Pour avoir une idée juste des incohérences de Cantu, il faudrait le lire dans sa propre langue. […] Amédée Renée lui a fait les honneurs de la langue française, et de telle façon que Cantu sera désormais lu dans notre pays, beaucoup moins pour lui que pour son interprète.
Il ne dissimulait pas ses efforts pour rendre à ces poésies de famille, obscurcies par la vétusté de la langue romane et par l’obscurité des termes, la clarté et la fraîcheur du langage moderne. […] Ces manuscrits de la main de madame de Surville, en langue moins française que romane, étaient à peu près illisibles pour lui. […] La langue seule était flottante, empruntant tantôt à l’italien, tantôt au latin, tantôt au patois du Midi l’instrument de sa pensée. […] La brûlante naïveté de cette amoureuse et innocente jeunesse de la langue déborde ici tellement que la plume se refuse à la copier aujourd’hui. […] Je ne connais rien de plus tendre en aucune langue ancienne ou moderne.
Ce que l’ode a d’essentiel, est précisément sa forme ; j’entens ce nombre et cette cadence, différente selon les langues, mais qui dans quelque langue que ce soit, lui est toujours particuliére. […] Le meilleur reméde à cela est de consulter des oreilles sçavantes, sans trop s’inquiéter pour satisfaire ceux à qui la langue et les idées poëtiques ne sont pas assez familiéres ; car enfin un poëte ne prétend parler qu’aux gens d’esprit ; et à moins que d’en dire trop pour eux, il n’en dira jamais assez pour les autres. […] L’obscurité de ses pensées s’est accrüe à mesure que les circonstances qui y avoient rapport, se sont effacées, ou que sa langue est devenuë moins familiére. […] Il est cause ordinairement qu’un traducteur idolâtre, pour vouloir rendre trop exactement toutes les beautés de son auteur, n’en rend en effet aucune ; car il est impossible, sur-tout en vers, que toutes les circonstances d’une pensée passent avec un bonheur égal d’une langue dans une autre. […] Il paroît même assez siasi de cet enthousiasme qui entraînoit Pindare ; et le mauvais succès de l’imitateur vient moins d’avoir mal suivi son modéle, que de n’avoir pas connu le génie de la langue françoise.
Zola) est la dernière expression, osée par un esprit que je crois systématiquement audacieux et coupeur de queues de chien, du Matérialisme et de la Démocratie, sa fillette, dans la littérature, l’art et la langue. […] Je ne crois point que, dans ce temps de choses basses, on ait écrit de livre plus bas dans l’ensemble, les détails et la langue, que La Faute de l’abbé Mouret. […] Il les y met sur sa langue, comme un chimiste… Et, par ce côté de l’ordure, La Faute de l’abbé Mouret est de la même famille que Le Ventre de Paris. […] Il avait une langue autrefois, chargée, convenons-en, de trop d’énumérations, d’une houle de trop de mots, mais, en fin de compte, touffue et puissante ; et il l’a dégradée et perdue dans les argots les plus ignominieux des cabarets ! […] La fortune d’un pareil livre, où la Nature humaine est mutilée, quand elle n’est pas pervertie, est bien moins dans la sympathie douloureuse qu’elle devrait exciter que dans la crudité obscène de la langue et des détails.
Or aucune espèce d’observation ne découvre dans la vie des animaux, même des animaux qui vivent en société, rien qui ressemble à ce qu’on nomme, dans toute langue humaine, morale et religion. […] L’ethnographie de notre siècle est parvenue, soit par l’observation directe, soit par la science des langues et des idiomes, à des vues ingénieuses, instructives, souvent solides, sur les caractères essentiels du génie des races diverses qui peuplent le globe. […] Ajoutez à l’étude des monuments religieux et littéraires l’analyse des langues et des idiomes, et vous trouverez la démonstration philologique des vues générales que l’ethnographie avait tout d’abord dégagées de l’observation historique. […] Leibnitz a aperçu ces limites de la hauteur de son génie, lorsque, mettant en opposition l’activité prévoyante de l’esprit et l’aveugle fatalité du corps, il dit, dans sa langue énergique : quod in corpore Fatum, in animo est providentia . […] Aucune langue n’a de mot pour exprimer ce je ne sais quoi (effort, tendance) qui reste absolument caché, mais que tous les esprits conçoivent comme ajouté à la représentation phénoménale27. » La force qui tend au mouvement, voilà, en effet, ce que ni la physique, ni la physiologie, ni même la psychologie expérimentale ne veut et ne peut connaître.
Les muses étaient les filles de Mémoire. « On parlait pour dire vrai, on chantait pour dire plus vrai encore. » Mythos, qui plus tard a voulu dire fable, dans la langue homérique signifie discours et vérité. […] Tel devient le français librement manié par ce charmant esprit qui y taille à sa guise, et qui se prenait parfois à souhaiter une langue toute neuve, afin d’y exprimer plus fraîchement ses pensées93. […] Il est des sujets d’étude convenables et bienséants jusqu’à la fin de la vie, ceux desquels Solon disait : « Je vieillis en apprenant toujours quelque chose. » Il y a d’autres études qui demandent de la jeunesse, les langues, par exemple. […] Cela sera plus difficile qu’on ne croit, parce que en Russie on est engoué du français, et que chacun, se croyant capable d’écrire sa langue, refuse de reconnaître la supériorité d’un auteur qui sait s’en servir avec talent. […] Moi, j’aurais un plaisir immodéré à écrire dans une langue neuve qui recevrait jusqu’aux moindres nuances de ma pensée et me donnerait comme une place pure l’image la plus vraie de mon âme.
Walckenaer, dans ses abondants et excellents Mémoires sur Mme de Sévigné, a remis tellement sur le tapis Bussy-Rabutin, qu’on le connaît comme on ferait un de nos contemporains mêmes, qu’on vit avec lui, qu’on est dans le secret de ses amours, de ses vanités, de ses faiblesses ; et comme Bussy, tout gentilhomme et grand seigneur qu’il se piquait d’être avant toute chose, est un bon écrivain, un de ceux qui ont aidé en leur temps à polir la langue, et que La Bruyère l’a placé en cette qualité à côté de Bouhours, nous en parlerons à ce titre aujourd’hui. […] « On a mille fois entendu vanter, disait-on de lui en son temps, la politesse de son esprit, la délicatesse des pensées, un noble enjouement, une naïveté fine, un tour toujours naturel et toujours nouveau, une certaine langue qui fait paraître toute autre langue barbare. » C’est beaucoup dire, et je dois avertir aussi que c’est d’une harangue d’académie que je tire ces louanges. […] Bref, pour conclure littérairement sur Bussy, il a sa date dans l’histoire de la langue ; il est grammairien, puriste, cherchant et trouvant la propriété des termes : « Il écrivait avec peine, a dit quelqu’un qui l’a bien connu39, mais les lecteurs n’y perdaient rien ; ce qu’il écrivait ne coûtait qu’à lui. » Il y a du Vaugelas en Bussy ; et de plus, dans le genre épistolaire, il fait le lien de Voiture à Mme de Sévigné. […] Enfin, il reste attaché à jamais, comme un coupable et comme un vaincu, à son char ; et cet homme si vain, si épris de sa qualité et de lui-même, vivra surtout par cet endroit, qui est celui de ses torts et de sa défaite, et il vivra aussi parce qu’il a eu l’honneur, à son moment, en s’en défendant peut-être, et à la fois en y visant un peu, d’être non pas un simple amateur, mais un des ouvriers excellents de notre langue. […] La langue de Bussy retarde déjà un peu.