de la morte. […] C’était le plaisir sonnant la mort. « Oh !

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