disait-il, je t’invoque ; parmi toutes les divinités, nulle ne parle plus puissamment au cœur de l’homme que toi. » Un autre, qui conseillait de fuir les villes et sentait que la situation des lieux influe sur l’âme : « Habite et parcours les montagnes, disait-il, le soleil les frappe de ses premiers rayons ; les derniers rayons du soleil reposent sur elles ; élève-toi vers les cieux, sors de l’ombre, et respire la lumière et la pureté du jour » ; un autre, après la mort de son épouse, ramasse tous les ornements qui servaient à sa parure, et les suspend dans un temple pour les consacrer à la divinité du lieu. […] Cet art, outre une imagination très vive et prompte à s’enflammer, supposait encore en eux des études très longues ; il supposait une étude raisonnée de la langue et de tous ses signes, l’étude approfondie de tous les écrivains, et surtout de ceux qui avaient dans le style, le plus de fécondité et de souplesse ; la lecture assidue des poètes, parce que les poètes ébranlent plus fortement l’imagination, et qu’ils pouvaient servir à couvrir le petit nombre des idées par l’éclat des images ; le choix particulier de quelque grand orateur avec qui leur talent et leur âme avaient quelque rapport ; une mémoire prompte, et qui avait la disposition rapide de toutes ses richesses pour servir leur imagination ; l’exercice habituel de la parole, d’où devait naître l’habitude de lier rapidement des idées ; des méditations profondes sur tous les genres de sentiments et de passions ; beaucoup d’idées générales sur les vertus et les vices, et peut-être des morceaux d’éclat et prémédités, une étude réfléchie de l’histoire et de tous les grands événements, que l’éloquence pouvait ramener ; des formules d’exorde toutes prêtes et convenables aux lieux, aux temps, à l’âge de l’orateur ; peut-être un art technique de classer leurs idées sur tous les objets, pour les retrouver à chaque instant et sur le premier ordre ; peut-être un art de méditer et de prévoir d’avance tous les sujets possibles, par des divisions générales ou de situations, ou de passions, ou d’objets politiques, ou d’objets de morale, ou d’objets religieux, ou d’objets d’éloge et de censure ; peut-être enfin la facilité d’exciter en eux, par l’habitude, une espèce de sensibilité factice et rapide, en prononçant avec action des mots qui leur rappelaient des sentiments déjà éprouvés, à peu près comme les grands acteurs qui, hors du théâtre, froids et tranquilles, en prononçant certains sons, peuvent tout à coup frémir, s’indigner, s’attendrir, verser et arracher des larmes : et ne sait-on pas que l’action même et le progrès du discours entraîne l’orateur, l’échauffe, le pousse, et, par un mécanisme involontaire, lui communique une sensibilité qu’il n’avait point d’abord. […] Ainsi un philosophe, pour avoir dit la vérité à Domitien, vécut exilé à peu près dans les mêmes lieux où, quatre-vingts ans auparavant, Ovide avait été forcé de vivre et de mourir, pour avoir surpris les débauches obscures de cet autre tyran qu’on nomme Auguste.
Quant à la langue, à la philologie, les considérations se pressent, elles concourent au même point, elles viennent en quelque sorte aboutir au même lieu comme à un centre tout désigné de lumière et de perfectionnement. […] L’important serait bien moins d’abord dans tel ou tel règlement de détail que dans l’esprit qui animerait la fondation, et dans le choix de l’homme appelé à la diriger sur les lieux, et qui devrait savoir l’approprier, l’étendre, la modifier selon l’expérience même. […] Les chœurs d’Œdipe lus à Colone ; et ceux d’Ion à Delphes ; les odes de Pindare étudiées en présence des lieux célébrés ; un grand historien suivi pied à pied sur le théâtre des guerres qu’il raconte ; l’Arcadie parcourue, Xénophon en main, à la suite d’Épaminondas victorieux, ce seraient là des études parlantes qui résoudraient, j’en réponds, plus d’une difficulté géographique ou autre, née dans le cabinet.
