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366. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

Ce n’est pas le moment de venir faire de la morale à Voltaire pour un tort si universellement senti, et dont lui-même aujourd’hui aurait honte. […] À partir de ce moment, elle n’a plus que des éclairs de succès ; son astre baisse, mais non pas son dévouement ni son courage. […] On ne saurait douter qu’elle n’ait eu, au lendemain du siège d’Orléans, un moment d’exaltation et d’ivresse. […] Le comte d’Armagnac lui écrivait, des confins de l’Espagne, pour lui demander lequel des trois papes d’alors (il y en avait trois pour le moment) était le vrai et le légitime. […] Voilà la vraie douceur de Jeanne après son moment d’exaltation et quand sa fureur de guerre était passée.

367. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Pourtant il y eut des moments où il ne tint à rien que cette existence capricieuse et violente n’allât donner sur l’écueil où ses pareilles se brisent d’ordinaire, et d’où la plus habile ne serait pas revenue. […] C’était juste le moment où Ninon, cessant d’être la Ninon de la Fronde, de la régence et de sa première légèreté, devenait Mlle de Lenclos et passait au personnage qu’elle a de plus en plus perfectionné et soutenu jusqu’à la fin de sa vie. Saint-Évremond, pris en faute et un peu honteux sans doute de sa raillerie à faux, s’empresse de réparer, et il écrit à Ninon une lettre où il la loue comme elle le mérite, et où il nous la représente au naturel dans ce moment de transition et de métamorphose. […] Vous mêlez même les vertus à tous vos charmes, et, au moment qu’un amant vous découvre sa passion, un ami peut vous confier son secret. […] Elles sont d’une parfaite sincérité, et la nature humaine ne s’y déguise et ne s’y guinde en rien : on lui voudrait par moments quelques efforts de plus pour se tenir au-dessus d’elle-même.

368. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Cependant il y eut un moment où l’affaire devint plus chaude, et Lauzun eut ordre de faire une charge avec quelques dragons. […] On sent que la vanité, la fatuité est encore le fond de cette âme qui, par moments, semblait digne d’une direction meilleure. […] Oui, par moments, Lauzun relu ennuie : quel châtiment ! […] Je viens de relire dans Plutarque la Vie d’Alcibiade : il fut grand général à un certain moment, il rendit du milieu de l’exil des services signalés à sa patrie, releva l’honneur de ses armes sur terre et sur mer, et on put croire qu’Athènes n’aurait pas succombé sous Lysandre, si elle ne s’était pas privée une seconde fois d’Alcibiade. […] Il y a des traits fort spirituels ; il fait surtout plaisir à ceux qui ont connu, non Émilie, comme écrit Mme Necker, mais Amélie, et il fait mal quand on pense que cette excellente femme, recommandée à un Ange pour ses derniers moments, a été livrée au bourreau.

369. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Le moment où Mme de Senneterre se voit munie de cette lettre de recommandation, son étonnement involontaire en la retournant machinalement entre ses mains, sa préoccupation de l’accueil qui lui sera fait, son inquiétude pour sa toilette qu’il faut proportionner à la modestie de sa condition nouvelle, tout cela est pris dans la nature et devait rappeler à plus d’une lectrice des circonstances trop réelles et trop récentes : Extrêmement fatiguée de ne pouvoir m’arrêter à rien, racontait Mme de Senneterre, je me couchai. […] En un mot, La Dot de Suzette n’est pas un chef-d’œuvre, mais ç’a été un très agréable livre à son moment. […] Cette sorte de loi qui préside à la réputation de Voltaire s’est assez vérifiée jusqu’ici : il était très en hausse sous la Restauration, il est en baisse pour le moment, depuis qu’on sait où mènent les oppositions et les Frondes. […] Mais à un moment, et lorsque le parti royaliste ultra, dont il était un des libres meneurs, arriva au pouvoir avec MM. de Villèle et Corbière, M.  […] Quand sa réflexion n’allait pas jusqu’au volume d’une brochure, il lui fallait un journal pour y verser son courant et son trop plein, « pour y confondre, comme il disait, ses pensées du moment avec les circonstances du moment ».

370. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

C’était le moment de la réaction ultra-royaliste, et elle sévissait là comme ailleurs, s’emparant de quelques faits isolés qu’elle grossissait et exagérait. […] Decazes qui lui promit justice : « Quand on saura à Tours, écrivait-il à sa femme, que nous avons à Paris des gens qui pensent à nous, on nous laissera tranquilles… Je vois qu’on se fait ici un honneur et une gloire de me protéger. » Il y eut là un moment d’indécision pour Courier et qui tint à peu de chose ; On cherchait à le rallier, il n’était pas encore irréconciliable. […] Relue aujourd’hui, cette lettre paraîtra beaucoup moins piquante qu’on ne la trouva au moment même. […] Il y a pourtant cette différence entre la prose de Courier et la poésie de La Fontaine, que celle-ci paraît couler sans effort et sans que le bonhomme s’avertisse à tout moment qu’il est bonhomme, tandis que Courier s’avertit trop souvent qu’il est paysan et prend garde à l’être. […] Une bergère du lieu, la fille Grivault, revenant avec un jeune homme d’une assemblée de dimanche, s’était trouvée dans le bois sous la feuillée au moment du coup ; elle avait tout vu et n’avait rien dit.

371. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

La plupart des prétendus auteurs se contentent de travailler sur des idées étrangères, qu’ils retournent et qu’ils accommodent au goût du moment ; rien n’est plus rare que cette vivacité et cette hardiesse à peindre sa propre pensée et ses propres sentiments, qui fait l’auteur original. […] Il y a des pages (telles que celles sur la mort de Voltaire) qui me paraissent trop emphatiques pour être de Grimm, et qui, dans tous les cas, sont un tribut payé à l’opinion du moment. […] Alors il essaye de la poésie didactique et philosophique à la suite de Voltaire ; mais le vent tourne encore, et L’Esprit des lois de Montesquieu vient tenter Helvétius d’entreprendre ce malencontreux livre De l’esprit, qui arrivera lui-même quand le moment de faveur sera passé. […] Il fit, dès le premier jour, à ce grand mouvement presque universel, des objections sensées, froides, qui portaient sur tout ce qu’il y avait d’illusoire dans le vertige du moment, mais qui ne tenaient point assez compte de ce qui s’y agitait de profond. […] Il avait manqué, comme il le disait quelquefois, « le moment de se faire enterrer ». — Je n’ai pas craint de laisser voir, sans pourtant y trop appuyer, la doctrine morale de Grimm dans toute sa tristesse et son aridité, sans un désir et sans un rayon ; elle n’a rien qui puisse séduire.

372. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Manon s’amusant gaiement à coiffer de ses mains le chevalier, et choisissant ce singulier moment pour recevoir le prince italien qu’elle veut berner et à qui elle montre le miroir en disant : « Voyez, regardez-vous bien, faites la comparaison vous-même… » ; cette tendre et folâtre espièglerie n’était pas dans le premier récit, et c’est un petit épisode que Prévost a voulu ajouter après coup, un souvenir sans doute qui lui sera revenu. […] Si l’on pouvait supposer que l’auteur en a conçu un moment le projet, l’invention avec un but quelconque, on ne le supporterait pas. […] remarquez que déjà le plan se gâte : cet ami de Paris qui vient l’informer des nouvelles dans sa solitude, et qui lui est plus nécessaire qu’il ne pense, répond à une faculté secrète qui est en lui : il y a dans l’abbé Prévost un curieux, en effet, un journaliste, un homme à l’affût des livres et des productions du moment. […] On l’y verrait tel qu’il était, ni plus ni moins, avec ses gaietés familières et ses échappées spirituelles, même en ses moments de retraite et de demi-repentir : car, de tous les hommes célèbres de son temps, il est, avec Lesage, celui qui certainement a le moins songé à poser. […] C’était le moment où la diète de l’Empire était assemblée à Francfort pour l’élection d’un empereur.

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