Mes regards rasant la crête de cette langue de rocaille, rencontraient le sommet des maisons du village, et allaient s’enfoncer et se perdre dans une campagne qui confinait avec le ciel. […] Cette anse était formée à gauche par une langue de terre, un terrain escarpé, des rochers couverts d’un paysage tout à fait agreste et touffu. […] Cette langue de terre ménagée en pointe au devant de ces arbres, et descendant par une pente facile vers la surface de ces eaux, est tout à fait pittoresque. […] C’est la langue de nature, c’est le modèle du musicien, c’est la source vraie du grand symphoniste. […] Il en arrive cependant tout le contraire ; c’est qu’alors la langue du sentiment, la langue de nature, l’idiôme individuel était parlé en même temps que la langue pauvre et commune ; c’est que la variété de la première de ces langues détruisait toutes les identités de la seconde, des paroles, du ton, de la mesure et du chant.
Ils eurent cette langue musicale précise, qui seule permet une expression régulière des émotions. […] Ils négligèrent la signification émotionnelle des accords, des rythmes : ils s’ingénièrent à perfectionner une langue dont ils avaient oublié le sens. […] Pendant que les savants compositeurs détruisaient la langue musicale ancienne, une nouvelle langue était fournie à la musique par ces chansons populaires. […] Son œuvre demeure, pour nous, d’une compréhension malaisée ; il emploie un langage encore indécis, moyen entre la langue des vieux savants, à nous secrète, et la langue nouvelle qui venait du peuple. […] Bach avait créé la musique moderne : il lui avait donné les émotions qu’elle devait exprimer, et la langue où elle les devait exprimer.
Rude tâche que de vouloir parler cette langue qui éventre tout et s’éventre elle-même ! […] La langue même de Hugo ne contracte et n’a toute sa beauté qu’à la condition de s’appliquer exactement aux choses nettes et précises. […] … Si on me défiait, je pourrais multiplier des citations pareilles, — qui montreraient ce que devient Hugo quand il se livre à ses visions par trop cornues, et combien ce visionarisme dont on lui a fait un mérite poétique décompose son regard, sa pensée et sa langue. […] Rien de pareil, en effet, ne s’est vu dans la langue française, et même dans la langue française de Hugo. […] C’est la même langue, identiquement la même langue, mais décrépite.
Ce fut à la langue latine que Pétrarque voulut demander la gloire. […] En France, nous sommes habitués à croire que la langue toscane est la langue italienne par excellence. […] Dans l’espace de quatre ans, il apprit non seulement les langues grecque et latine, mais les quatre langues vivantes qui se parlent autour de nous, je veux dire les langues allemande, anglaise, italienne et espagnole. […] Toutes les formes de la pensée humaine ont besoin d’une langue précise. […] à quoi bon interroger les débris de la langue étrusque et de la langue osque pour trouver le sens d’un nom ?
Je suis porté à croire que si l’on donnait des éditions, je ne dis pas scolaires, mais simplement communes et populaires des chefs-d’œuvre de la vieille langue, si quelques spécialistes mettaient leurs soins à établir pour ces éditions une orthographe moyenne et partiellement conventionnelle, qui fixât les mots dans une forme unique d’un bout à l’autre de chaque œuvre et pour certains groupes assez larges d’écrivains, et qui facilitât la lecture des textes originaux, on ferait aisément entrer le meilleur de notre moyen âge dans le domaine commun de la littérature. […] J’ai éliminé l’histoire de la littérature de langue d’oc : elle n’avait pas plus de raison d’entrer dans un ouvrage que l’histoire de la littérature celtique, ou l’histoire des œuvres écrites en latin par des Gaulois ou des Français. Je n’ai même pas voulu faire l’histoire de la langue : c’est tout un livre qu’il faudrait écrire ; entre la Grammaire historique et l’Histoire de la littérature, il y a place pour ce que j’appellerais l’Histoire littéraire de la langue, l’étude des aptitudes, ressources et propriétés littéraires de la langue générale dans les divers états qu’elle a traversés.
Toutes les lois sont donc tirées de l’expérience ; mais pour les énoncer, il faut une langue spéciale ; le langage ordinaire est trop pauvre, il est d’ailleurs trop vague, pour exprimer des rapports si délicats, si riches et si précis. Voilà donc une première raison pour laquelle le physicien ne peut se passer des mathématiques ; elles lui fournissent la seule langue qu’il puisse parler. Et ce n’est pas une chose indifférente qu’une langue bien faite ; pour ne pas sortir de la physique, l’homme inconnu qui a inventé le mot chaleur a voué bien des générations à l’erreur. […] Eh bien, pour poursuivre la comparaison, les écrivains qui embellissent une langue, qui la traitent comme un objet d’art, en font en même temps un instrument plus souple, plus apte à rendre les nuances de la pensée. On comprend alors comment l’analyste, qui poursuit un but purement esthétique, contribue par cela même à créer une langue plus propre à satisfaire le physicien.
Lacordaire n’a pas fait œuvre de philosophe complet encore, il n’a pas fait œuvre de prêtre : un prêtre n’eût pas tant attendri, tant mondanisé et tant vulgarisé la langue sévère du catholicisme en abaissant, devant les exigences publiques, son surnaturel et merveilleux idéal ; un prêtre ne demande pas pardon pour la divinité de son Dieu !! […] Orateur, sa langue est plus saine. […] D’ailleurs, il y a l’émotion et la voix transfigurant cette langue qui passe et dont il ne reste dans le souvenir qu’un écho ! […] Lacordaire ne vient pas de l’ignorance de la langue ni de l’audace des néologismes ou des barbarismes qui ont quelquefois, quand l’écrivain a de la pensée et reste intelligible, la sauvage grandeur de toute barbarie. […] Seulement qu’on se rappelle bien désormais que, par le temps qui court, les moines peuvent entrer à l’Académie, pourvu qu’ils n’y soient pas trop moines, et comme leur langue est particulièrement le latin, l’Académie, qui est parfaitement bonne et aimable, n’exige pas qu’ils sachent le français.