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1611. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Ce n’est plus, en effet, l’immarcescible Beauté seulement préposée aux joies terrestres, aux excitations artistiques et sensuelles telle que la salacité plastique de la Grèce la comprit ; c’est l’incarnation de l’Esprit du Mal, l’effigie de l’omnipotente Luxure, l’image de l’irrésistible et magnifique Satanesse qui braque, sans cesse aux aguets des âmes chrétiennes, ses délicieuses et maléfiques armes. Telle que Wagner l’a créée, cette Vénus, emblème de la nature matérielle de l’être, allégorie du Mal en lutte avec le Bien, symbole de notre enfer intérieur opposé à notre ciel interne, nous ramène d’un bond en arrière à travers les siècles, à l’imperméable grandeur d’un poème symbolique de Prudence, ce vivant Tannhæuser qui, après des années dédiées au stupre, s’arracha des bras de la victorieuse Démone pour se réfugier dans la pénitente adoration de la Vierge. […] Inondé d’ineffables promesses et d’ardents effluves, il tombe, délirant, dans les bras des polluantes Nuées qui l’enlacent ; sa personnalité mélodique s’efface sous l’hymne triomphant du Mal — puis la démoniaque tempête de la chair qui rugit, les éclairs sulfureux et les jets phosphoriques qui grondent dans l’orchestre s’apaisent ; l’incomparable éclat de ces grands cuivres qui semblent une transposition des aveuglantes pourpres et des somptueux ors de Delacroix, s’affaissent — et un susurrement d’une ténuité délicieuse, un frôlement presque deviné de sons adorablement bleus et aériennement roses, frissonne dans l’éther nocturne qui déjà s’éclaire. — Puis l’aube apparaît, le ciel hésitant blanchit comme peint avec des sons blancs de harpe, se teint de couleurs encore tâtonnantes qui peu à peu se décident et resplendissent dans le magnifique alléluia, dans la fracassante splendeur des timbales et des cuivres. […] Au loin, plane le cantique intercédant, le cantique augural et fidèle des pèlerins, détergeant les dernières plaies de l’âme épuisée par la diabolique lutte ; — et, dans une apothéose de clarté, dans une gloire de Rédemption, la Matière et l’Esprit s’enlacent, le Mal et le Bien se lient, la Luxure et la Pureté se nouent avec les deux motifs qui serpentent, mêlant les baisers épuisants et rapides des violons, les éblouissantes et douloureuses caresses des cordes énervées et tendues, au chœur auguste et calme qui s’épand, à la mélodie médiatrice, au cantique de l’âme maintenant agenouillée, célébrant la définitive submersion, l’inébranlable stabilité dans le sein d’un Dieu. […] Lorsqu’une troupe allemande vint jouer la Tétralogie à Bruxelles, le jour où l’on donna Siegfried, un grand nombre d’auditeurs rentrèrent chez eux avec des maux de dents ou des maux de tête qui furent suivis, pendant la nuit, de saignements de nez prolongés.

1612. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Jeudi 23 janvier L’amabilité de l’académicien X…, cette amabilité à jet continu à l’égard de tous, et qui ressemble pas mal aux distributions de victuailles au peuple, dans les anciennes réjouissances publiques, faisait dire à ma voisine de table, que cette amabilité-là, elle, ça la mettait en veine de butorderie ! […] Il craint que les choses soient en train de mal tourner pour lui. […] Jeudi 8 mai Un jeune médecin parlait, ce soir, du mal, mal dont on ne se doute pas, que faisaient les corps comme l’Académie, comme l’Institut, ces aristocraties qui, Dieu merci, n’existent pas en Allemagne. […] Gille est un simple fumeur de cigarettes, un jour qu’il s’était laissé aller à fumer un gros cigare, il rencontre Callias boulevard de Clichy, et comme Callias lui demande comment ça va : « Ma foi, lui répond Gille, avec un commencement de mal de cœur !

