L’auteur, en essayant d’appliquer à son héros le type de beauté du grand peintre d’Urbin, a oublié une seule chose ; c’est que la première, la souveraine impression que fait sur nous la vue d’une figure de Raphaël, est une impression de pureté virginale et de chasteté. Or, je ne saurais recevoir cette impression-là, quand l’auteur, dans la traduction qu’il nous donne du portrait du peintre, s’épuise à nous décrire ces yeux, « qui sont, dit-il, imbibés de lumière jusqu’au fond, mais un peu humides des rayons délayés dans la rosée ou dans les larmes. » Je sens là une intention voluptueuse qui ne ressort pour moi d’aucune figure peinte par Raphaël, pas même de la sienne. […] M. de Lamartine les sent l’un et l’autre profondément ; comment se fait-il qu’il déroge si à la légère, et sans paraître s’en douter, à l’impression principale que tous deux laissent dans l’âme ?
Mais ce qu’il a surtout excellé à reproduire en mille endroits, c’est l’impression des objets de la nature sur un cœur passionné. […] Ce langage confus que nous parlent les choses n’a jamais plus de mystère et de volupté qu’au premier éveil de la passion, lorsque notre âme, s’ignorant encore, s’essaye déjà à interroger ses impressions nouvelles.
Le volume qu’il publie contient ses propres impressions et les cantiques de son cœur dans la solitude d’un veuvage que remplit un souvenir aimé. […] Ces sortes d’impressions, à un certain moment, sont communes à toutes les âmes : le poète les a rendues pour son compte avec simplicité et mélodie.
Ses plus profondes impressions, lui-même s’en fait gloire, datent d’alors et donnent le sens vrai de son talent. […] Cette pièce, non représentée, n’eut pas même la publicité de l’impression à sa naissance79. […] Alors, par une impression tout inverse, il eût été blâmé plutôt d’en avoir trop gardé. […] Une ode de 1821 consacre cette impression bien sentie. […] En somme, à travers des portions quelque peu incultes et rudes comme le pays même, on sentait partout un fond de récitatif qui n’était pas écrit d’après les impressions d’autrui.
Un jugement, c’est une impression contrôlée et éclairée, chez le même homme, par des impressions antécédentes. Et un jugement qui « fait autorité », c’est celui qui résume et contient les impressions concordantes d’un certain nombre d’individus. Il est bien vrai que l’impression d’un seul peut, par la confiance que sa personne inspire ou l’ascendant qu’elle exerce, commander et entraîner la masse des esprits qui ont avec le sien quelque ressemblance. Mais, il n’y a pas à dire, tout commence par l’impression qu’un individu reçoit d’une œuvre et naturellement, je ne puis vous donner ici que la mienne. […] Après l’avoir lu, on a l’impression qu’on dînerait volontiers, à quelque grasse table normande, avec le père Rouault, Charles Bovary, la mère Lefrançois, l’abbé Bournisieu, qui ferait au dessert des calembours opaques, même avec le pharmacien Homais.
Ce serait à l’auteur de zaïre à louer l’auteur de Phèdre : mais on pardonne à l’élève qui étudie les tableaux de Raphaël, de croire en sentir le mérite, et de céder à l’impression que font sur lui les chefs-d’oeuvre qu’il ne saurait égaler. […] Mais cette impression si vive et si prompte s’affaiblit par degrés. […] Confondue dans une foule tumultueuse, elle est dispensée de rougir : elle a d’ailleurs si peu de chose à faire ; l’illusion théâtrale est si frêle et si facile à troubler ; les jugemens des hommes rassemblés sont dépendans de tant de circonstances, et tiennent quelquefois à des ressorts si faibles ; l’impression exagérée d’un défaut se répand si aisément sur les beautés qui le suivent, que toutes les fois qu’il y a eu un parti contre un ouvrage de théâtre, le succès en a été troublé ou retardé. […] Quel tribut stérile, quel faible retour que les louanges pour toutes ces impressions si vives, si variées, ces frémissemens, ces transports qu’excitent en nous ces chefs-d’oeuvre ! […] Il n’avait pu résister à l’impression que faisait sur lui l’injustice de ses détracteurs, et il condamna son génie au silence : il n’avait pu résister à la pitié que lui inspirait la misère des peuples, et quand il en eut tracé le tableau qui affligea Louis XIV, il ne résista pas non plus au chagrin de la disgrace.
Les plus fortes laissent des impressions plus durables ; mais le tout demeure à la surface de l’esprit. […] Où la plupart des esprits ne voient que les mauvais côtés, soit manque d’élévation, soit envie, il voit les bons, et son admiration n’est que la forte impression qu’il en reçoit. […] Saint-Simon reçut des impressions de décadence non moins fortes que les impressions de grandeur qu’avaient reçues les contemporains de la première moitié de ce règne. […] Un critique qui, après cette première impression de vérité et de vie, voudrait faire des réserves au nom du goût, trouverait à noter dans ces portraits plus d’une infraction aux règles de l’art et plus d’un effet illégitime. […] Tous deux avouent leur impuissance à se corriger. « Je n’ai jamais le courage de relire mes lettres, dit Mme de Sévigné ; je ne me reprends que pour faire plus mal. » Et Saint-Simon, dans ses conclusions : « Je n’ai jamais pu me défaire d’écrire rapidement. » Cette vivacité d’impression, ce feu d’esprit n’est guère compatible avec le travail de la correction.