Par moments il lui venait bien quelques petits scrupules de tout ce manège compliqué, dans lequel il pouvait sembler jouer un rôle si peu digne et de son esprit et même de son cœur ; un jour donc, il écrivit à madame de Charrière une lettre dont je n’ai gardé que l’extrait suivant, l’original est aux mains de M.Gaullieur : « Ce 26 fructidor (probablement 1795). […] Je suis, grâce à mon bavardage sur moi-même, tellement décrié que je n’ai pas besoin de l’être plus ; et si mes lettres, qui nagent dans vos appartements, échouaient en quelques mains étrangères, cela donnerait le coup de grâce à ma mourante réputation… » Je n’avais pas jugé utile dans le premier travail de faire entrer ce fragment, qui en dit plus que nous ne voulons, qui en dit trop, car certainement Benjamin Constant valait infiniment mieux que la réputation qu’il s’était faite alors ; mais enfin il se l’était faite, comme lui-même il en convient : étais-je donc si en erreur et si loin du compte quand j’insistais sur certains traits avec précaution, avec discrétion ? […] Au moment où elle se croyait remise en possession, la voilà jouée sous main par les lus daveugles mouvements ; et il ne lui reste alors d’autre ressource, pour se venger des tours qu’on lui joue chez elle et des affronts journaliers qu’elle subit, que de s’en railler et de se railler de tout, avec légèreté et bonne grâce, s’il se peut, avec un sourire d’ironie universelle : triste rôle, qui fut celui que l’histoire attribue à ce Gaston d’Orléans, à la fois spectateur, complice et fin railleur de toutes les intrigues qui se brisaient et se renouaient sans cesse autour de lui.
Auguste Breuil, avocat, a obtenue des mains de leurs dignes héritiers pour la venir publier aujourd’hui. […] Je conçois les difficultés et les scrupules lorsqu’on a en main d’aussi riches matériaux ; mais il importait, ce me semble, dans l’intérêt de la lecture, de conserver à la publication une sorte d’unité ; d’éviter ce qui traîne, ce qui n’est qu’intervalles, et surtout d’avoir toujours les Mémoires sous les yeux, pour abréger ce qui n’en est qu’une manière de duplicata. […] Deux jours après, prenant sa bonne sous le bras, elle s’achemine, elle entre dans l’allée du cordonnier et monte en tremblant, comme par les degrés d’un temple ; mais ce fut Thérèse qui ouvrit et qui répondit non à toutes les questions, en tenant toujours la main à la serrure.
Né du peuple et dans le plus large courant de l’esprit de la Révolution française — en sorte qu’il n’eut ni à changer ni à se contraindre pour être « avec son temps », — la vie de Victor Duruy, exemplaire, tout unie dans son fond, mais avec un air de merveilleux, et, au milieu de son cours, un coup de baguette des fées, ressemble à quelque beau récit de la « morale en action », à mettre entre les mains des écoliers, de ces écoliers de France pour qui il a tant travaillé. […] Il écrivait en terminant : « Nous ne devons pas oublier que les femmes sont mères deux fois, par l’enfantement et par l’éducation ; songeons donc à organiser aussi l’éducation des filles, car une partie de nos embarras actuels provient de ce que nous avons laissé cette éducation aux mains de gens…3 enfin, de gens qui n’avaient pas toute la confiance de M. […] Il jugeait que l’empire devait d’autant plus faire pour le peuple que le peuple avait abdiqué entre ses mains.
Cependant le gros roman que lui avait laissé Mme d’Épinay ne fut jamais publié par lui, et ce roman courait risque de rester pour toujours inconnu, quand il tomba aux mains du savant libraire M. […] « On en parlera pendant huit jours, peut-être même n’en parlera-t-on point, et puis l’on n’y pensera plus, si ce n’est pour dire : Elle a raison. » Le choix de Mme d’Épinay était fait dès lors plus qu’elle ne l’osait avouer à Mlle d’Ette, car un sentiment instinctif de délicatesse l’avertissait qu’il fallait cependant cacher quelque chose à cette prétendue amie, qui portait si hardiment la main à ces tendresses naissantes et timides. […] Or, pour arriver à cet heureux résultat, il a suffi d’élaguer tout ce qui ne tenait pas nécessairement aux mémoires, de substituer aux deux cents premières pages, dénuées d’intérêt dans le manuscrit, une courte introduction qui mit le lecteur au fait des événements antérieurs au mariage de Mlle d’Esclavelle avec M. d’Épinay ; de supprimer entièrement un dénouement tout à fait romanesque, en le remplaçant par une simple note ; enfin d’ajouter çà et là, dans le courant du texte, quelques phrases servant à rapprocher les passages entre lesquels il avait été fait des coupures indispensables : en sorte que, nous pouvons l’affirmer, c’est bien le manuscrit copié sous les yeux de Mme d’Épinay, et apostillé de sa main, qui a été mis entre celles des imprimeurs, et qu’ils ont suivi exactement dans tout ce qui a été conservé.
Dans les Lettres à son fils, il s’est montré, le premier jour qu’il fit son entrée dans la bonne compagnie, encore tout couvert de sa rouille de Cambridge, honteux, embarrassé, silencieux, et prenant à la fin son courage à deux mains pour dire à une belle dame près de qui il était : « Madame, ne trouvez-vous pas qu’il fait bien chaud aujourd’hui ? […] Mais cet homme habile, en voulant se tourner du côté du soleil levant, ne sut pas s’orienter avec une parfaite justesse : il avait fait de longue main sa cour à la maîtresse du prince, la croyant destinée à l’influence, et il avait négligé la femme légitime, la future reine, qui pourtant eut seule le crédit réel. […] Cette inconséquence, en deux mots, la voici : c’est que lui, Voltaire, qui considérait volontiers les hommes comme des fous ou comme des enfants, et qui n’avait pas assez de rire pour les railler, il leur mettait en même temps dans les mains des armes toutes chargées, sans s’inquiéter de l’usage qu’ils en pourraient faire.
Il aurait eu plus volontiers en main la satire. […] Bazin est une composition rare, originale, offrant, non pas comme d’autres prétendues histoires, une marqueterie brillante et spirituelle, moyennant des lambeaux de citations relevées de quelques scènes dramatiques, mais un récit médité, réfléchi, tout à fait neuf, dans lequel il est tenu compte de chaque témoignage, et où l’historien a constamment le fil en main pour donner à tout la liaison la plus vraisemblable, l’accord le plus exact et l’enchaînement le plus conforme à la vérité. […] Il avait eu soin de réaliser pour lui de longue main toutes ces conditions de flânerie heureuse (y compris, bien entendu, le célibat) ; et, comme ce flâneur encore qu’il a si bien décrit, il complétait la ressemblance par la crainte des visites qui retiennent chez lui l’honnête homme qui veut sortir.
Une des plus jolies, c’est le tour qu’il joua à un honorable chasseur de renards qui aspirait à la main de miss Marianne Harland, une jeune Anglaise des plus mignonnes et un peu plus qu’espiègle, qui s’était prise de goût pour Lauzun. […] J’ignore en quelles mains il en a pu tomber quelques copies ; ce que je sais avec certitude, c’est qu’ils ont été horriblement falsifiés. […] Voilà ce qu’offrent de plus saillant les prétendus Mémoires du duc de Lauzun, qui depuis quelque temps circulent manuscrits, et dont j’ai une copie entre les mains.