1613. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

À l’époque où je suis venu au monde surtout, les vestiges et les traditions du régime féodal volontaire, vestiges encore mal effacés entre les châteaux et les chaumières, rappelaient à s’y tromper les mœurs et les habitudes de cette féodalité primitive et rurale qui existait du temps d’Homère dans Ithaque et sur le continent grec des bords de la mer Adriatique. […] C’était autrefois un château à tours, à fossés, à pont-levis ; on en voit encore les vestiges mal recouverts par les constructions modernes. […] VIII La tonte des brebis, le lavage des agneaux dans le bassin d’eau courante ; la dernière gerbe qui arrivait dans l’aire sur le dernier char de la moisson, festonné de bleuets, de pavots, de guirlandes de chêne ; la dernière gerbe battue, dont on apportait le grain dans une écuelle au maître du château pour la répandre sous ses pas et pour qu’il remplît à son tour l’écuelle vide de petites monnaies pour les batteurs ; la visite des étables, où les bœufs, les vaches, les taureaux, liés aux mangeoires par de grosses cordes, étalaient leurs flancs luisants et leurs litières dorées, témoignages des soins et de la propreté des bouviers ; les écuries des chevaux de trait, tapissées de harnais aux boucles de cuivre aussi éclatantes que l’or, le bruit de leurs mâchoires qui moulaient l’orge, la fève ou l’avoine entre leurs dents, délicieuse musique des râteliers bien garnis aux heures où le laboureur détèle trois fois par jour ses attelages ; les mugissements lointains des bœufs de labour répercutés d’une colline à l’autre, le matin avant que le soleil se lève ; les cris intermittents de l’enfant qui les chatouille de la pointe de l’aiguillon ; les claquements du fouet du charretier qui revient à vide de la ville où il a déchargé ses sacs de blé ; le roucoulement perpétuel des pigeons sur le toit du colombier ou sur la paille des basses-cours, ou ils disputent l’épi mal vidé aux poules ou aux passereaux ; les fêtes champêtres au château, fêtes qui marquaient pour les serviteurs et pour les mercenaires des hameaux voisins la fin de chaque travail essentiel de l’année ; les danses dans la grande salle délabrée quand la pluie ou le froid s’opposait aux danses sur les pelouses des parterres ; les préférences naissantes, les inclinations devinées, avouées, combattues, ajournées, triomphantes enfin entre les jeunes serviteurs de la ferme et les jeunes servantes de la maison ; les aveux, les fiançailles, les noces, les joies des épousées devenant la joie et l’entretien de toute la tribu ; enfin ces repos et ces silences complets des dimanches d’été succédant aux bruits de la semaine, silences délassants pendant lesquels on n’entendait plus autour du château et jusqu’au fond des bois que le bourdonnement des abeilles sur le sainfoin autour des ruches et le ruminement assoupissant des bœufs couchés sur les grasses litières dans les étables ; toutes ces scènes de la vie privée, quoique vulgaire, rurale, domestique, n’étaient-elles pas aussi riches de véritable poésie épique ou descriptive que les scènes de la vie publique dans l’Iliade, que les tentes des héros, les conseils des chefs, les champs de bataille d’Ilion ? […] Il parle avec une éloquence modeste des maux que les prétendants font souffrir à sa mère, à lui, à son pays. […] Laërte était revêtu d’une pauvre et mauvaise tunique toute rapiécée ; ses jambes étaient entourées de lanières de cuir mal recousues, pour prévenir les piqûres des reptiles ou des insectes ; ses mains portaient des gants à cause des broussailles épineuses, etc. » — « N’est-ce pas ainsi que vous avez surpris cent fois votre père et votre oncle, en costume de jardinier, autour de leurs ceps ou de leurs ruches ?

