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312. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

. ― Le commerce, lui aussi, apporte son contingent à la vie intellectuelle d’une nation. […] Autre résultat de la même cause : Comme le théâtre et le roman sont avec l’article de journal « ce qui fait le plus d’argent  », ils ont attiré à eux la plupart des forces intellectuelles. […] Les autres, les plus nombreux, sont obligés d’employer leur talent comme moyen d’existence et pour ceux-ci il faut toujours se demander quel est, en dernière analyse, le groupe qui les paie ; car de sa valeur intellectuelle et morale, de la part de revenus qu’il veut ou peut consacrer à la satisfaction de ses goûts esthétiques dépend en une mesure non négligeable l’orientation des œuvres littéraires. […] Les « ratés » de la bohème s’épuisant à courir après un gîte et un souper problématiques, et ce qu’on appelle de nos jours le prolétariat intellectuel rejoignent à travers les siècles les misères d’un Rutebœuf, couchant sur la paille, toussant de froid, bâillant de faim, ayant pour toute fête l’espérance du lendemain, ou d’un Villon, vivotant d’expédients et de filouteries, frisant la potence et promenant de prison en prison son squelette plus noir qu’une mûre et plus maigre qu’une chimère. […] Il consiste à proclamer et à rendre les fonctions publiques aussi accessibles au fils d’un ouvrier ou d’un paysan qu’à celui d’un financier ou d’un marquis ; à égaliser le point de départ pour tous les enfants ; à exiger que la place de chaque citoyen dans la société soit en raison de sa valeur intellectuelle et morale.

313. (1927) André Gide pp. 8-126

Magnifique stoïcisme intellectuel, d’une qualité morale bien supérieure aux fameux « orages désirés » de René. […] Ce qui est exact, c’est que la culture intellectuelle fait l’office de cran d’arrêt et aussi qu’elle offre une diversion. […] André Gide, dans le roman qui porte ce titre, était un intellectuel de carrière. […] Le bon Flaubert, grand intellectuel cependant, interdit ab irato à Mendès de lui envoyer sa revue la République des lettres, qui avait éreinté Renan. […] L’esprit des primaires4 se révolte contre cette maîtrise intellectuelle et trouve ces hautes régions trop ardues.

314. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Les Allemands, avec lesquels il a plus d’un rapport intellectuel, le tenaient en grande estime, et nous, en ce temps-là, nous tenions en grande estime les Allemands. […] C’est que ce satyre intellectuel ait été tou te sa vie, avec une passion persistante, le Pygmalion de cette blanche et froide Galatée, qui, comme l’autre, a pu dire « MOI !  […] Il y a des philosophies qui sont, certainement, de grandes choses intellectuelles. […] … Ainsi, dernièrement, la Correspondance de Balzac fraîchement ouverte a laissé s’élever au-dessus d’elle un Balzac qui y était contenu dont on n’avait vu jusque-là que la grandeur intellectuelle, et dont on ignorait la grandeur morale. […] En effet, il aima sa femme et sa fille, et il eut des maîtresses, tout en les aimant… Si le génie était une anarchie intellectuelle, Diderot pourrait prétendre à être un génie.

315. (1932) Le clavecin de Diderot

D’Orphée, les intellectuels, en mal de carrière parlementaire, ne considèrent que la réussite électorale. […] C’est par le plus grand des hasards, en apparence, qu’a été récemment rendue une partie du monde intellectuel et de beaucoup la plus importante, dont on affectait de ne plus se soucier. […] Les intellectuels, pour ne point effrayer la société capitaliste, n’ont qu’à faire semblant de se perdre dans le labyrinthe des ergoteries causales. […] A cette sauce, politiciens et intellectuels assaisonnent les extravagances qu’ils ont mission de faire gober à ceux qu’ils administrent ou instruisent. […] Elle veut faire croire que, forcément, de ses jupes, doivent sortir, aux plis de son cotillon, s’accrocher les intellectuels.

316. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

C’est là une opération tout intellectuelle, indépendante de ce qui se passe en dehors de l’esprit. […] La négation vise quelqu’un, et non pas seulement, comme la pure opération intellectuelle, quelque chose. […] Nous disions que la négation n’est jamais que la moitié d’un acte intellectuel dont on laisse l’autre moitié indéterminée. […] Seulement, la première manière de voir est conforme aux procédés de l’esprit humain ; la seconde exige au contraire qu’on remonte la pente des habitudes intellectuelles. […] Elles tendent à se confondre avec leur propre définition, c’est-à-dire avec la reconstruction artificielle et l’expression symbolique qui est leur équivalent intellectuel.

317. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

« Quand on aura prouvé, écrit Zola, que le corps de l’homme est une machine, dont on pourra un jour démonter et remonter les rouages au gré de l’expérimentateur, il faudra bien passer aux actes passionnels et intellectuels de l’homme… On a la chimie et la physique expérimentale, on aura la physiologie expérimentale ; plus tard encore on aura le roman expérimental… Nous devons opérer sur les caractères, sur les passions, sur les faits humains et sociaux, comme le chimiste et le physicien opèrent sur les corps bruts, comme le physiologiste opère sur les corps vivants. […] C’est l’investigation scientifique, c’est le raisonnement expérimental qui combat une à une les hypothèses des idéalistes, et qui remplace les romans de pure imagination par les romans d’observation et d’expérimentation… C’est là ce qui constitue le roman expérimental : posséder le mécanisme des phénomènes chez l’homme, montrer les rouages des manifestations intellectuelles et sensuelles telles que la physiologie nous les expliquera, sous les influences de l’hérédité et des circonstances ambiantes, puis montrer l’homme vivant dans le milieu social qu’il a produit lui-même, qu’il modifie tous les jours, et au sein duquel il éprouve à son tour une transformation continue. Ainsi donc, nous nous appuyons sur la physiologie, nous prenons l’homme isolé des mains du physiologiste, pour continuer la solution du problème et résoudre scientifiquement la question de savoir comment se comportent les hommes, dès qu’ils sont en société… En somme, tout se résume dans ce grand fait : la méthode expérimentale, aussi bien dans les lettres que dans les sciences, est en train de déterminer les phénomènes naturels, individuels et sociaux, dont la métaphysique n’avait donné jusqu’ici que des explications irrationnelles et surnaturelles8. »‌ En résumé, de même que, suivant Claude Bernard, la « méthode appliquée dans l’étude des corps bruts, dans la chimie et dans la physique, doit l’être également dans l’étude des corps vivants, en physiologie et en médecine », de même, suivant Zola, la méthode expérimentale qui conduit à la connaissance de la vie physique, « doit conduire aussi à la connaissance de la vie passionnelle et intellectuelle. » « Ce n’est qu’une question de degrés dans la même voie, ajoute le romancier, de la chimie à la physiologie, puis de la physiologie à l’anthropologie et à la sociologie. […] Les méthodes littéraires de Zola sont celles d’un « parvenu », qui s’est efforcé de pénétrer les choses de l’extérieur, qui ne s’est jamais assis à la table de la vie et qui n’a jamais réellement vécu… »‌ Et le critique ajoute quelques lignes plus loin : « Le jeune homme famélique dont les yeux étaient concentrés avec un désir ardent sur le monde visible a tiré un certain bénéfice de sa chasteté intellectuelle ; il a préservé des choses matérielles sa clarté de vision, une vision avide, insatiable, impartiale… La virginale fraîcheur de sa soif de vie, donne à son œuvre son souffle de vigueur et de jeunesse, son indomptable énergie ».

318. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Mémoires du comte d’Alton-Shée »

Sainte-Beuve, qui y trouvait son heure de récréation hebdomadaire, et l’une des mille joies intellectuelles attachées à la profession. […] Bien des personnes qui n’ont connu son nom que par ce dernier conflit ont conçu l’idée la plus fausse de M. d’Alton-Shée, dont les origines sont en effet assez complexes et dont la formation intellectuelle n’est pas simple.

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