Et que ne diraient-elles pas, ces langues à deux tranchants, si je me reposais dans un insoucieux loisir, tandis que ceux à qui je dois compte de mes journées et de mes veilles périraient par mon indifférence et par mon oisiveté ? […] Le jardin qu’il aimait but le sang de son maître… De son bouquet sanglant ardente à se repaître, Fulvie, en recevant la tête dans son sein, Passa sa bague au doigt du tribun assassin ; Puis, dans l’organe mort pour punir la harangue, De son épingle d’or elle perça la langue, Et sur les Rostres sourds fit clouer les deux mains Qui répandaient le geste et le verbe aux Romains ! […] Il n’est plus de Fulvie et plus de Cicéron ; Notre Fulvie, à nous, c’est quelque amer Fréron Dont la haine terrestre au feu du ciel s’allume Et qui nous percera la langue avec sa plume !
Sans géographie l’histoire n’existe pas, la politique est aveugle, la guerre ne sait ni attaquer ni défendre, la paix ignore sur quels fleuves, sur quelles mers, sur quelles montagnes il faut construire ses forteresses ou asseoir ses limites ; la navigation ne peut se servir de ses boussoles, le commerce s’égare sur les océans, inhabile à découvrir quelles sont les productions ou les consommations qu’il doit emprunter ou porter aux climats divers dont il ne connaît ni la route, ni les richesses, ni les besoins, ni les langues, ni les mœurs, ni les philosophies, ni les religions. […] En parcourant d’un œil attentif toutes ces belles cartes réunies par un lien historique, dans cet atlas si admirablement groupé pour mettre l’univers en relief sous vos mains comme dans une exposition plastique du monde à toutes ses grandes époques, où tout ce qui est essentiellement mobile dans la configuration des empires parut un moment définitif, on sait tout de l’homme et tout de la terre politique ; on marche à travers les lieux et les temps avec un interprète qui sait lui-même toutes les langues et tous les chemins. […] Quelle était la langue, quelle est la religion, les lois, les mœurs, la politique, les dynasties ou les républiques ?
Évidemment, il y a là une inégalité, une injustice, un fatum… On peut différer de sentiment sur la poésie de M. de Banville et sur la nature de ses inspirations ; mais ce qu’on ne peut méconnaître, dès la première lecture, c’est que l’effort est complet, et qu’aucune négligence, aucune transaction ne s’est interposée entre le poète et son but… Des deux grands principes posés au commencement de ce siècle, la recherche du sentiment moderne et le rajeunissement de la langue, M. […] De naissance, il eut le don de cette admirable langue que le monde entend et ne parle pas ; et de la poésie il possède la note la plus rare, la plus ailée, le lyrisme. […] Par quel prodige, au milieu de ce siècle de critique et tout en subissant comme un autre les misères de ce siècle, dans ce pays de censure et d’académie, un homme de ce temps et de ce lieu a-t-il pu se ressouvenir de la vraie, pure, originelle et joyeuse nature humaine se dresser contre le flot de la routine implacable et non pas écrire ou parler, mais « chanter » comme un de ces bardes qui accompagnèrent au siège de Troie l’armée grecque pour l’exciter avant le combat et ensuite la reposer, — toutefois, en chantant, ne point sembler (pour ne blesser personne) faire autre chose qu’écrire ou parler comme tout le monde, et, avec une langue composée de vocables caducs, usés comme de vieilles médailles, sous des doigts immobiles depuis deux siècles, donner l’illusion bienfaisante d’un intarissable fleuve de pierreries nouvelles ?
Ceux-là même qui devraient se rejoindre, se retrouver, s’unir, dans l’immense foule médiocre, ceux-là, ne se connaissant pas, ne se peuvent donc reconnaître ; — et puis, chacun d’eux a sa langue. […] — mais il faut dire et redire que la seule matière indispensable à un poète, c’est la langue. […] À chaque grande époque où naît, renaît, s’épanouit la poésie, il semble que les ressources de la langue, images, rhythmes, sons, se présentent vierges devant le poète.
Tous les mots n’avaient pas droit à la langue. […] Les chefs-d’œuvre recommandés par le manuel au baccalauréat, les compliments en vers et en prose, les tragédies plafonnant au-dessus de la tête d’un roi quelconque, l’inspiration en habit de cérémonie, les perruques-soleils faisant loi en poésie, les Arts poétiques qui oublient La Fontaine et pour qui Molière est un peut-être, les Planât châtrant les Corneille, les langues bégueules, la pensée entre quatre murs, bornée par Quintilien, Longin, Boileau et La Harpe ; tout cela, quoique l’enseignement officiel et public en soit saturé et rempli, tout cela est du passé. […] Les principes combinés avec la science, toute la quantité possible d’absolu introduite par degrés dans le fait, l’utopie traitée successivement par tous les modes de réalisation, par l’économie politique, par la philosophie, par la physique, par la chimie, par la dynamique, par la logique, par l’art ; l’union remplaçant peu à peu l’antagonisme et l’unité remplaçant l’union, pour religion Dieu, pour prêtre le père, pour prière la vertu, pour champ la terre, pour langue le verbe, pour loi le droit, pour moteur le devoir, pour hygiène le travail, pour économie la paix, pour canevas la vie, pour but le progrès, pour autorité la liberté, pour peuple l’homme, telle est la simplification.
Son nom de nomique ou de legale lui aura été donné, parce qu’on s’en servoit principalement dans la publication des loix, et nomos signifie une loi en langue grecque. […] Certainement Athénes et les autres villes de la Grece qui pouvoient avoir un usage semblable à celui des atheniens, ne faisoient point chanter leurs loix, à prendre le terme de chanter dans la signification qu’on lui donne communement dans notre langue, lorsqu’elles les faisoient publier. […] Notre auteur dit ensuite qu’il y a dix accens dans la langue latine, et il donne en même-temps le nom de chaque accent, et la figure dont on se servoit pour le marquer.
… Ce qu’il y a de plus beau, je ne dis pas dans la langue des hommes, mais dans toutes les langues des hommes, quelles qu’elles soient, car ni peinture, ni musique, ni statue, ni monument en pierre ou en prose, ne valent cette chose surhumainement adorable : de beaux vers ! […] Mais ce qui restera de Lamartine, tant qu’il y aura une langue française, sera — comme je l’ai déjà dit — sa poésie seule, qu’il a faite seul, car ses fautes, il les a partagées, et il n’y a que son génie qui soit tout à lui !