J’oubliais l’unité de lieu ; elle sera emportée dans la déroute du vers Alexandrin. […] Chénier eût vécu, cet homme d’esprit nous eût débarrassés de l’unité de lieu dans la tragédie, et par conséquent des récits ennuyeux ; de l’unité de lieu qui rend à jamais impossibles au théâtre, les grands sujets nationaux : l’Assassinat de Montereau, les États de Blois, la Mort de Henri III.
Nous savons que le siècle appelle cela le fanatisme ; nous pourrions lui répondre par ces paroles de Rousseau : « Le fanatisme, quoique sanguinaire et cruel 49, est pourtant une passion grande et forte, qui élève le cœur de l’homme et qui lui fait mépriser la mort ; qui lui donne un ressort prodigieux, et qu’il ne faut que mieux diriger pour en tirer les plus sublimes vertus ; au lieu que l’irréligion, et en général l’esprit raisonneur et philosophique, attache à la vie, effémine, avilit les âmes, concentre toutes les passions dans la bassesse de l’intérêt particulier, dans l’abjection du moi humain, et sape ainsi à petit bruit les vrais fondements de toute société : car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de chose, qu’il ne balancera jamais ce qu’ils ont d’opposé50. » Mais ce n’est pas encore là la question : il ne s’agit à présent que d’effets dramatiques. […] Quiconque, selon l’expression des Pères, n’eut avec son corps que le moins de commerce possible, et descendit vierge au tombeau ; celui-là, délivré de ses craintes et de ses doutes, s’envole au Lieu de vie, où il contemple à jamais ce qui est vrai, toujours le même et au-dessus de l’opinion. […] Il m’ôte des dangers que j’aurois pu courir ; Et sans me laisser lieu de tourner en arrière, Sa faveur me couronne, entrant dans la carrière ; Du premier coup de vent il me conduit au port, Et sortant du baptême, il m’envoie à la mort.
Affranchis-toi, romps tes liens, Quelque légers qu’ils puissent estre, Viens, Ménage, en ce lieu champestre, Où, content de tes propres biens, Tu n’auras que toi pour ton Maistre Non que le Maistre que tu sers Ne soit un homme incomparable, Qu’il n’ait un mérite adorable, Et que la douceur de tes fers Ne soit charmante & désirable. […] Viens donc en ces lieux peu battus, Où la Fortune & ses caresses, L’Amour & toutes ses tendresses Cedent aux solides Vertus, Qui sont nos biens & nos maistresses.
Ceux qui revenaient de la Terre Sainte, de Sainte-Reine, du Mont-Saint-Michel, de Notre-Dame-du-Puy, et d’autres lieux semblables, composaient des cantiques sur leurs voyages, auxquels ils mêlaient le récit de la vie et de la mort de Jésus-Christ, d’une manière véritablement très grossière, mais que la simplicité de ces temps-là semblait rendre pathétique. […] Ces sortes de spectacles parurent si beaux dans ces siècles ignorants, que l’on en fit les principaux ornements des réceptions des princes, quand ils entraient dans les villes ; et comme on chantait noël, noël, au lieu des cris de vive le roi, on représentait dans les rues la Samaritaine, le Mauvais Riche, la Conception de la sainte Vierge, la Passion de Jésus-Christ, et plusieurs autres mystères, pour les entrées des rois.
Com n’est pourtant pas un lieu de grand commerce. […] Le lieu est tout à fait récréatif. […] Ce sont les logements des gens d’Église, des régents et des étudiants qui vivent des rentes de ce lieu sacré. […] On ne peut voir en lieu du monde rien de plus pompeux, de plus riche et de plus brillant. […] Celui des Lesqui sortit le premier, et trouva ses chevaux au même lieu où il avait mis le pied à terre.