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366. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

Permission pourtant d’en dire du mal. » III Quelquefois la diatribe s’assaisonne de chaux vive. […] Il y a eu, c’est vrai, des époques où l’on pensait autrement ; dans ces temps-là les choses sur lesquelles on marchait le prenaient quelquefois mal, et se soulevaient ; mais c’était l’ancien genre, ridicule maintenant, et il faut laisser dire les fâcheux et les grognons affirmant qu’il y avait plus de notion du droit, de la justice et de l’honneur dans les pavés d’autrefois que dans les hommes d’aujourd’hui. […] Une maisonnette est mal située sur la cataracte du Niagara ou dans le cirque de Gavarnie ; il est malaisé de faire ménage avec ces farouches merveilles ; pour les voir habituellement sans en être accablé, il faut être un crétin ou un génie. L’aurore elle-même nous semble parfois immodérée ; qui la regarde en face, souffre ; l’œil, à de certains moments, pense beaucoup de mal du soleil. […] Votre intelligence, ils la dépassent ; votre imagination, ils lui font mal aux yeux ; votre conscience, ils la questionnent et la fouillent ; vos entrailles, ils les tordent ; votre cœur, ils le brisent ; votre âme, ils l’emportent.

367. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Il n’en est pas ainsi : la démocratie est un fait humain, et, comme tous les faits humains, mélangé de bien et de mal. […] Quels sont les biens et les maux qu’elle est capable de procurer aux hommes ? […] Quant aux inconvénients et aux vices de ces institutions, Tocqueville en signale un grand nombre, tels que l’instabilité des lois, l’infériorité de mérite dans les gouvernants, l’abus de l’uniformité, l’excès de la passion du bien-être ; mais le mal décisif et générateur, celui qui produit ou envenime tous les autres, et contre lequel les États démocratiques doivent sans cesse lutter, c’est la tendance à la tyrannie. […] En signalant avec tant de force, et peut-être avec un excès d’inquiétude, les maux et les périls que la démocratie recèle dans son sein, M. de Tocqueville a-t-il voulu décourager les sociétés démocratiques, les ramener aux institutions du passé, et leur proposer comme remède une restauration plus ou moins profonde de l’ancien régime ? […] « Il ne restait plus qu’à choisir, disait-il, entre des maux inévitables ; la question n’était pas de savoir si l’on pouvait obtenir l’aristocratie ouladémocratie, mais si l’on aurait une société démocratique sans poésie et sans grandeur, mais avec ordre et moralité, ou une société démocratique désordonnée et dépravée, livrée à des fureurs frénétiques ou courbée sous un joug plus lourd que tous ceux qui ont pesé sur les hommes depuis la chute de l’empire romain. » Au reste, M. de Tocqueville, quand il propose et indique les remèdes qui lui paraissent nécessaires, se contente des indications les plus générales et n’entre pas dans les détails particuliers.

368. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

Mais tous ces dons de naissance furent mis à mal par sa naissance sociale ; et, comme dans l’explication de la Princesse Palatine pour faire comprendre l’inutilité des puissantes et charmantes facultés de son fils, son père à lui, Chasles, fut la fée méchante qui frappa et faussa les siennes. […] Tel fut le mal — l’irréparable mal — pour Philarète Chasles, le mal au plus profond de facultés superbes et qui les empêcha de fonctionner avec l’éclat, la précision, la gravité, la profondeur, la toute-puissance d’ensemble qu’elles auraient eues s’il eût été élevé par un autre homme que par un père, qui en lit d’abord, le croira-t-on ? […] C’est de l’à peu près historique mal assuré comme on en fait dans ces revues, que Chasles, dont la gloire fut les Revues, a pourtant dans ce livre si courageusement caractérisées !

369. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Il y a enfin, comme partout, l’incapacité ou le génie, et la liberté qui choisit le bien ou le mal. […] C’est que, fait pour prouver le vice radical des armées permanentes, pour étaler le mal de cette institution arriérée, comme disent les progressifs, le livre de Vigny n’en a plus fait voir que la vertu, et cela avec une telle magie que tout ce qui a du cœur et de la pensée ne voudrait pas qu’on pût fermer un jour cette grande école de l’âme ; mais, au contraire, souhaitera qu’on la maintienne éternellement ouverte, pour l’honneur de l’humanité ! […] Le problème de la destinée humaine pèse autant sur le front de l’un que sur le front de l’autre, et fut la grande douleur, la grande anxiété de tous les deux… Inquiets, sceptiques, désespérés, trouvant, à juste titre, que l’incompréhensible est au bout de toutes les questions qui font l’esprit humain et l’Univers, altérés de la soif furieuse de la certitude, et n’ayant pour l’étancher que les eaux troubles du doute, qui faisaient mal au cœur à leurs fiers esprits dégoûtés, tous les deux ressentirent également cette douleur, la plus élevée des douleurs de la vie : le mal de l’esprit, pire que toutes les souffrances de la sensibilité ! […] Je suis résigné à tous les maux et je vous bénis à la fin de chaque jour lorsqu’il s’est passé sans malheur. — Je n’espère rien de ce monde et je vous rends grâce de m’avoir donné la puissance du travail, qui fait que je puis oublier entièrement en lui mon ignorance éternelle. » IX Le cri est-il assez aigu d’abord, et finit-il par s’étouffer assez sous la pression d’étau de l’implacable cavalier de marbre ?

370. (1887) Essais sur l’école romantique

Quelquefois ses belles pages sont mal entourées ; l’inspiration se fait attendre. […] Mais le temps est mal choisi de blesser par des fautes systématiques notre vieil idiome national, quand il a déjà fait le tour du monde. […] Est-ce assez d’un grand poète, en nos temps modernes, pour distraire les nations du sentiment de leurs maux domestiques ? […] Étonné d’avoir fait tant de mal innocemment, il s’interroge avec douleur. […] Aussi bien cette attitude militante me va mal.

371. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

S’il vous répugne, au nom d’une liberté mal entendue et d’une sorte de solidarité mal comprise, de traîner ces livres en justice, au moins mettez-leur sur la couverture une marque d’infamie qui les fasse reconnaître. […] Tissot par exemple, les idées les plus fausses de ce peuple, en des livres mal écrits — aussi mal écrits qu’ils étaient mal informés. […] Je ne vous fais pas mal ? […] Beaucoup en pensent du mal ; c’est leur affaire. […] C’est encore de l’orgueil de croire que l’on a pu faire le mal.

372. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Obéissant à sa nature, mais ne faisant jamais le mal pour le mal, et s’apitoyant. […] Mais je ne voyais aucun mal à ce qu’un autre tentât l’aventure. […] Il ne faut pas toucher à l’ordure du mal ; laissons-la entassée, augmentant sans cesse ! […] Puis, après tout, elle ne devait pas tant faire de mal, puisque çà s’arrangeait si bien, à la satisfaction d’un chacun ; on est puni d’ordinaire, quand on fait le mal. […] Mais, de même qu’au lieu du mal poétique et du vice doré il peint le mal tel qu’il est et le vice hideux, au lieu du bien factice, il dépeint la vertu vraie, le bien réel.

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