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894. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Du temps des troubles de la Ligue et dans les premières années de Henri IV, il en fut de même : on comptait de ces hommes de sagesse et de conseil, et auprès de Henri IV et dans les rangs opposés, car, en temps de révolution, les hommes ne choisissent guère les partis où ils entrent, ils y sont jetés. […] On lit même dans l’historien littéraire de la Bourgogne, Papillon, une anecdote presque gaillarde que je donne pour ce qu’elle vaut, mais qui concorde pour le fond avec le témoignage de Saumaise : Jeannin (selon un recueil manuscrit cité par Papillon) étant revenu à Bourges pour la seconde fois et étant allé avec ses anciens camarades voir le sieur Cujas incognito, Cujas ne laissa pas de le reconnaître, quelque soin qu’il prît de se déguiser, et, s’étant jeté à son cou, il commença à lui dire : « Est-ce toi, Romorantin ? 

895. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Le coup d’œil qu’il a jeté du haut du pic du Midi sur les divers étages et les groupes des montagnes centrales, jusque-là mal démêlées dans leurs proportions respectives, a indiqué à Ramond les sommets inexplorés où il doit tendre, et c’est droit au Marboré d’abord qu’il va se diriger. […] À un certain endroit un pont, d’une seule arche se présente, jeté sur le gave, à quatre-vingt-dix pieds environ au-dessus du torrent : « Ce pont lui-même, antique et dégradé, revêtu de lierre qui pend de sa voûte en rustiques festons, a pris en quelque sorte l’uniforme de la nature, et a cessé d’être dans ce sauvage tableau un objet étranger. » L’uniforme de la nature est un de ces traits maniérés ou affectés qui se rencontrent quelquefois chez Ramond, mais qui ne sauraient compromettre le juste effet des ensembles.

896. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Le poète cette fois n’anathématise point l’or et ne blâme point les malheureux émigrants qui le vont chercher ; il jette sur l’ensemble du monde un regard de tristesse et trouve encore l’humanité bien misérable au gré des désirs et des vœux qu’il conçoit pour elle. […] Dissiper les vapeurs dont je suis dévoré…     Cherchez l’or, dit la jeune fille ;     Mon travail ne me suffit pas ;     Et le tentateur sur mes pas Jette rubans, tissus, joyaux, tout ce qui brille.

897. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Cessez donc, petite brutale, de vouloir souffleter un homme qui se jette à vos pieds, qui vous avoue sa faute, et qui vous prie de la lui pardonner… » « —  Levez-vous, Comte, lui répondit-elle : je ne veux point vous vous tuer à terre ; ou reprenez votre épée pour recommencer notre combat. […] En lui l’auteur paraît toujours ; sa conclusion est bien de l’homme qui, dans le temps, n’a pas voulu perdre ce vilain Portrait si bien fait ; qui n’a pas eu le courage de sacrifier et de jeter au feu cette production de son esprit : « Ne trouvez-vous pas, dit-il, que c’est grand dommage que nous ayons été brouillés quelque temps ensemble, et que cependant il se soit perdu des folies que nous aurions relevées et qui nous auraient réjouis ?

898. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Très souvent un auteur, en écrivant, se jette dans l’excès ou dans l’affectation opposée à son vice, à son penchant secret, pour le dissimuler et le couvrir ; mais c’en est encore là un effet sensible et reconnaissable, quoique indirect et masqué. […] Les disciples qui imitent le genre et le goût de leur modèle en écrivant sont très-curieux à suivre et des plus propres, à leur tour, à jeter sur lui de la lumière.

899. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

Et ainsi, lorsque la prédication de Jésus commençait, lorsque après l’avoir vu, au retour du désert et de sa tentation triomphante, quitter de nouveau sa mère, Marie triste et résignée, on le suivait le long de la mer de Galilée allant recruter des pêcheurs pour disciples ; lorsque dans des scènes très plates et d’un langage délayé, mais assez naïves, on assistait à ces conversations, puis à ces conversions de pêcheurs, de gens de métier, chacun ayant sa physionomie et gardant assez bien son caractère ; lorsque le cortège des Douze se complétait ainsi à vue d’œil, avec sa variété, — parmi eux un seul noble, Barthélemy « en habit de prince », les autres dans leurs habits mécaniques ou de travail, saint Thomas en habit de charpentier, ayant jeté seulement ses outils, et Matthieu le publicain, à son tour, assis d’abord devant sa table, avec ses sacs d’argent rangés dessus, et cependant offrant dans sa maison un repas à Jésus qui l’accepte, — il y avait certainement, à cette suite de scènes familières, un intérêt que l’on conçoit encore très-bien aujourd’hui, et qui consistait dans l’extrême détail, dans le naturel minutieux du développement, dans l’imitation et la copie de la vie. […] Cependant le page Brunamont s’accommode peu de voir son maître jeter son oiseau au vent et détacher de son cou sa trompe ; il rattrape l’oiseau, ramasse la trompe, et s’en va offrir ses services à Madeleine, l’autre sœur de Lazare, bien différente de Marthe, et qui mène joyeuse et galante vie en son château de Magdalon.

900. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

Si le temps me le permettait, je vous dirais à présent quelqu’une des choses que fit ce soldat ; cela suffirait pour vous intéresser et pour vous surprendre bien plus assurément que le récit de mon histoire. » C’est dommage que le compagnon n’ait pas cédé à la tentation et ne nous ait pas donné toute l’histoire ; mais, certes, ce n’était pas trop d’orgueil ni de vanité à Cervantes que de jeter ainsi sa signature et de profiler sa silhouette au cœur de son œuvre. […] Je composai dans ce temps jusqu’à vingt ou trente comédies, qui toutes furent jouées sans qu’on leur jetât des concombres ou autres projectiles.

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