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325. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Introduction de la langue vulgaire ; drame plus populaire et moins clérical. […] Enfin la langue vulgaire fait son apparition : et dès ce moment nous n’avons plus à nous occuper des drames latins liturgiques, qui subsisteront à travers le moyen âge, et dont les traces seront signalées jusqu’à nos jours. Le plus ancien texte connu qui mêle au latin la langue du peuple est le drame de l’Epoux ou des Vierges folles (xiie  siècle, 2e tiers) : mais il est de la région poitevine, et cette langue du peuple est un dialecte de la langue d’oc. La langue d’oïl apparaît dans deux des trois pièces latines qu’a écrites un disciple d’Abailart nommé Hilaire : dans une Résurrection de Lazare et dans un Jeu sur l’image de saint Nicolas. […] Une fois introduite, la langue vulgaire ne tarda pas à être souveraine, et du même coup le drame cessa d’être une œuvre cléricale.

326. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Après avoir suivi le genre des éloges chez les peuples barbares, ou ils n’étaient que l’expression guerrière de l’enthousiasme qu’inspirait la valeur ; chez les Égyptiens, où la religion les faisait servir à la morale ; chez les anciens Grecs, où ils furent employés tour à tour par la philosophie et la politique ; chez les premiers Romains, où ils furent consacrés d’abord à ce qu’ils nommaient vertu, c’est-à-dire, à l’amour de la liberté et de la patrie ; sous les empereurs, où ils ne devinrent qu’une étiquette d’esclaves, qui trop souvent parlaient à des tyrans ; enfin, chez les savants du seizième siècle, où ils ne furent, pour ainsi dire, qu’une affaire de style et un amas de sons harmonieux dans une langue étrangère qu’on voulait faire revivre ; il est temps de voir ce qu’ils ont été en France et dans notre langue même. […] L’esprit, le goût, l’éloquence, la langue même, rien n’était formé. […] En repassant les premiers temps de notre littérature, et les éloges écrits dans notre langue, il ne sera pas inutile de remarquer souvent à qui ces éloges ont été prodigués, et de comparer quelquefois les vertus dont le panégyriste parle, avec les vices plus réels dont parle l’histoire. […] La collection des oraisons funèbres que nous avons dans notre langue, commence à peu près en 1547, c’est-à-dire, à la mort de François Ier. […] L’unique différence, c’est que nos orateurs français insultent à l’humanité en prose faible et barbare, dans ce jargon qui n’était pas encore une langue ; au lieu que l’orateur d’Italie, écrivant avec pureté dans la langue de l’ancienne Rome, ses mensonges du moins sont doux et harmonieux.

327. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

Et tout d’abord, quand on présente un tableau des progrès de la langue dans la première moitié du xviie  siècle, on rencontre au seuil l’écrivain qui a fait école et qui a marqué un temps décisif de réforme dans l’ordre de la langue et du goût : c’est un poète, c’est Malherbe, l’inévitable. […] Il y avait même là une contradiction chez celui qui voulait qu’on apprît la langue, la vraie langue française, en allant écouter comment parlaient les crocheteurs du Port-au-Foin, et qui recourait en même temps, pour ses comparaisons et ses images, à la mythologie la plus reculée et la plus lointaine. […] Sa langue est fière et sonore ; sa poésie respire certaine senteur libre et vivace. […] On l’a dit, quelques strophes de ce ton suffisent pour réparer une langue et pour monter une lyre. […] Ce docteur en langue vulgaire avait accoutumé de dire que, depuis tant d’années, il travaillait à dégasconner la Cour, et qu’il n’en pouvait venir à bout.

328. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Des vers de Tibulle à Délie, le quatrième chant de l’Énéide, Ceyx et Alcione, Philémon et Baucis, peignent les sentiments de l’âme avec cette langue des Latins dont le caractère est si imposant. Quelle impression ne produit-elle pas, cette langue créée pour la force et la raison, alors qu’on la consacre à l’expression de la tendresse ! […] Ovide introduisit, par plusieurs de ses écrits, une sorte de recherche, d’affectation et d’antithèse dans la langue de l’amour, qui en éloignait tout à-fait la vérité. […] Je choisis dans Virgile, le poète du monde où l’on peut trouver le plus de vers sensibles, ceux qui peignent la tendresse paternelle ; car il faut pour attendrir, sans employer la langue de l’amour, une sensibilité beaucoup plus profonde.

329. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVII. De l’éloquence au temps de Dioclétien. Des orateurs des Gaules. Panégyriques en l’honneur de Maximien et de Constance Chlore. »

Ce n’était plus d’ailleurs la langue de Cicéron et d’Auguste ; elle était altérée. […] Ces idiomes barbares corrompaient nécessairement la langue romaine. Formée par des conquérants, elle n’avait jamais été une langue de philosophes ; mais alors elle n’était plus même une langue d’orateurs.

330. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Les chrétiens sincères ne s’y trompèrent pas, la rhétorique seule le regarda et le regarde comme un monument de la langue. […] C’est l’inspiration, l’inspiration qui est à la langue ce que l’explosion est à la pensée, c’est-à-dire la force et la soudaineté intérieure du sentiment qui le fait jaillir en feu et en flamme dans une harmonie divine qui subjugue à la fois du même coup l’auditeur et le poëte. […] Il ne savait pas lui-même quel vent l’y poussait ; c’était le souffle du vieux monde ; c’était l’instinct mâle de la génération des choses cherchant comme la virginité des mers, des forêts, des solitudes pour y déposer la semence fécondante des langues mûres et rajeunies. […] Il ne sait d’où il vient, et tout le monde le regarde ; il ignore quelle langue il parle, et toute la terre l’écoute. […] Alors tout se tait dans la vieille langue ; nul ne cherche à imiter l’inimitable ; les uns ricanent par envie, les autres pleurent par sympathie, tous s’émerveillent en écoutant ; la note grave est retrouvée dans les langues modernes, et ce jeune inconnu a sonné sans le savoir le sursaut du monde.

331. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Car c’est fort injustement que la langue française, véhicule universel des idées et des sentiments, se trouve incriminée par le fait de tous les impudents qui, pour arriver à une profitable diffusion, lui empruntent son admirable lexique. […] Des soucis de culture classique, l’utilisation d’une langue mordante ou savoureusement pastichée d’après l’ancien langage du xviie  siècle, figurent au premier plan de leur idéal esthétique. […] Doué d’un tact très net pour atteindre la vision exacte des choses, il décore ce réalisme d’une langue châtiée et pittoresque, qui est la pure langue classique française. […] Atmosphère de libertinage et d’épicurisme, de satire et de tendresse, de tristesse désabusée et d’enjouement, action originale, mise en valeur par une langue alerte, claire et naturelle, voilà, en résumé, le roman de M. de Régnier. […] Empreintes d’amertume, de poésie et de lyrisme, empreintes aussi d’une mélancolie tragique et de nostalgie aventureuse, ces compositions sont écrites dans une langue variée, insinuante et colorée, dans une langue aux images fortes et neuves, qui leur donne un charme et une saveur imprévus.

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