Mais l’hymne à Apollon, cité par Thucydide, et quelques autres à Mercure, à Vénus, à Cérès, mêlés de récits et de prières, marquent bien le rapport de la poésie narrative au chant lyrique. […] Sur le sommet des mâts un nuage s’est arrêté tout droit, signe de la tempête ; puis vient la terreur qui suit un danger subit. » Quelquefois encore, ces restes brisés de la couronne du poëte grec ne sont que des traits rapides et simples, une parole délicate et passionnée, un coup de pinceau qui ne s’oublie pas52 : La jeune fille triomphait, tenant à la main une branche de myrte et une fleur de rosier ; et ses cheveux épars lui couvraient le visage et le col » ; ou bien encore, avec moins de simplicité, cette autre peinture qui rappelle celle de Sapho : « Semblable passion d’amour, pénétrant au cœur, répandit un nuage épais sur les yeux et déroba l’âme attendrie. » Horace, dans sa vive étude des Grecs, avait sans doute gardé bien d’autres souvenirs d’Archiloque ; et quelques-unes de ses odes, son dithyrambe à Bacchus et d’autres, ne doivent être qu’une étude d’art et de goût substituée au tumulte des anciennes orgies, où le poëte de Paros se mêlait, en chantant : « Le cerveau foudroyé par le vin, je sais combien il est beau d’entonner le dithyrambe, mélodie du roi Bacchus. » Archiloque, s’il faisait des hymnes, devait être, ce semble, le poëte lyrique des Furies et non des Dieux. […] Quoi qu’il en soit, de son vivant et après lui, sa renommée fut grande parmi les Grecs, sans être mêlée d’obscurités et de fables, comme celle des Thamyris, des Olèn, des Orphée, des Linus, de ces chantres des anciens mystères, à qui la crédulité des initiés devait prêter si volontiers le génie dont manquaient leurs vers. […] Une seule tradition merveilleuse mêlée à son souvenir témoigne bien de l’idolâtrie des Grecs pour les dons de l’esprit, au préjudice de tout intérêt de justice ou même de vengeance.
De la passion mêlée à la rêverie naît la poésie proprement dite. […] Des choses immortelles ont été faites de nos jours par de grands et nobles poètes personnellement et directement mêlés aux agitations quotidiennes de la vie politique. […] Toute son enfance, à lui poëte, n’a été qu’une longue rêverie mêlée d’études exactes.
c’était la confrontation De ce que nous étions avec ce que nous sommes ; Les bêtes s’y mêlaient, de droit divin, aux hommes, Comme dans un enfer ou dans un paradis ; Les crimes y rampaient, de leur ombre grandis ; Et même les laideurs n’étaient pas malséantes À la tragique horreur de ces fresques géantes. […] Ce passage effrayant remua les ténèbres ; Au bruit qu’ils firent, tout chancela ; la paroi Pleine d’ombres, frémit ; tout s’y mêla ; le roi Mit la main à son casque et l’idole à sa mitre ; Toute la vision trembla comme une vitre, Et se rompit, tombant dans la nuit en morceaux ; Et quand les deux esprits, comme deux grands oiseaux, Eurent fui, dans la brume étrange de l’idée, La pâle vision reparut lézardée, Comme un temple en ruine aux gigantesques fûts, Laissant voir de l’abîme entre ses pans confus. […] C’est la tradition tombée à la secousse Des révolutions que Dieu déchaîne et pousse ; Ce qui demeure après que la terre a tremblé ; Décombre où l’avenir, vague aurore, est mêlé ; C’est la construction des hommes, la masure Des siècles, qu’emplit l’ombre et que l’idée azure, L’affreux charnier-palais en ruine, habité Par la mort et bâti par la fatalité, Où se posent pourtant parfois, quand elles l’osent, De la façon dont l’aile et le rayon se posent, La liberté, lumière, et l’espérance, oiseau ; C’est l’incommensurable et tragique monceau, Où glissent, dans la brèche horrible, les vipères Et les dragons, avant de rentrer aux repaires, Et la nuée avant de remonter au ciel ; Ce livre, c’est le reste effrayant de Babel ; C’est la lugubre Tour des Choses, l’édifice Du bien, du mal, des pleurs, du deuil, du sacrifice, Fier jadis, dominant les lointains horizons, Aujourd’hui n’ayant plus que de hideux tronçons, Épars, couchés, perdus dans l’obscure vallée ; C’est l’épopée humaine, âpre, immense, — écroulée.
Ceux qui revenaient de la Terre Sainte, de Sainte-Reine, du Mont-Saint-Michel, de Notre-Dame-du-Puy, et d’autres lieux semblables, composaient des cantiques sur leurs voyages, auxquels ils mêlaient le récit de la vie et de la mort de Jésus-Christ, d’une manière véritablement très grossière, mais que la simplicité de ces temps-là semblait rendre pathétique. […] On mêlait aux sujets les plus respectables les plaisanteries les plus basses, et que l’intention seule empêchait d’être impies ; car, ni les auteurs, ni les spectateurs, ne faisaient une attention bien soutenue à ce mélange extravagant, persuadés que la sainteté du sujet couvrait la grossièreté des détails.
