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221. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « Préface »

Ce serait en effet, de temps en temps, un mot, ou un jugement ou même un chapitre intégral devant lequel la Rédaction en Chef, cette héroïne, a eu froid dans le dos et qu’avec cette grâce qui n’appartient qu’à elle, elle a lestement supprimé ! […] Sans être un Hercule, il file aux pieds d’une Omphale qui ne lui permettrait même pas de s’y asseoir, si elle était vivante ; mais nous n’en aurons pas moins probablement l’occasion de nous replier sur ses anciens travaux à propos de quelque édition de ses œuvres, et alors, il aura le jugement auquel il a droit comme Lamennais, Royer-Collard, Ballanche et tant d’autres qui — à quatre pas dans le passé, — semblent déjà s’enfoncer dans l’ombre d’un siècle.

222. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — I »

Renan, en même temps qu’il introduisait dans les jugements du siècle une compréhension qui allait contre la discipline de Saint-Sulpice, s’imposa de garder pour soi-même la rigueur de mœurs qu’il avait vu pratiquer dans cet austère bâtiment. […] Il ne se pique jamais de reviser les jugements de la société ; tout jeune, il prit le parti d’accorder qu’un académicien est toujours un esprit « extrêmement distingué » et un collaborateur des Débats « un homme éminent ».

223. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Mais, dira-t-on, vous renvoyez donc un homme de lettres à ses rivaux pour être jugé, et peut-on espérer que la rivalité soit équitable, du moins quand son jugement ne sera pas renfermé au dedans d’elle-même ? […] Bientôt, comme on n’observe guère de milieu dans ses jugements, tout géomètre s’est vu indistinctement recherché ; il est vrai que cette manie a duré peu, non parce qu’on a reconnu que c’était une manie, mais parce qu’aucune manie ne dure dans notre nation. […] Il est vrai qu’à l’exception d’un petit nombre de grands seigneurs, assez heureux pour sentir tout le prix du talent de cet homme célèbre, et assez courageux pour le dire, les autres n’ont pas la satisfaction de voir le public ratifier leur avis, et finissent au contraire par souscrire d’assez [mauvaise grâce au jugement de la nation ; jugement qu’ils auraient prévenu (sans savoir pourquoi) si l’illustre artiste avait daigné faire semblant de les consulter sur sa musique. […] Aussi les éloges qu’il reçoit ne se bornent pas au suffrage de ses sujets ; ratifiés par toute l’Europe, dont la voix unanime est la pierre de touche du mérite des souverains, ils le seront par le jugement des siècles futurs, qu’on peut lui annoncer d’avance parce qu’il n’a point à le redouter. […] Aussi, non content de rechercher leur commerce, vous leur témoignez encore cette considération réelle sur laquelle ils ne se méprennent pas quand ils en sont dignes ; et comme la vanité n’a point de part à votre estime pour eux, la réputation ne vous en impose point dans vos jugements.

224. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Mais pourtant, comme le jugement de M. Magnin reste, somme toute, le vrai jugement, la juste et fine vérité sur lui et sur le meilleur de son œuvre ! […] Les années et les épreuves successives, loin de le désabuser, ne firent que le confirmer dans son premier jugement. […] Il compliqua de trop de considérations et de prenez-y garde le jugement très-simple et très-net qu’il y avait à donner sur ce succès, qui était à moitié un succès de contraste et d’opposition, et qui avait, à sa date, une signification tranchée. […] Max Buchon a cité comme de moi un jugement sur M. 

225. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

Nous parlerions aussi des jugements auxquels je dois m’attendre de la part des générations qui suivront la nôtre. […] Il est évident qu’il ne voulait pas s’exposer, dans le cas où il eût survécu, ne fût-ce que de peu, à entendre les commentaires du public et à assister à son propre jugement. […] Le succès dépendra aussi du jugement et de l’opinion qui prévaudra alors sur le maître tout-puissant qu’il a servi et abandonné. […] J’accepte en général les jugements de l’auteur anglais, mais je les complète, et j’y mêle le grain de poivre que la politesse avait toujours chez nous empêché d’y mettre. […] Ce Talleyrand a eu bien de la peine à passer au gosier de certaines gens du monde ; il y a eu des arêtes : nous sommes un peuple si réellement léger, si engoué de ses hommes, si à la merci des jugements de société, que l’histoire, pour commencer à se constituer, a souvent besoin de nous arriver par l’étranger… » Et dans une note détachée et inédite, que je retrouve dans le dossier, il disait : « J’ai écrit de bien longs articles, et pourtant ils sont des plus abrégés et des plus incomplets, je le sens, sur un tel sujet.

226. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

L’accueil de Lamartine et son jugement favorable encouragèrent Farcy à continuer ses essais poétiques. […] Et pour moi même, tout prend dans mes rapports avec les autres un caractère plus positif ; sans entrer dans les affaires, je ne me défie plus de mes idées ou de mes sentiments, je ne les renferme plus en moi ; je dis aux uns que je les désapprouve, aux autres que je les aime ; toutes mes questions demandent une réponse ; mes actions, au lieu de se perdre dans le vague, ont un but ; je veux influer sur les autres, etc. » En même temps que cette défiance excessive de lui-même faisait place à une noble aisance, l’âpreté tranchante dans les jugements et les opinions, qui s’accorde si bien avec l’isolement et la timidité, cédait chez lui à une vue des choses plus calme, plus étendue et plus bienveillante. […] Je le comparerais, pour la sagesse prématurée, à Vauvenargues, et plusieurs de ses pensées morales semblent écrites en prose par André Chénier : « Le jeune homme est enthousiaste dans ses idées, âpre dans ses jugements, passionné dans ses sentiments, audacieux et timide dans ses actions. […] Toutes nos erreurs nous sont connues ; l’âpreté de nos jugements d’autrefois nous revient à l’esprit avec honte ; on laisse désormais pour le monde le temps faire ce qu’il a fait pour nous, c’est-à-dire éclairer les esprits, modérer les passions. » Il n’était pas temps encore pour Farcy de rentrer dans l’Université ; le ministère de M. […] Si jamais le troisième Recueil qui fait suite immédiatement aux Consolations et à Joseph Delorme, et qui n’est que le développement critique et poétique des mêmes sentiments dans une application plus précise, vient à paraître (ce qui ne saurait avoir lieu de longtemps), il me semble, autant qu’on peut prononcer sur soi-même, que le jugement de Farcy se trouvera en bien des points confirmé.

227. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Parmi les personnes qui m’écoutent, il en est peut-être qui viennent chercher ici des notions sur l’art d’écrire, avec l’intention de s’y exercer elles-mêmes ; il en est d’autres qui ne veulent qu’éclairer leur jugement, orner leur esprit et former leur goût ; mais le plus grand nombre, dont le jugement, l’esprit et le goût pourraient donner des leçons au lieu d’en recevoir, n’ont besoin que de se souvenir. […] Si la critique littéraire n’est plus une boussole assez sûre pour diriger nos jugements dans l’appréciation des œuvres de l’esprit, qu’avons-nous de mieux à faire que de nous mettre en état de les juger nous-mêmes, d’après nos propres lumières, d’après nos propres impressions ? […] Ils commencent par établir sur chaque branche de littérature les préceptes que l’usage a consacrés, puis ils passent en revue les divers ouvrages qui en font partie, et le jugement qu’ils en portent se formule d’après les principes qu’ils ont posés, comme étant sous ce rapport la législation souveraine et absolue. […] Si, comme nous l’avons dit, nous nous refusons à poser d’avance des lois, des règles, des principes, pour mesurer les œuvres du génie, comme on mesure la taille des conscrits, ne devons-nous pas chercher un drapeau sous lequel nous puissions nous rallier, afin d’éviter la confusion dans nos jugements et le désordre dans nos idées ? […] Alors se dissipe peu à peu le brouillard qui rendait notre jugement confus et incertain.

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