… Ce qui manque à ses Vignes du Seigneur, ce n’est ni la couleur, ni le mouvement, ni les surfaces ; mais c’est ce qui constitue toute poésie et même toute œuvre littéraire supérieure : l’accent naïf ou profond d’une personnalité à soi, d’une individualité inconnue et tout à coup révélée ! […] Louvet n’a jamais rien observé que ce qui fait baisser les yeux à un honnête homme, et le nom qu’il mérite ne peut s’écrire en littérature, tandis que Monselet, qui a sans doute pour Louvet l’indulgence d’un biographe de Rétif de la Bretonne, ne manque point d’observation réfléchie, et « la bonne humeur » dont il nous parle aussi dans sa préface et dont nous aurions souhaité qu’il eût voilé quelques éclats, est de cette bonne humeur à la façon des satiriques, qui ont une manière de rire à eux, comme rirent, de leur temps, Johnstone et Le Sage… Monselet s’est calomnié gratuitement en se comparant au plat et indécent auteur de Faublas. […] … Est-ce que Monselet manquerait de confiance en lui-même ?
Cet homme contenu, cet ajusteur, cet archer qui tirait toujours à l’œil droit de Philippe ou au talon d’Achille et qui ne les manquait jamais, ne se cambrait point en Apollon du Belvédère quand il avait lancé sa flèche. […] La durée ou l’immortalité, pour les œuvres, n’est pas une question de forme, mais d’essence, et c’est pour cela que tant d’œuvres meurent et disparaissent qui n’existaient que par un certain agencement de parties, un certain style, un certain art d’ensemble, mais qui, sans manquer de talent, manquaient de génie ou d’esprit.
Rien n’a manqué à sa fortune : ni la pointe de scandale, qui est le sel d’un livre en France, ni l’intérêt dramatique d’un procès. […] La Madame Bovary du roman manque du sentiment maternel, et c’est un des caractères de son type. […] Cette société ne manque pas de vérité, sans doute, mais c’est de petite vérité, de vérité raccourcie, et un observateur de l’acuité de M.
Mais toute la scène même est manquée, ou une très grande partie de la scène, selon Rousseau. […] Elle ne manque pas de le dire et Molière ne manque pas de lui faire dire : « Dandin : Je suis votre valet, ce n’est pas là mon compte et les Dandin ne sont point accoutumés à cette mode-là. […] Vous savez que je ne manque pas de cœur et que je sais me servir de mon épée quand il le faut. […] Qui ne serait pas un peu fâché si le filou venait à être surpris et à manquer son coup ? […] Qu’importe qu’elle manque aux lois de Vaugelas, Pourvu qu’à la cuisine elle ne manque pas ?
Mais un bon Génie, un Amschaspand, aurait de quoi répondre : « A travers ce manque de goût et ces torrents d’invectives, il y a des restes de candeur, une sincérité incontestable bien que si muable en sa rapidité ; l’amour de l’humanité, de ce que l’auteur croit tel, y compense à ses yeux la haine pour quelques individus ; la fibre humaine vibre en certains endroits sous une touche dont très-peu sont capables. […] Descendant de madame de Maintenon par alliance, il a pensé avec raison qu’il y avait un grand travail à faire sur les lettres de sa grand’tante, car il manque sur elle ce qu’on a fait sur madame de Sévigné, et il n’existe pas de bonne édition ni de complète.
Les grands hommes ne leur manqueront pas, elles peuvent le croire ; l’âge brillant des poëtes n’est peut-être pas fermé encore ; l’infatigable humanité n’a peut-être pas épuisé tous ses génies ; mais, en laissant à la Providence le soin de susciter les génies en leur temps, les générations nouvelles, en présence de ces tombes glorieuses dont elles sont appelées à sceller les pierres, doivent y contracter le saint engagement de ne pas s’arrêter dans la route de la civilisation et des lumières bienfaisantes, de rester probes, sincères, amies de tout progrès, de toute liberté, de toute justice. […] Walter Scott, s’il manqua d’un caractère politique conforme aux besoins nouveaux, s’il resta sur ce point l’esclave des préjugés de son éducation et peut-être aussi de ses prédilections poétiques, eut du moins le bonheur de combattre très rarement, par ses paroles ou par ses actes, le développement légitime où sont engagés les peuples.
Il ne me manque point de vaisseaux, ni de matelots, ni d’un grand nombre d’officiers de zèle, mais il me manque des chefs qui aient du talent, du caractère et de l’énergie. » Le désir, le besoin de Napoléon eût été de susciter quelque part, dans les rangs trop éclaircis de ses flottes, un grand homme de mer et du premier ordre, qui pût tenir en échec la puissance rivale dans cette moitié flottante de l’empire du monde ; mais un tel génie, à la fois supérieur et spécial, se rencontre quand il plaît à la nature, et ne se suscite pas.