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804. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

Bérenger, mais je craindrais de m’étendre outre mesure en m’aventurant à leur discussion minutieuse. […] Cette première mesure suffirait à purifier la direction des journaux d’une bande de forbans ou de barnums qui la déshonorent en battant monnaie avec l’honneur du pays. » On ne saurait désigner avec plus de justesse et d’élégance les Judet, les Rochefort et autres Polonais. […] Cette seconde mesure élèverait singulièrement le niveau du journalisme contemporain. […] Le devoir du sociologue n’est donc pas d’améliorer cette institution barbare au moyen de mesures éphémères ; tout au contraire, il doit s’efforcer de la détruire, de toutes ses forces et avec tout son courage. […] Mais ce sont là, paraît-il, des préjugés d’un autre âge et la gloire de nos jeunes arrivistes se mesure maintenant au nombre de scalps ravis aux têtes de leurs aînés ; au moins faudrait-il respecter les morts, selon les usages des Peaux-rouges à qui nous devons ce sport d’un nouveau genre, et M. 

805. (1922) Gustave Flaubert

La grandeur du sacrifice se mesure à celle de la chose sacrifiée. […] Si « une âme se mesure à la dimension de son désir », Emma apparaît très grande. […] Il est fait pour se couler aussi passivement que lui dans la vie sociale et pour s’adapter aussi exactement à sa mesure. […] Il loue Madame Bovary à peu près dans la même mesure que Fanny, dont le succès balança celui du romande Flaubert. […] On peut dire : Frédéric c’est lui, dans la mesure à peu près où il a dit : Mme Bovary, c’est moi.

806. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Il conviendra de chercher la mesure dans laquelle fut ou non française l’œuvre de Mallarmé. […] Adversaires et amis dépassent la juste mesure. […] Mallarmé peut-être a dépassé la mesure dans le sens contraire de finesse et de silence. […] Il est une mesure au-delà de laquelle une image trouvée ne doit pas prendre le masque d’une raison. […] » Notre dignité ne consiste que dans la pensée : ce qui la reconnaît de l’extérieur l’amoindrit et la nie dans la mesure où il la consacre.

807. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Poète, philosophe, citoyen, magistrat, consul, administrateur de provinces, modérateur de la république, idole et victime du peuple, théologien, jurisconsulte, orateur suprême, honnête homme surtout, il eut de plus le rare bonheur d’employer tous ces dons divers, tantôt à l’amélioration, au délassement et aux délices de son âme dans la solitude, tantôt au perfectionnement des arts de la parole par l’étude, tantôt au maniement du peuple, tantôt aux affaires publiques de sa patrie, qui étaient alors les affaires de l’univers, et d’appliquer ainsi ses dons, ses talents, son courage et ses vertus au bien de son pays, de l’humanité, et au culte de la Divinité, à mesure qu’il perfectionnait ces dons pour lui-même ! […] Tout en prévenant, par ses mesures, la disette qui menaçait le peuple romain, il ménagea la Sicile, et s’y fit adorer ; il la parcourut tout entière, moins en proconsul qu’en philosophe et en historien curieux de rechercher dans ses ruines les vestiges de sa grandeur antique. […] Parvenu à l’âge de quarante et un ans, possesseur par ses héritages personnels et par la dot de Térentia, sa femme, d’une fortune qui ne fut jamais splendide (car il ne plaida jamais que gratuitement, pour la justice ou pour la gloire, jugeant que la parole était de trop haut prix pour être vendue) ; lié d’amitié avec les plus grands, les plus lettrés et les plus vertueux citoyens de la république, Hortensius, Caton, Brutus, Atticus, Pompée ; père d’un fils dans lequel il espérait revivre, d’une fille qu’il adorait comme la divinité de son amour ; n’employant son superflu qu’à l’acquisition de livres rares, que son ami, le riche et savant Atticus, lui envoyait d’Athènes ; distribuant son temps, entre les affaires publiques de Rome et ses loisirs d’été dans ses maisons de campagne à Arpinum, dans les montagnes de ses pères ; à Cumes, sur le bord de la mer de Naples ; à Tusculum, au pied des collines d’Albe, séjour caché et délicieux ; mesurant ses heures dans ces retraites comme un avare mesure son or ; donnant les unes à l’éloquence, les autres à la poésie, celles-ci à la philosophie, celles-là à l’entretien avec ses amis ou à ses correspondances, quelques-unes à la promenade sous les arbres qu’il avait plantés et parmi les statues qu’il avait recueillies, d’autres au repas, peu au sommeil ; n’en perdant aucune pour le travail, le plaisir d’esprit, la santé ; se couchant avec le soleil, se levant avant l’aurore pour recueillir sa pensée avant le bruit du jour dans toute sa force, sa santé se rétablissait, son corps reprenait l’apparence de la vigueur, sa voix ces accents mâles et cette vibration nerveuse que Démosthène faisait lutter avec le bruit des vagues de la mer, et plus nécessaires aux hommes qui doivent lutter avec les tumultes des multitudes. […] La destinée semblait lui donner tout à la fois, au commencement de sa vie, cette dose de bonheur et de calme qu’elle mesure à chacun dans sa carrière, comme pour lui faire mieux savourer, par la comparaison et par le regret, les années de trouble, d’action, de tumulte, d’angoisse et de mort dans lesquelles il allait bientôt entrer.

808. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

Ce malheur troubla plus que je ne saurais le dire le reste du temps déjà si court que nous passâmes ensemble ; et, à mesure que le terme approchait, cette nouvelle séparation me paraissait bien plus amère et plus horrible. […] Les éléments très mêlés de la société qui se réunissait chez eux étaient à demi révolutionnaires, à demi royalistes, en mesure ainsi avec les deux partis qui luttaient dans la nation. […] « Je pris donc toutes mes mesures pour vivre sans tache, libre et respecté, ou, s’il le fallait, pour mourir, mais en me vengeant. […] Chaque nuit on pouvait venir me chercher ; mais j’avais pris toutes mes mesures pour ne me laisser ni surprendre ni maltraiter.

809. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Les apothéoses de la démagogie ne sont des fêtes que pour le pouvoir absolu, qui mesure d’avance ce qu’il trouvera de facilités dans ceux qu’elles réjouissent comme dans ceux qu’elles épouvantent. […] J’oserai le faire dans la mesure de mes forces. […] Relever ces abus, réclamer cette réforme, ce pouvait être la tâche et la gloire d’un moraliste bienfaisant ; mais cette gloire-là ne tente pas l’utopiste, lui qui ne sait qu’opposer à la chimère d’un bien sans mélange la chimère d’un mal sans mesure, et offrir l’optimisme comme correctif du pessimisme. […] L’esprit d’utopie s’accroît à mesure que l’esprit de devoir diminue.

810. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Mais on peut assembler en une mesure harmonieuse de douze, dix, huit syllabes, des mots ne présentant à l’esprit rien de poétique ; il est des vers admirables musicalement et techniquement, faits de noms propres d’inconnus ; enfin des mots dont l’ensemble manque de nombre, peuvent donner la grande impression du lyrisme ; il faut donc qu’il y ait quelque caractère intrinsèque des mots ou plus généralement de l’expression et des idées exprimées, qui constitue le poétique, et ce caractère doit nécessairement être fort général et fort simple, pour permettre de classer ensemble des écrits aussi différents qu’un poème de Shelley, certaines descriptions de Zola, Salammbô et les Méditations, un tableau de l’Iliade, une analyse psychologique de Baudelaire, une aventure galante contée par Byron, les petites pièces lyriques de Heine, des pensées de Pascal, certaines hautes conceptions de la science, quelques-unes des plus belles toiles et presque toute la grande musique. […] À mesure que l’histoire s’est faite plus artistique, qu’écrite par des voyants, elle a puisé davantage chez les poètes, les dramaturges, les romanciers, les mémorialistes, les époques passées nous sont apparues. […] Ils ont été également accueillis avec faveur parmi les jeunes artistes de ce temps, comme ceux de Dostoïewski, et nul doute que dans quelques années, leur influence se manifestera, dans une mesure que l’on ne peut encore déterminer, dans les romans à venir. […] La vie de société, telle qu’on l’entend aujourd’hui, développe simultanément, à mesure quelle avance, ces deux conditions, unissant les hommes par leurs intérêts seuls et les risques qu’ils courent, les dispensant de s’unir de cœur, par suite même de la perfection actuelle des institutions légales, policières, de politesse, qui, permettant de vivre sans que l’on se heurte, empêchent aussi que l’on se touche.

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