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924. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Les anciens servent d’excuse aux modernes, les modernes font comprendre les anciens. […] Le bon Guéret avait prévu le roman moderne, et s’était appliqué à le réformer. […] L’artiste aspirant au bourgeois, comme le bouton rêve d’être fleur, c’est le comédien moderne, le peintre moderne, comme du reste c’est l’homme de lettres moderne, le romancier moderne, le peintre moderne et le musicien moderne. […] Enfin, elle est moderne, et j’ajoute que ce n’est pas ce qu’elle fait de mieux. […] Elle veut, elle aussi, qu’on imite, mais ce sont les modernes qu’elle veut qu’on imite.

925. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Il oppose au théologien non-seulement les découvertes et l’esprit moderne, mais les Écritures et l’esprit ancien. […] Il imite le style de Montaigne, et surprend l’attention par le contraste du langage suranné et du langage moderne. […] Ainsi poursuivi et ainsi instruit, il comprit que l’argent est le grand ressort de la vie moderne. […] Voilà bien des choses à lire, et nouvelles ; les modernes écrivent trop. […] Un roi moderne qui voudrait bien jouer son personnage devrait toujours avoir leurs discours sur sa table.

926. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Pasquier peuvent bien apprécier tout ce qu’on apprend à les voir et à les entendre, et que la théorie moderne ne supplée pas. […] Quelle plus fine et plus piquante raillerie que celle qu’il fait de ces honnêtes bourgeois de la république des lettres, gens à idées rangées, bornés d’ambition et de désirs, satisfaits du fonds acquis, et trouvant d’avance téméraire qu’on prétende y rien ajouter : « Ce sont, dit-il en demandant pardon de l’expression, des esprits retirés, qui ne produisent et n’acquièrent plus ; mais ils ont cela de remarquable qu’ils ne peuvent souffrir que d’autres fassent fortune. » Relevant le besoin de nouveauté qui partout se faisait sourdement sentir, et qui s’annonçait par le dégoût du factice et du commun, ces deux grands défauts de notre scène  : « Qu’il paraisse, s’écriait-il, une imagination indépendante et féconde, dont la puissance corresponde à ce besoin et qui trouve en elle-même les moyens de le satisfaire, et les obstacles, les opinions, les habitudes ne pourront l’arrêter. » Bien des années se sont écoulées depuis, non pas sans toutes sortes de tentatives, et le génie, le génie complet, évoqué par la critique, n’a point répondu : de guerre lasse, un jour de loisir, M. de Rémusat s’est mis, vers 1836, à faire un drame d’Abélard, qui, lorsqu’il sera publié (car il le sera, nous l’espérons bien), paraîtra probablement ce que la tentative moderne, à la lecture, aura produit de plus considérable, de plus vrai et de plus attachant. […] La remarquable préface qu’il mit en tête, à côté du cachet métaphysique moderne dont elle est empreinte, offre des traces de sa préoccupation politique récente. […] Dans cette suite d’Essais qui s’enchaînent assez exactement, M. de Rémusat s’applique à démontrer que la philosophie existe ; qu’elle est une science ayant pour objet les idées essentielles de l’intelligence humaine ; qu’une critique attentive et sévère des grands systèmes philosophiques modernes fournit déjà la méthode et les principales données ; qu’une conciliation raisonnée entre Descartes, Reid et Kant, constitue, à proprement parler, l’éclectisme moderne. […] Ce moderne Abélard, en ses heures d’angoisse, a de l’antique Prométhée.

927. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

Le respect pour ces règles était une superstition d’alors, plutôt qu’un consentement intelligent et réfléchi donné par l’esprit moderne à un précepte de l’esprit antique, par la poétique française à une discipline de la poétique grecque. […] C’est, comme l’a très bien fait remarquer Chateaubriand26, la femme de la société moderne, telle que l’a faite le christianisme ; c’est l’âme de l’Andromaque antique, perfectionnée par l’esprit moderne. […] Combien plus dans nos sociétés modernes, où les mœurs et la religion lui ont rendu son rang, et où l’union de la beauté morale et de la beauté physique compose l’idéal de la femme ! […] Il a tort, dit-on, de transporter dans une fable grecque, juive ou romaine, des caractères de femme façonnés par la société moderne. […] Le manque d’exactitude dans le costume ne touche que les savants ; des caractères mal développés ou incomplets, des personnages qui ne diraient pas tout ce qu’ils doivent sentir, des passions à demi exprimées, des sentiments sans nuances, choqueraient, dans un parterre moderne, tout ce qui a du cœur et de la raison.

928. (1925) La fin de l’art

Ferrero, qui est un long dialogue philosophique à la manière de Renan, un assez curieux personnage, sorte de Caliban en qui se concentre l’essence du béotisme moderne ou encore du futurisme moderne, ce qui est bien près d’être la même chose. […] Je pense à ceux qui n’ont pas pour la symétrie le respect moderne. […] Transmutation Les derniers alchimistes sont très fiers parce que la chimie moderne a repris quelques-uns de leurs thèmes, par exemple celui de la transmutation des métaux ; il y a beaucoup de différence entre les deux séries de recherches, mais il y a aussi une ressemblance, c’est qu’elles sont très capables, aujourd’hui comme hier, de ruiner leurs adeptes. […] Petit-Jean remontait avant le déluge ; le moderne juge de paix n’a pas de notions sur les époques mythiques : il a l’esprit positif, il entre du premier coup dans l’histoire. […] Le vin S’étant mise à substituer aveuglément le raisonnement à l’expérience, la médecine moderne décréta contre le vin.

929. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

Je le retrouve toujours nouveau, toujours savant, toujours moderne, jamais anachronique et jamais épuisé. […] Edmond Rostand, seul entre tous les poètes modernes, M.  […] C’est qu’ils ont éveillé dans la poésie moderne une Muse nouvelle qui dormait depuis toujours, Belle au Bois-Dormant du rêve, dans la forêt ténébreuse des rythmesf et des rimes, et qu’avec son charme neuf, mystérieux encore, aussi indéfini qu’ensorceleur, la Muse récente nous apparaît plus tentante et plus fatalement maîtresse. […] Il y a des poèmes d’amour de Musset, de douleur de Baudelaire, des élévations philosophiques de Vigny ou de Leconte de Lisle, des frissons de sensibilité moderne de Verlaine ou de Samain dont je ne trouve pas l’équivalent dans Hugo. […] C’est l’âme la plus naturellement poétique des temps modernes avec Byron, Shelley, Ronsard, Le Tasse.

930. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

L’ennui que répand Gœthe est grand comme sa gloire, et sa gloire littéraire — il faut bien en convenir — est la plus grande des gloires modernes. […] Pour ne parler que des modernes, comptez les femmes de Byron, de Balzac, qui en a peint un si grand nombre, et de Walter Scott, à qui on a bien reproché de les faire froides, mais qui, du moins, ne les fait pas se ressembler dans leur froideur. […] » mais, plus badaud que le Grec, le moderne ajoute : « Tu me caches l’humanité ». […] C’est une des plus modernes, si ce n’est pas la plus moderne. […] Lewes, le grand préjugé, — la grande pagode qu’il affecta d’être toute sa vie… le Messie poétique, philosophique et scientifique des temps modernes, mort sans calvaire, sous les courtines d’un lit bien chaud, après quatre-vingts ans de bien-être, et dont une conjonction d’étoiles (rien que ça !)

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