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266. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Les mœurs de cette jeunesse, livrée à elle-même, sans surveillance, étaient à l’abri de tout reproche. […] Je n’en ai pas vu une trace dans ma jeunesse ecclésiastique. […] Ce qu’il voulait, c’était une éducation libérale, pouvant convenir également au clergé et à la jeunesse du faubourg Saint-Germain, sur la base de la piété chrétienne et des lettres classiques. […] La jeunesse destinée à l’état ecclésiastique et la jeunesse destinée au premier rang social lui paraissaient devoir être élevées de la même manière. […] Pour une élite de la jeunesse cléricale, il espérait qu’il sortirait de ce mélange avec des jeunes gens du monde, soumis aux mêmes disciplines, une teinture et des habitudes plus distinguées que celles qui résultent de séminaires peuplés uniquement d’enfants pauvres et de fils de paysans.

267. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Tissot. Poésies érotiques avec une traduction des Baisers de Jean Second. »

Ses accents étaient si vrais et si conformes aux passions des cœurs, il y avait dans ses chants tant de jeunesse, un si profond enivrement de la jouissance, une incurie si profonde de l’avenir ! […] Œuvres de jeunesse pour la plupart, autant que nous en pouvons juger, les pièces qu’il publie n’ont pas un mérite d’art assez éminent pour faire oublier toujours l’uniformité ou même le vide du fond.

268. (1875) Premiers lundis. Tome III « Émile Augier : Un Homme de bien »

Les générations toutes fraîches tiennent à ne pas se confondre dans ce qui les a précédées, à ne point paraître venir à la suite ; elles veulent à leur tour commencer quelque chose, marcher en tête de leurs propres nouveautés, avec musique et fanfares, et guidées par les princes de leur jeunesse. […] Seulement, quel que soit l’essor de jeunesse, il importe de se rendre compte des difficultés aussi, de se bien dire qu’on n’atteint pas le but du premier coup ; qu’un champ ouvert, et où l’on entre sans assaut, n’est pas plus facile à parcourir peut-être ; que l’obstacle véritable et la limite sont principalement en nous, et que c’est avec son propre talent qu’on a surtout affaire, pour l’exercer, pour l’aguerrir, pour en tirer, sans le forcer, tout ce qu’il contient.

269. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les brimades. » pp. 208-214

Un tel plaisir ne se peut expliquer que par un éveil de l’antique férocité animale chez « l’élite de la jeunesse française », et par ce fait qu’une réunion d’hommes est plus méchante et plus inepte que chacun des individus qui la composent (meilleure aussi en certains cas, mais c’est infiniment plus rare). […] Je l’aime simplement comme on aime sa jeunesse.

270. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

la tombe s’ouvre sans pitié sous les pas de ma jeunesse ; et pendant que je suis en proie aux plus cuisantes douleurs, je cherche à les tromper quelques heures en m’entretenant avec toi. […] Toute sa jeunesse et toute la passion qu’elle portait à Bérenger son père éclataient, brûlaient. […] La terre aussy n’eust-elle sa jeunesse ? […] Mais les langues ont leur jeunesse ; c’est la naïveté et la passion ; la passion pure d’un amour sans remords qui savoure ses larmes sans y trouver d’amertume et qui est fière de sa douleur parce qu’elle est sûre d’être consolée. La brûlante naïveté de cette amoureuse et innocente jeunesse de la langue déborde ici tellement que la plume se refuse à la copier aujourd’hui.

271. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Ses premiers exils en Amérique, son émigration, ses misères, même en Angleterre, avaient été subis sous l’influence des sentiments chrétiens ; les grands spectacles de la solitude, du ciel, de la mer, des forêts, des fleuves, des cascades, qui l’avaient frappé dans son voyage, étaient empreints de cette couleur ; il les avait reflétés dans Atala et dans René, ses premières ébauches ; il avait pensé, il avait rêvé en chrétien ; sa haine même, si naturelle, contre les persécutions et les martyres des croyances de sa jeunesse leur avait donné quelque chose de tendre comme les souvenirs de la demeure paternelle, de sacré comme le foyer de ses pères ; tout son cœur et toute son imagination étaient restés ainsi de la religion du Christ. […] Parvenu au but de ses désirs, qui était de renverser les libéraux modérés du ministère, pour créer et protéger un ministère de royalistes auxquels il prêterait son talent, puis, de le renverser ensuite et de se substituer seul à M. de Villèle, il semble d’abord ressentir ou affecter pour madame Récamier une passion de jeunesse sans mesure, qui n’a pour objet que de revenir de ses ambassades à Paris pour s’enivrer de sa passion équivoque auprès d’elle, dans la solitude et dans le désintéressement de son amour ; puis, après le congrès de Vérone et sa nomination au ministère des affaires étrangères, d’autres passions moins platoniques paraissent le refroidir et l’éloigner de madame Récamier. […] Ses jours à lui-même s’avançaient ; l’ennui, cette maladie du génie fourvoyé, le punissait de toutes ses fautes ; il avait simulé une mélancolie trompeuse dans sa jeunesse ; une mélancolie vraie et découragée le rongeait. […] LXVIII Jean-Jacques Rousseau est celui des écrivains français auquel Chateaubriand aspire le plus à ressembler dans sa jeunesse ; il a des larmes dans le style ; sa sensibilité lui fait illusion, il la prend pour la vertu et pour la vérité. […] Il dut y avoir à la fin du paganisme des hommes supérieurs, d’abord chrétiens, puis ramenés aux dieux de leur jeunesse par la poésie de l’Olympe et par la facilité d’un vieux culte rétabli ; flottant d’une religion à l’autre, écrivant tantôt pour la nouvelle, tantôt pour l’ancienne foi de Rome, et mourant héroïquement comme Julien l’Apostat, en lançant au ciel le reproche terrible où le doute retentit à travers ces âges : « Tu as vaincu, Galiléen ! 

272. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Quand il ne fut plus jeune (on pourrait même écrire un autre mot), il vécut toujours sur les premiers succès de sa jeunesse et de sa petite jeunesse, comme disait avec tant de grâce M. de Talleyrand. […] Ce qui prouve, du reste, la triple absence de l’aperçu, de la sensibilité et de la science réelle en Villemain, c’est qu’au meilleur moment de sa jeunesse et de sa force il n’ait cherché dans les Pères et dans l’étude de leurs écrits qu’une raison et qu’un moyen d’enseigner l’éloquence, comme si l’éloquence s’enseignait ! […] C’était un abus de langage d’appliquer à une nation dont la vie se compose de jeunesses successives (peste ! […] Un peuple ne dépérit pas ainsi… S’il prévient, au contraire, la décadence par le travail continu des esprits, par le sentiment élevé du devoir, par quelque grandeur dans la vie publique, il ne subit pas la loi du temps et il peut compter indéfiniment sur de nouveaux âges virils. » Villemain, évidemment, a trop l’expérience de la vie pour croire à cette plaisanterie de jeunesses successives. […] Si, de l’adjonction des capacités qu’il regrette, « on en est venu — dit Villemain — à ce qui lui ressemble le moins, le suffrage universel (nous croyons, nous, que c’est ce qui lui ressemble le plus), est-ce une raison pour ne plus souffrir dans le pays un degré supérieur, une aristocratie d’études destinée surtout à la classe aisée, et promettant, par l’habile emploi des premières années de la jeunesse, une recrue certaine d’esprits cultivés ? 

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