1614. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

C’est ce progrès qualitatif que nous interprétons dans le sens d’un changement de grandeur, parce que nous aimons les choses simples, et que notre langage est mal fait pour rendre les subtilités de l’analyse psychologique. […] Dirons-nous, avec La Rochefoucauld, que cette prétendue sympathie est un calcul, « une habile prévoyance des maux à venir » ? Peut-être la crainte entre-t-elle en effet pour quelque chose encore dans la compassion que les maux d’autrui nous inspirent ; mais ce ne sont toujours là que des formes inférieures de la pitié. […] Quand un paralytique fait effort pour soulever le membre inerte, il n’exécute pas ce mouvement, sans doute, mais, bon gré, mal gré, il en exécute un autre. […] Richet 11 a observé qu’on rapportait son mal à un endroit d’autant plus précis que la douleur est plus faible : si elle devient plus intense, on la rapporte à tout le membre malade.

1615. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Que si un peuple n’était secouru dans ce misérable état de dépravation ni par la monarchie ni par la conquête, alors, au dernier des maux, il faudrait bien que la Providence appliquât le dernier des remèdes. […] Accablé par l’âge et les fatigues, usé par les chagrins domestiques, tourmenté de douleurs convulsives dans les cuisses et dans les jambes, en proie à un mal rongeur qui lui a déjà dévoré une partie considérable de la tête, il a renoncé entièrement aux études, et a envoyé au père Louis-Dominique, si recommandable par sa bonté et par son talent dans la poésie élégiaque, le manuscrit des notes sur la première édition de la Science nouvelle, avec l’inscription suivante : AU TIBULLE CHRÉTIEN AU PÈRE LOUIS DOMINIQUE JEAN BAPTISTE VICO POURSUIVI ET BATTU PAR LES ORAGES CONTINUELS D’UNE FORTUNE ENNEMIE ENVOIE CES DÉBRIS INFORTUNÉS DE LA SCIENCE NOUVELLE PUISSENT ILS TROUVER CHEZ LUI UN PORT UN LIEU DE REPOS [Après avoir rappelé les obstacles, les contradictions qu’il rencontra, il ajoute ce qui suit :] « Vico bénissait ces adversités qui le ramenaient à ses études. […] Pourquoi les orateurs réussissent mal dans la poésie. — De la grammaire. — 1720. […] Comme le mal que nous voyons dans les autres nous frappe vivement, et nous reste profondément gravé dans la mémoire, il devient une règle d’après laquelle nous jugeons toujours ce qu’ils peuvent faire ensuite de beau et de bon. […] « Le destin s’est armé contre un misérable, a réuni sur lui seul tous les maux qu’il partage entre les autres hommes, et a abreuvé son corps et ses sens des plus cruels poisons.

1616. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Je crois me souvenir que c’est le Jeu qu’il désigne ainsi et vraiment ce n’est pas trop mal. […] On en voit sortir des tombeaux mal gardés où ils trompaient leur famine en rongeant les os des morts. […] Tout à coup, la chrétienne mal exterminée reparaît dans la gourgandine. […] C’est le secret de tous les diables et l’on découvre que ces ennemis du genre humain l’ont très mal gardé. […] Il ne voit pas de but à une chienne d’existence qui finit si mal, et il en éclate de douleur.

1617. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

ne le croyez pas, l’un et l’autre, en effet, Ont du temps et de moi l’esprit mal satisfait. […] aucun d’eux n’a le courage ni de sort crime ni de sa résistance, et on ne se défend pas plus mal qu’Hippolyte. […] Cette situation entre trois hommes est toujours délicate pour une femme, et vous savez que Célimène elle-même s’en est fort mal tirée ! […] C’est ce qu’il a fait et, — sans partager l’admiration de quelques critiques pour le personnage de Zénobie — je conviens qu’il ne l’a pas mal fait. […] Il semble d’autre part, je vous l’ai dit, qu’il n’ait pas mal su son métier d’homme de théâtre, et c’est bien quelque chose.

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