Son culte et son histoire se mêlent à son théâtre. […] ont-ils jamais mêlé la comédie à la tragédie ? […] Rubens le comprenait sans doute ainsi, lorsqu’il se plaisait à mêler à des déroulements de pompes royales, à des couronnements, à d’éclatantes cérémonies, quelque hideuse figure de nain de cour. […] Parfois enfin il peut sans discordance, comme dans la scène du roi Lear et de son fou, mêler sa voix criarde aux plus sublimes, aux plus lugubres, aux plus rêveuses musiques de l’âme. […] Il broierait et mêlerait artistement ces deux espèces de plaisir.
Mme de La Fayette, qui nous donne ainsi le cadre du roman, nous met aussi dans les mains quelques-uns des fils qui agitaient et mêlaient entre eux ces jeunes cœurs : le roi plus touché qu’un beau-frère ne doit l’être, Madame plus sensible peut-être qu’il n’est permis à une belle-sœur ; entre eux deux ce goût vif, précurseur presque assuré de l’amour ; La Vallière naissante qui vient bien à point pour détourner le charme ; le comte de Guiche, en même temps, qui fait auprès de Madame quelque chose du même chemin que La Vallière faisait auprès du roi. […] Dans le méchant libelle dont Cosnac avait envoyé chercher les ballots en Hollande, il y avait une phrase entre autres, qui n’était pas si mal tournée : « Elle a, disait-on de Madame, un certain air languissant, et quand elle parle à quelqu’un, comme elle est tout aimable, on dirait qu’elle demande le cœur, quelque indifférente chose qu’elle puisse dire. » Cette douceur du regard de Madame avait opéré sur l’âme assez peu sensible de Cosnac, et, sans y mêler ombre de sentiment galant, il s’était laissé prendre le cœur à celle qui le demandait si doucement et si souverainement. […] Cette pensée, je m’assure, vous paraîtra visionnaire d’abord, voyant ceux de qui dépendent ces sortes de grâces, si éloignés de vous en faire ; mais, pour vous éclaircir cette énigme, sachez que, parmi une infinité d’affaires qui se traitent entre la France et l’Angleterre, cette dernière en aura dans quelque temps, à Rome, d’une telle conséquence et pour lesquelles on sera si aise d’obliger le roi mon frère, que je suis assurée qu’on ne lui refusera rien ; et j’ai pris mes avances auprès de lui pour qu’il demandât, sans nommer pour qui, un chapeau de cardinal, lequel il m’a promis, et ce sera pour vous ; ainsi vous pouvez compter là-dessus… Ce chapeau de cardinal, qu’elle montre ainsi à l’improviste prêt à tomber sur un homme en disgrâce, fait un singulier effet, et on reste convaincu encore, même après avoir lu, qu’il y avait là-dedans un peu de vision et de fantaisie, comme les femmes qui ont le plus d’esprit en mêlent volontiers à leur politique. […] Elle mêlait dans toute sa conversation une douceur qu’on ne trouvait point dans toutes les autres personnes royales : ce n’est pas qu’elle eût moins de majesté, mais elle en savait user d’une manière plus facile et plus touchante, de sorte qu’avec tant de qualités toutes divines, elle ne laissait pas d’être la plus humaine du monde. […] Madame, qui, venue au temps de la duchesse de Bourgogne, eût peut-être aimé toutes ces autres choses, aimait davantage celles de l’esprit ; la solidité et le sens se mêlaient insensiblement à ses grâces ; la décence et la politesse ne l’abandonnaient pas.
Or, la réalité est mêlée de bien et de mal, et la proportion du mal dépasse celle du bien. […] Je crois que c’est là un droit absolument nécessaire de l’écrivain, et qu’il n’y a presque pas de roman ou il ne doive en user, parce qu’il n’y a presque pas de drame auquel le mal ne soit mêlé essentiellement. […] Qu’est-ce que le roman de Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, sinon l’exemple le plus extraordinaire qui soit, avec cet autre roman, les Travailleurs de la mer, d’un maximum de description où se mêle un minimum de récit ? […] Le plus véridique des artistes, le plus réaliste, — dans le sens de voisin du réel, — sera l’écrivain qui donnera l’impression constante de la présence des choses, qui les mêlera à la vie, et qui ne confisquera pas à leur profit l’attention qui ne doit pas cesser de voir les âmes et de les suivre. […] Mais il a donné un exemple admirable de description vivante quoique étendue, quand il a peint le comice agricole dans Madame Bovary, parce que l’idée maîtresse du livre s’y mêle étroitement à la vision des choses.