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485. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

L’abbé de Lamennais espérait, dit-on, rapporter de Rome la dignité de cardinal ; il n’en rapporta que le mécontentement du peu de considération qu’on lui avait montré. […] Tout le monde sent les vices de la société, il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour les voir et les montrer, et un cœur pour les sentir. […] Au lieu de l’appeler le Livre du peuple et de le lancer à cette partie déshéritée, souffrante et irritée de la société, adressez-le, sous un autre titre, à la partie aisée, privilégiée, heureuse et jouissante de l’humanité, et montrez-lui les moyens pratiques d’améliorer sans le renverser l’état social. Au lieu d’appeler le peuple à la colère et la vengeance contre une partie de lui-même, qui sont les riches et les heureux du siècle, vous le porterez à respecter dans les uns ce qui sera un jour leur propre sort ; vous montrerez à ces riches et à ces heureux du siècle la nécessité de pourvoir par bonne volonté au bien-être physique et moral de toutes les classes. […] Ses parents putatifs étaient liés avec la maison de la Roche-Jaquelein, qui lui montrait une grande amitié.

486. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Mais elle sait très bien n’y pas vivre ; un peu en disgrâce, dit-on, à cause de ses amitiés dans la Fronde, et faute surtout de se montrer assez178. […] Balzac m’attendrit lorsque, jetant un coup d’œil sur sa table de travail, il voit cet entassement de lettres qui demandent des réponses à être montrées, à être copiées, à être imprimées181. […] Celle qui les écrivait n’ignorait pas qu’elles seraient montrées ; celle qui les recevait souffrait qu’on y jetât les yeux ; car comment résister au plaisir de laisser voir aux autres qu’on est aimée ? […] Elle savait s’arranger de façon à être naturelle et approuvée, elle aimait qu’autour d’elle on n’écrivît que ce qui pouvait être montré. […] Je préfère pourtant, même à cette brièveté sublime, la fougue du pinceau de Saint-Simon ; cette abondance négligée qui n’est jamais vaine ; ces portraits qui peignent et qui racontent, qui nous montrent la physionomie des gens, le tour de leur visage et jusqu’à leur démarche, et qui nous introduisent dans leur vie cachée ; cette succession, sur la même toile, des qualités et des défauts, se suivant, se démentant, comme dans la vie réelle ; enfin ce pêle-mêle de la peinture et du récit, dans lequel surnage le trait principal du héros, le trait qui domine toutes les contradictions de son caractère et de son humeur, et qui est comme le mot de sa bonne ou de sa mauvaise renommée.

487. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Je voudrais dépeindre et montrer Chamfort au point de vue de la société de son temps, dans ses rapports avec l’ancien ordre social, dans sa rupture éclatante avec le régime qui avait tout fait pour se le concilier, et dans son acceptation ardente du régime nouveau. […] Dupaty, que vous connaissez de réputation ; une autre liaison non moins précieuse avec une femme aimable que j’ai trouvée ici, et qui a pris pour moi tous les sentiments d’une sœur ; des gens dont je devais le plus souhaiter la connaissance, et qui me montrent la crainte obligeante de perdre la mienne ; enfin, la réunion des sentiments les plus chers et les plus désirables : voilà ce qui fait, depuis trois mois, mon bonheur ; il semble que mon mauvais Génie ait lâché prise, et je vis, depuis trois mois, sous la baguette de la Fée bienfaisante. […] C’est par rapport au très grand monde seulement que Chamfort a pu dire : « Il paraît impossible que, dans l’état actuel de la société, il y ait un seul homme qui puisse montrer le fond de son âme et les détails de son caractère, et surtout de ses faiblesses, à son meilleur ami. » C’est ce grand monde uniquement qu’il avait en vue quand il disait : « La meilleure philosophie relativement au monde est d’allier, à son égard, le sarcasme de la gaieté avec l’indulgence du mépris. » C’est pour avoir trop vécu sur ce théâtre de lutte inégale, de ruse et de vanité, qu’il a pu dire son mot fameux : « J’ai été amené là par degrés : en vivant et en voyant les hommes, il faut que le cœur se brise ou se bronze. » J’ajouterai, pour infirmer l’autorité de certaines maximes de Chamfort et pour en dénoncer le côté faux, qu’elles viennent évidemment d’un homme qui n’a jamais eu de famille, qui n’a pas été attendri par elle ni en remontant ni en descendant, qui n’a pas eu de père et qui, à son tour, n’a pas voulu l’être. […] De telles paroles montrent à quel point Chamfort, malgré quelques parties perçantes et profondes, n’était qu’un homme d’esprit sans vraies lumières et fanatisé. […] Lorsqu’on me donnera des républicaines comme Mme Roland, lorsqu’on me montrera des républicains simples, droits, intègres et savants comme M. 

488. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

Tout le reste est, sinon accidentel, du moins préliminaire ou extérieur ; tant qu’on n’a pas essayé de montrer comment se sent la ressemblance à travers le temps, on n’a fait que tourner autour de la mémoire et en analyser les rouages les plus visibles, sans pénétrer jusqu’au grand ressort. […] — Elle a lieu, selon nous, par une série de classifications spontanées dont nous allons montrer les divers stades. […] Dans ce second sentiment, nous montrerons plus loin qu’il existe encore un caractère d’activité trop méconnu82. […] En outre, nous l’avons montré, la conscience des ressemblances et des différences, qui fait le fond de la reconnaissance, vient de ce que chaque image vive est saisie simultanément et classée avec d’autres plus faibles qui lui sont semblables, quoique différentes par leurs cadres et leurs milieux. […] Ribot, par s’organiser si bien et d’une façon si monotone, qu’on ne trouverait plus en lui qu’un automate à peine conscient. » Les esprits bornés ou routiniers, ajoute le même auteur avec finesse, réalisent cette hypothèse en une certaine mesure, et c’est ce que Pascal avait déjà montré : « Pour la plus grande partie de leur vie, la conscience est un superflu. » On ne saurait mieux mettre en lumière la part du mécanisme dans la mémoire et sa tendance à se faire suppléer par un instinct animal.

489. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Il n’est pas nécessaire de montrer ce que peut valoir une telle construction. […] Pour bien montrer combien cette circonspection est nécessaire, faisons voir par quelques exemples à quelles erreurs on s’expose quand on ne s’y astreint pas et sous quel jour nouveau les phénomènes les plus essentiels apparaissent, quand on les traite méthodiquement. […] Le crime, nous l’avons montré ailleurs, consiste dans un acte qui offense certains sentiments collectifs, doués d’une énergie et d’une netteté particulières. […] Nous venons de montrer au contraire que, souvent, ce qui est morbide pour le sauvage ne l’est pas pour le civilisé. […] On comprendra mieux cette indépendance, quand nous aurons montré plus loin la différence qu’il y a entre les faits psychiques et les faits sociologiques.

490. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

C’est l’investigation scientifique, c’est le raisonnement expérimental qui combat une à une les hypothèses des idéalistes, et qui remplace les romans de pure imagination par les romans d’observation et d’expérimentation… C’est là ce qui constitue le roman expérimental : posséder le mécanisme des phénomènes chez l’homme, montrer les rouages des manifestations intellectuelles et sensuelles telles que la physiologie nous les expliquera, sous les influences de l’hérédité et des circonstances ambiantes, puis montrer l’homme vivant dans le milieu social qu’il a produit lui-même, qu’il modifie tous les jours, et au sein duquel il éprouve à son tour une transformation continue. […] La nature disparaît sous un vernis odorant, l’univers matériel et corporel n’est toléré qu’à la condition d’y montrer un visage convenablement rasé. […] Il nous aura suffi de montrer que la doctrine scientifique et philosophique à laquelle Zola s’est pleinement rattaché au début, est actuellement dépassée, et que lui-même, demeurant étroitement fidèle à sa pensée première et s’immobilisant au milieu des idées en marche, se présente à nous maintenant comme l’un des fidèles d’une foi morte ou du moins en pleine décadence, la foi matérialiste. […] Les naturalistes de la première heure se sont montrés trop exclusivement les spectateurs neutres et froids de la réalité.

491. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Il y aurait d’abord un moyen, semble-t-il, d’en finir rapidement avec la théorie que je combats : ce serait de montrer que l’hypothèse d’une équivalence entre le cérébral et le mental est contradictoire avec elle-même quand on la prend dans toute sa rigueur, qu’elle nous demande d’adopter en même temps deux points de vue opposés et d’employer simultanément deux systèmes de notation qui s’excluent. […] D’autre part, si le raisonnement pur suffit à nous montrer que cette théorie est à rejeter, il ne nous dit pas, il ne peut pas nous dire ce qu’il faut mettre à la place. […] Depuis Broca, qui avait montré comment l’oubli des mouvements d’articulation de la parole pouvait résulter d’une lésion de la troisième circonvolution frontale gauche, une théorie de plus en plus compliquée de l’aphasie et de ses conditions cérébrales s’est édifiée laborieusement. […] Nous-même, il y aura bientôt vingt ans de cela (si nous rappelons le fait, ce n’est pas pour en tirer vanité, c’est pour montrer que l’observation intérieure peut l’emporter sur des méthodes qu’on croit plus efficaces), nous avions soutenu que la doctrine alors considérée comme intangible aurait tout au moins besoin d’un remaniement. […] Mais si, comme nous avons essayé de le montrer, la vie mentale déborde la vie cérébrale, si le cerveau se borne à traduire en mouvements une petite partie de ce qui se passe dans la conscience, alors la survivance devient si vraisemblable que l’obligation de la preuve incombera à celui qui nie, bien plutôt qu’à celui qui affirme ; car l’unique raison de croire à une extinction de la conscience après la mort est qu’on voit le corps se désorganiser, et cette raison n’a plus de valeur si l’indépendance de la presque totalité de la conscience à l’égard du corps est, elle aussi, un fait que l’on constate.

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