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275. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Mais la matière ? […] La probité de la matière et celle de la forme n’en font qu’une. […] Mais en matière intellectuelle c’est le contraire. […] Je n’ai en ces matières, ni l’autorité de M.  […] En matière dramatique la composition est aussi nécessaire qu’en matière oratoire.

276. (1932) Le clavecin de Diderot

La matière muette et éternelle (éternelle, ici, voulant dire immuable). […] Dans les trous qu’il a creusés à même la matière pensante et le muscle émotif, le vent a pris place, règne en maître. […] Un certain somnambulisme, pour surprenantes qu’aient pu sembler à son propre réveil, ou à la contemplation d’autrui, ses promenades au sommet des toits, n’en a pas moins, de sa marche, foulé la matière. […] Qu’on gratte certaines crasses, qu’on se refuse à la tradition ignorantine, qu’on ne laisse plus tourner à l’endive, au fond d’artichaut filandreux la matière érectile, la matière sensible, et de se condenser, se concentrer la tartuferie éparse dans l’atmosphère d’un monde petit-bourgeois. […] Ainsi le veut la tradition de l’Église de toutes les Églises, pour qui l’esprit devient matière, le Verbe se fait chair.

277. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Avant d’entrer dans cette grande matière, il importe d’être fixé sur le sens du mot littérature, et de se mettre d’accord avec l’opinion générale sur l’objet de cette histoire. […] C’est ce que je cherche, depuis déjà bien des années, avec une ardeur quelquefois découragée, mais que soutient, contre la difficulté de la matière, l’amour même que cette étude m’a donné pour mon pays. […] Quoiqu’il ne s’agisse que de l’esprit français dans la littérature, comme tout ce qui est de la vie politique et sociale des arts, de la religion, de la philosophie, tout ce qui est une matière pour l’activité humaine, a été exprimé ou peut l’être par la littérature, on est bien près de connaître tout le fonds de sa nation, quand on en connaît l’esprit dans les œuvres littéraires. […] Que de termes qui n’appartiennent pas à la matière, et qui s’y introduisent par le relâchement de l’attention par la mémoire, par l’imitation ?

278. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

A ce mérite se joint, chez les écrivains secondaires du xvie  siècle, un mérite de nouveauté durable dans la langue qu’ils emploient à tous les usages et introduisent dans toutes les matières. […] J’ai dit que la matière unique de l’activité intellectuelle de ce siècle, c’était l’homme, l’humanité considérée du point de vue le plus général. […] Les penseurs du xvie  siècle s’en emparèrent, et l’étendirent à toutes les matières, à tout ce qui intéresse l’homme. […] Ajoutez-y toutes les grâces d’un style approprié à la matière, abondant et coloré dans tout ce qu’il emprunte d’images à la nature extérieure délicat et exquis dans de chastes peintures des passions, insinuant et suave pour rendre la piété aimable, efficace parce qu’il est affectueux.

279. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Il y étudia beaucoup et sur d’autres matières encore que celles qu’on y enseignait, ou du moins il les prit dans un tout autre sens, et s’annonça dès cet âge comme un esprit philosophique et indépendant. […] La suite de ces réflexions écrites de 1772 à 1775 sur toutes les matières et sur tous les livres dont il s’occupe, qu’il réfute ou qu’il refait, sur Condillac, sur Bonnet, sur Helvétius, sur les économistes, demanderait une suite de chapitres, et je ne puis ici donner qu’un aperçu général. […] voilà un bien grand mot ; mais ce qui me paraît certain, et ce qui le serait, je le crois, pour tous ceux qui auraient jeté les yeux sur cette suite de pensées neuves et hardies, produites par lui dès sa première jeunesse, c’est qu’il y avait en Sieyès du Descartes, c’est-à-dire de l’homme qui fait volontiers table rase de tout ce qui a précédé, et qui recommence en toute matière, sociale, économique et politique, une organisation nouvelle et une. […] C’est que les faits du clergé le touchent, et qu’en cette matière l’intérêt personnel l’avertit de ne pas s’en remettre à la théorie pure.

280. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Il y eut certainement un même état de l’esprit en France qui se signifia par les théories de Descartes, où la pensée est séparée radicalement de la matière et comme réduite à l’abstraction, par la poésie abstraite de Boileau, par la poésie toute psychologique et aussi trop abstraite de Racine, enfin par la peinture abstraite et idéaliste du Poussin29. […] C’est là sa matière, et la matière conditionne toujours la forme. Pourtant, elle ne la produit pas ni ne l’impose entièrement ; la marque du génie est précisément de trouver une forme nouvelle que la connaissance de la matière donnée n’aurait pas fait prévoir.

281. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

L’imagination est une puissance toute formelle à laquelle la mémoire fournit une matière. […] Je l’accorde ; mais peut-être est-il philosophique de remarquer que, dans l’expression un fait, le mot un n’a aucun sens précis : car, selon le point de vue ou le caprice de l’esprit, un fait est une fraction de fait, le même fait ou une de ses fractions est un ensemble de faits ; l’expérience ne nous donne que du fait ; sur cette matière indifférente à l’unité, nous appliquons à notre guise la forme de l’unité ; quelle que soit l’étendue phénoménale embrassée par l’unité, la matière qui la reçoit ne nous contredira jamais ; pour régler l’usage de cette notion, l’esprit ne doit consulter que les convenances de la science qui l’occupe36. […] Pour la psychologie classique, la pseudo-sensation n’est guère qu’une faculté de reproduction et d’imitation ; l’empirisme anglais la représente concourant avec l’association pour former toutes nos idées sans le secours d’un entendement chimérique : la faculté des images fournit la matière de ces produits nouveaux, l’association des idées en explique la forme imprévue.

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