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197. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Le lecteur s’élève et respire avec eux : il entend partout le langage consolant de l’espérance, et ce langage se sent de plus en plus du voisinage des Cieux. […] L’imagination passe toujours de la surprise que lui cause la description d’une cause incroyable à l’effroi que lui donne nécessairement la vérité du tableau : il arrive de là que ce monde visible ayant fourni au poëte autant d’images pour peindre son monde idéal, il conduit et ramène sans cesse le lecteur de l’un à l’autre ; et ce mélange d’événements si invraisemblables et de couleurs si vraies fait toute la magie de son poëme. […] Quant à ses idées les plus bizarres, elles offrent aussi je ne sais quoi de grand et de rare qui étonne et attache le lecteur. […] Il est vrai que, dans cette immense galerie de supplices, on ne rencontre pas assez d’épisodes ; et, malgré la brièveté des chants, qui sont comme des repos placés de très-près, le lecteur le plus intrépide ne peut échapper à la fatigue.

198. (1903) Zola pp. 3-31

Il s’est déformé à travers le cerveau de Zola comme à travers celui d’un lecteur vulgaire, illettré et barbare, des romantiques en 1840. […] Mais dans ces mêmes auteurs, ou encore mieux dans leurs imitateurs ridicules, le mot cru et gros, la couleur violente et aveuglante, la description acharnée qui ne demande à l’intelligence aucun effort et qui fait simplement tourner le cinématographe, le relief des choses, cathédrale, quartier, morceau de mer, champ de bataille, aussi l’imagination débordante et enlevante, qui vous entraîne vers des hauteurs ou des lointains confus comme dans la nacelle d’un ballon, toutes ces choses qui ne demandent au lecteur aucune collaboration, qui le laissent passif tout en le remuant et l’émouvant ; aussi et enfin une misanthropie qui ne donne pas ses raisons et qui ne nous fait pas réfléchir sur nous-mêmes, mais seulement flatte en nous notre orgueil secret en nous faisant mépriser nos semblables sans nous inviter à nous mépriser nous-mêmes : voilà ce que le lecteur illettré de 1840 voit, admire et chérit dans les romantiques ; voilà la déformation du romantisme dans son propre cerveau mal nourri, dans la misère physiologique de son esprit. […] La misanthropie aussi, comme je crois l’avoir déjà dit, flatte tellement un lecteur peu averti qui s’excepte toujours de la condamnation portée contre le genre humain tout entier, que, si outrée et presque maladive et folle qu’elle fût chez Zola, elle ravissait d’aise et de joie maligne un public volontiers contempteur et prompt à reconnaître le prochain dans les plus noires peintures, sans songer que le prochain c’est le semblable.

199. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

Tout auteur qui écrit une pièce en vue d’une étoile, en vue de tel ou tel acteur ou de telle ou telle actrice, n’écrit point pour le lecteur, se résigne à n’être pas lu et condamne en vérité sa pièce comme œuvre d’art. […] Comme le véritable auteur dramatique écrit sa pièce en la voyant jouer, en voyant d’avance les acteurs qui entrent et qui sortent, qui se groupent et qui ont, en s’adressant les uns aux autres, telle ou telle attitude, et ne peut faire bien qu’à ce prix ; tout de même le lecteur doit voir, comme si elle était représentée, la pièce qu’il lit et pour ainsi dire presque littéralement entendre les couplets et les répliques. […] De même que le bon dramatiste a écrit sa pièce en la voyant, de même le bon lecteur lit la pièce en la dressant devant ses yeux. […] Molière use assez souvent de ce procédé qui est un avertissement au spectateur et au lecteur.

200. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Joseph de Maistre »

Vous ne m’en avez rien dit ; cependant des personnes en qui je dois avoir confiance prétendent qu’il ne passera pas, et je le crois de même. » Mais, de ces mots-là, quelques-uns ont passé par manière d’essai, pour tenter notre goût aussi, à nous lecteurs français, lecteurs de Paris : nous voilà bien prévenus. […] Joseph de Maistre parut, j’étais, dit-il, occupé d’un grand travail que je ne pouvais interrompre : je me bornai à recueillir quelques notes, et ce sont ces notes que, devenu plus libre, je me sujs décidé à présenter à mon lecteur en leur donnant plus d’étendue. » Les Soirées de Saint-Pétersbourg ont paru en 1821 ; vingt ans et plus d’intervalle entre l’ouvrage et sa réfutation, c’est un peu moins de temps que n’en mit le Père Daniel à réfuter les Provinciales.

201. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre II. — De la poésie comique. Pensées d’un humoriste ou Mosaïque extraite de la Poétique de Jean-Paul » pp. 97-110

Invitation à la danse120 Donnons-nous la main, auteur et lecteurs, et dansons ensemble dans ce chapitre, aux sons du violon de Jean-Paul, le bal humoristique et romantique du dogmatisme littéraire121. […] Le comique est le contraire du sublime. — Dansons ici, auteur et lecteurs, dansons, le balancier en main, sur la chaîne de fleurs d’un syllogisme bien tendu138. — Le sublime ambitionne les termes généraux qui ont de la noblesse : le comique doit donc rechercher les expressions individuelles à l’adresse des sens139. […] Voici comment Jean-Paul conclut le Prologue-Programme de son Titan : Maintenant donnons-nous la main, auteur et lecteurs, et dansons ensemble dans cet ouvrage ce grand bal de la vie ; moi à la tête d’un quadrille, et vous en sautant en mesure derrière moi, accompagnés par le chant des Muses et par la lyre d’Apollon, dansons de volume en volume, de cycle en cycle, de digression en digression, d’une pensée à une autre… (Traduction de M. 

202. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Je défie un lecteur sincère et intelligent d’expliquer, d’après votre maxime, votre succès à vous. […] La probité et la modestie de l’auteur touchaient ; on souffrait de voir un ouvrier si appliqué ne réaliser qu’à demi ; on l’aidait d’un rêve sympathique et l’esprit du lecteur achevait l’œuvre. […] Les frères Margueritte déclarent que leur but est d’inspirer au lecteur « l’horreur de la guerre ».

203. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 32, que malgré les critiques la réputation des poëtes que nous admirons ira toujours en s’augmentant » pp. 432-452

Le lecteur ne sçauroit avoir oublié déja que lui-même il étoit poete, et qu’il avoit composé plusieurs tragédies à l’imitation de celles des anciens. […] Mais ces détails deviendroient fatiguans pour le lecteur. […] Je répons que les remarques les plus subtiles des plus grands métaphysiciens ne feront pas décheoir nos poëtes d’un dégré de leur réputation, parce que ces remarques, quand bien même elles seroient justes, ne dépoüilleront pas nos poësies des agrémens et des charmes dont elles tiennent le droit de plaire à tous les lecteurs.

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