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255. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

En religion, en philosophie, en politique, dans l’art, dans la morale, chacun de nous doit s’inventer ou se choisir un système : invention laborieuse, choix douloureux… La vie n’est plus un salon où l’on cause, mais un laboratoire où l’on pense. […] C’est un court récit, une vive morale en action, où figurent en général des animaux, des plantes, des êtres plus ou moins voisins de l’homme, et qui représentent ses vices ou ses vertus, ses défauts ou ses qualités. […] La morale ne viendra pas au bout toute sèche et toute directe : Une morale nue apporte de l’ennui. […] Les unes, lourdes, doctes, sentencieuses, vont, lentement et d’un pas régulier, se ranger au bout de la morale d’Aristote, pour y reposer sous la garde d’Ésope. — Les autres, enfantines, naïves et traînantes, bégayent et babillent d’un ton monotone dans les conteurs inconnus du Moyen Âge. — Les autres enfin, légères, ailées, poétiques, s’envolent, comme cet essaim d’abeilles qui s’arrêta sur la bouche de Platon endormi, et qu’un Grec aurait vu se poser sur les lèvres souriantes de La Fontaine. […] Les soins qu’on mettrait à toucher ces endroits défectueux pour la morale ou pour l’art, et les précautions qu’on apporterait à l’en convaincre (lui toujours supposé invisible et présent), seraient un hommage de plus au génie et à la renommée, et ne feraient que communiquer à la critique je ne sais quelle émotion contenue et quelle réserve sentie, qui aurait sa délicatesse, et qui, venue de l’âme, irait à l’âme.

256. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Destouches : la comédie morale. […] Pauvre, sensible, nerveux, pétri d’amour-propre, assez difficile à vivre, abondant en idées, et se dégoûtant dans l’exécution aussi vite qu’il s’était enflammé dans la conception, il créa des journaux d’observation morale qui ne vécurent pas, il écrivit des romans qui n’eurent pas de fin. […] D’autre part, la description morale, les couplets, les vers rappellent à chaque instant les Epitres de Boileau. […] On voit poindre cette sensibilité à la fin du xviie siècle : la transformation morale et religieuse de la société en favorise le développement. […] Il fut ruiné par le système de Law, et tenta de publier des journaux d’observation morale, le Spectateur français, 1700-23 ; l’Indigent philosophe, 1728 ; le Cabinet du philosophe, 1734.

257. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

La correspondance qu’il entretint durant ces années, et les ouvrages qu’il composa, nous le peignent bien dans toute la vérité de sa nature morale et littéraire. […] Là où d’Aguesseau me paraît supérieur et presque original par la combinaison et la mesure qu’il y apporte, c’est dans les considérations philosophiques dont il ne sépare jamais la morale et la religion. […] Il est également pour la liberté morale, pour la liberté d’examen, et il aime à l’exercer pour son compte et à s’en donner le plaisir dans un cercle à l’avance tracé. […] La piété, la modestie, la pudeur, la délicatesse morale la plus exquise, en font l’âme et les traits. […] La bonté morale y dominait avec l’aménité civile.

258. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

L’absence de foi religieuse, l’indifférence de tout ce qui créait la vie morale autrefois, ont empêché son observation d’être complète et lui ont mutilé son œuvre. […] Moralement, puisqu’on est assez inconséquent pour nous parler de morale à propos d’un livre de poésies dans un temps d’immoralité littéraire comme il n’en a, certes ! […] Alors que la morale religieuse n’est plus, quand la pauvre littérature, qui mourra aussi, un de ces jours, de son immoralité, existe encore » il n’y a plus que la question esthétique à poser devant un livre comme celui des Blasphèmes ; il n’y a plus qu’à savoir si nous avons, malgré l’horreur de son livre, un poète de plus dans M.  […] Je dis que la Critique — la Critique littéraire, bien entendu, et non la Critique morale, qui n’a que faire ici, — peut prendre ce livre et l’écailler comme on écaille un poisson, et le racler du fil de son couteau et en retrancher, couche par couche, tout ce qui déshonore littérairement une telle œuvre, c’est-à-dire le gongorisme effréné, l’atroce mauvais goût, les bassesses ignobles et malheureusement volontaires d’expression, l’haleine des pires bouches, enfin tous les défauts dont l’auteur a fait comme à plaisir d’immondes vices, il restera et on trouvera, sous tout cela et malgré tout cela, un énorme noyau de poésie, résistant et indestructible, qui brillera de sa propre lueur dans l’histoire littéraire d’un siècle qui a des poètes comme Hugo, Vigny, Musset, Baudelaire et Lamartine, le plus grand de tous ! […] moi, chrétien, j’aurais pu, à propos de ce livre des Blasphèmes, pétrir de la morale et de l’esthétique l’une dans l’autre et confondre l’œuvre morale, que je trouve criminelle, avec l’œuvre poétique qui est belle.

259. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 272-273

Ce qu’il écarte du tableau y seroit inutile pour l’instruction ; & l’Auteur a grand soin d’y placer tout ce qui peut servir à développer les dogmes sacrés, la tradition, la discipline, & la morale. […] Sa morale est saine, toujours orthodoxe, quelquefois profonde, comme celle de son modele ; & annonce, en général, un esprit qui connoît également les passions du cœur & les ressorts de la politique.

260. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 283-284

Où a-t-il pris, entre autres choses, que la Morale n’a jamais été développée avec plus de vérité & plus de charmes que de nos jours ; que ce sont nos Ecrivains modernes qui ont réduit les Romans à être l’image de la Nature & l’Ecole de la Vertu ; que nos Tragédies modernes ont plus de pathétique & d’utilité que celles de Corneille & de Racine ; que les maximes des Tragédiens de nos jours sont plus vraies, & inspirent plus d’humanité ? M. de Méhégan n’avoit sans doute pas lu tous ces Ouvrages où la Morale est si fort défigurée sous le pinceau philosophique ; ces Romans où la vertu n’est rien moins que le but de ceux qui les ont composés ; ces Tragédies où le sentiment a beaucoup plus d’appareil & de machinisme, que de naturel & de réalité ; ces tirades aussi déplacées qu’audacieuses, qui ne peuvent plaire qu’à des esprits gâtés, qui ne peuvent être pardonnées que par des ignorans qui ne sentent pas combien elles sont hors de propos.

261. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » p. 225

Ils paroissent composés dans le dessein d’inculquer la morale, d’attacher à la vertu. […] A ces défauts près, ce que l’esprit a de plus ingénieux, le sentiment de vif & de touchant, la Morale de sage & de solide, la Langue de pittoresque & d’harmonieux, se trouve rassemblé dans cet Ouvrage, qui suppose d’ailleurs la connoissance de la Religion, des usages, des loix & de l’histoire des anciens Grecs.

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