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811. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Il fut dit que chacun y mènerait sa corneille 9, et que celui qui manquerait à cette obligation payerait un bon dîner ; il fallait s’en pourvoir d’une, si l’on n’en avait point, pour ne pas payer cette amende. […] me dit-il avec un regard terrible et une voix altérée. — Je vous apporte, lui dis-je, vos joyaux, où il ne manque rien. […] Un jour, le prélat étant à sa fenêtre, Benvenuto allait tirer sur lui, s’il ne s’était retiré ; mais, ayant manqué son coup, il tira sur un pigeon qui couvait au haut du palais, et lui enleva la tête, chose difficile à croire ; car il ne voyait que cela du corps de l’oiseau. […] Deux jours après, je tirai, sur le haut du palais Santa-Fiore, un pigeon qui couvait dans un trou, et qui avait été manqué plusieurs fois par l’orfèvre Tacca, qui était mon rival au tir de l’arquebuse. […] — Il a beau se cacher, répondis-je ; si je prenais mon arquebuse, je ne le manquerais pas.

812. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

Celui-ci me salua, et son maître eut l’air de rire, et me renvoya le gentilhomme espagnol pour me demander les hardes que j’avais données à Ascanio, auxquelles d’ailleurs il ne tenait pas, parce que ce jeune homme n’en manquerait jamais. […] Cherubino et le Milanais blessé, que le coup porté à Pagolo n’avait fait que lui écorcher la peau ; que le maître de poste était mort, et que ses fils se préparaient à le venger ; ils me suppliaient de ne pas recommencer la querelle, dans laquelle je ne manquerais pas de succomber. […] Si vous êtes ce Benvenuto dont j’ai appris tant de choses, ajouta-t-il, faites selon votre coutume, je vous en donne pleine licence. — Il me suffit de conserver les bonnes grâces de Votre Majesté, lui répartis-je ; je ne crains rien pour le reste. — Hé bien, allez, me répondit ce prince en souriant, elles ne vous manqueront jamais. […] Ce n’est point la vanité qui m’arrache ces tristes réflexions ; je les fais pour rendre grâce à Dieu, dont la puissante protection ne m’a jamais manqué, parce que je l’ai toujours imploré au milieu de mes angoisses. » Ce mélange de scélératesse et de dévotion sincère donne à ce temps un caractère de pittoresque moral qui n’éclate jamais mieux que dans ce naïf scélérat. […] Finalement, j’arrivai au pied de la jambe droite, et je trouvai le talon rempli, ce qui, me faisant plaisir d’un côté, me fâchait de l’autre, parce que j’avais prédit au duc qu’il n’arriverait pas à bien ; mais il manquait quelque chose aux doigts, et j’en fus bien aise, afin de lui faire voir que je savais ce que je disais ; car la matière ne serait jamais parvenue jusqu’à ce pied, et il aurait totalement été manqué, si je n’avais jeté dans le fourneau toute ma vaisselle d’étain, ce que personne n’avait imaginé avant moi.

813. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Éviter quelque réalité d’échafaudage demeuré autour de cette architecture spontanée et magique, n’y implique pas le manque de puissants calculs et subtils, mais on les ignore, eux-mêmes se font mystérieux exprès. […] Les longues œuvres manquent d’unité et par conséquent, dans leur ensemble, échappent à la poésie. […] Sa pensée est désolée, manque parfois d’ampleur, non pas de profondeur, non pas de noblesse. […] oui, ce qui lui manque pour être le trésor de toute la vérité. […] Mais ceux-ci manquent eux-mêmes d’assurance totale, expliquent le comment des choses, avouent qu’ils ignorent le pourquoi.

814. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Mais un sentiment supérieur, le sentiment le plus cher et le plus universel de la jeunesse, manquait encore, et le cœur allait éclater. […] si M. de Lalande me fait nommer au Lycée de Lyon et que je gagne le prix de 60, 000 francs, je serai bien content, car tu ne manqueras plus de rien… » Ce fut Davy qui gagna le prix par sa découverte des rapports de l’attraction chimique et de l’attraction électrique, et par sa décomposition des terres. […] Cousin a remarqué que ce qui manque à la philosophie de M. de Biran, où la volonté réhabilitée joue le principal rôle, c’est l’admission de l’intelligence, de la raison, distincte comme faculté, avec tout son cortége d’idées générales, de conceptions. […] Il manquait essentiellement de calme, et n’avait pas la mesure et la proportion dans les rapports de la vie. […] Quoique cela manque un peu de rigueur, la lacune signalée par M. 

815. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

L’amour est le seul enchantement qui manque à cette femme. […] La fortune seule lui avait manqué pour tenir le premier rang parmi les salons littéraires de l’Europe ; elle avait assez de flamme pour illuminer seule dix salons ; elle donnait de l’âme à tout ce qui l’approchait. […] Les vers étaient beaux, raciniens, bibliques, dignes d’une main qui avait façonné tant de prose en rythmes aussi sonores que les plus beaux vers ; l’originalité seule manquait : c’était un écho de Racine et de David, ce n’était ni David ni Racine : c’était leur ombre, un pastiche d’homme de génie, mais pastiche ; cela ressemblait aux tragédies en monologues du Piémontais Alfieri, ce faux Sénèque d’une fausse Rome. […] Presque toute cette société était jeune, car le supplice en ce temps avait raccourci la vie des pères ; il manquait un degré ou deux à l’échelle ordinaire des générations : la guillotine avait rajeuni les salons de Paris. […] Mon cœur était à la légitimité, mon esprit à la liberté ; je ne voulais manquer ni à mes souvenirs ni à la liberté complète de député indépendant.

816. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Grandet inspirait donc l’estime respectueuse à laquelle avait droit un homme qui ne devait jamais rien à personne, qui, vieux tonnelier, vieux vigneron, devinait avec la précision d’un astronome quand il fallait fabriquer pour sa récolte mille poinçons ou seulement cinq cents ; qui ne manquait pas une seule spéculation, avait toujours des tonneaux à vendre alors que le tonneau valait plus cher que la denrée à recueillir, pouvait mettre sa vendange dans ses celliers et attendre le moment de livrer son poinçon à deux cents francs, quand les petits propriétaires donnaient le leur à cinq louis. […] Ce bredouillement, l’incohérence de ses paroles, le flux de mots où il noyait sa pensée, son manque apparent de logique, attribués à un défaut d’éducation, étaient affectés, et seront suffisamment expliqués par quelques événements de cette histoire. […] Le corsage bombé, soigneusement voilé, attirait le regard et faisait rêver ; il manquait sans doute un peu de la grâce due à la toilette ; mais, pour les connaisseurs, la non-flexibilité de cette haute taille devait être un charme. […] Allons, égaye-toi, ma femme ; porte-toi bien ; tu ne manqueras de rien, ni Eugénie non plus. […] Sans ce beau phénomène humain, point de vie au cœur ; l’air lui manque alors, il souffre et dépérit.

817. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Dombey, d’une assemblée d’hommes positifs et rassis, discutant, à mots rares, leurs affaires d’intérêt ou de gloriole, d’une réception guindée dans le monde, des conciliabules d’un couple de mielleux coquins, les insinuations, les mots manifestement hostiles et moqueurs ne manquent pas de postuler l’aversion et le mépris du lecteur. […] C’est qu’il faut à toute force, et même contre la vraisemblance, que le spectateur ne puisse se tromper sur l’impression qu’on veut lui causer, et quand Gavarni et Grévin manquent à cette règle du grotesque forcé, c’est qu’ils deviennent peintres de mœurs et cessent d’être de véritables caricaturistes. […] Pickwick, par une épopée caricaturale et drolatique ; depuis, l’humour, la gaieté communicative et innocente qui fait le fond de ce récit, un des meilleurs, n’a manqué dans aucune des œuvres suivantes. […] Par un manque de sérieux, une timidité pudibonde, plus native qu’acquise et dans laquelle il eut la faiblesse de se laisser confirmer par l’opinion publique, l’écrivain anglais n’osa même essayer l’application de sa morale d’innocence à cette pierre de touche de toute éthique, les relations entre les deux sexes. […] Dickens n’y a pas manqué et si, chez lui, la tentative et son insuccès sont plus notables que chez d’autres, c’est que le sentiment a plus nui en lui que ce n’est généralement le cas, à l’intelligence proprement dite, à la formation des idées et à leur association.

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