Mais que faire, lorsqu’on veut peindre ce que l’on n’a pas vu, lorsqu’on crée, ou qu’on imagine, ou qu’on invente ? […] Mais il n’y a pas que cela, et il faut en prendre son parti : les choses imaginées, quoi qu’on dise, existent en littérature. […] La lutte d’Habibrab au bord de l’abîme, dans Bug Jorgal, la mort de Mme Bovary, la chute de Claude Frollo dans Notre-Dame de Paris, le saut final de Julia de Trécœur, le suicide de Werther, etc., etc., sont des scènes également imaginées. […] De sorte que, si je n’y suis pas « allé » moi-même, quelqu’un y est « allé » pour moi et que je n’ai pas été le moins du monde « privé de la réalité », comme le prétend M. de Gourmont, qui, entre parenthèses, ne trouve ma description si mauvaise que parce qu’il la croit imaginée.
Imaginez un enfant qui vient de souffler une grosse bulle. […] Imaginez un autre enfant qui s’enfuit devant un essaim d’abeilles dont il a frapé la ruche du pié et qui le poursuivent. […] Imaginez un attelier de sculpteur en bois. […] Imaginez un aigle qui cherche à s’élever dans les airs, et qui est arrêté dans son essor par un soliveau. […] Un peintre italien avoit imaginé ce sujet d’une manière très ingénieuse.
Un autre passage célèbre est celui qui commence ainsi : « Car imaginez ce que c’est. La Cour… il n’y a ici ni femmes ni enfants, écoutez : la Cour est un lieu, etc. » C’est comme lorsque, dans un de ses derniers pamphlets, il nous peindra le confessionnal : « Confesser une femme, imaginez ce que c’est. […] Avant de se constituer prisonnier et aussitôt après son jugement, Courier n’avait pas manqué d’écrire l’histoire de son procès, en y joignant le discours qu’il aurait voulu prononcer pour sa défense ; il appelait cela son Jean de Broé, du nom de l’avocat général qu’il y tournait en ridicule : « Ma brochure a un succès fou, écrivait-il à sa femme ; tu ne peux pas imaginer cela ; c’est de l’admiration, de l’enthousiasme. […] J’ai imaginé aussi (car c’est mon plaisir d’opposer ces noms à la fois voisins et contraires), j’ai plus d’une fois, dans le courant de ce travail, imaginé à Paul-Louis Courier un interlocuteur et un contradicteur plus savant et non moins fait pour lui tenir tête, dans la personne de l’illustre et respectable Quatremère de Quincy, cette haute intelligence qui possédait si bien le génie de l’Antiquité, mais qui résistait absolument aux révolutions modernes. […] Et si quelqu’un s’avisait que je n’ai pas donné à Courier assez d’éloges, je m’autoriserais de ce que lui-même, parlant de Béranger, n’a trouvé à dire que ceci : « J’ai encore dîné hier avec le chansonnier, écrivait-il de Sainte-Pélagie (octobre 1821) : il imprime le Recueil de ses chansons qui paraît aujourd’hui… Il y a de ces chansons qui sont vraiment bien faites : il me les donne. » C’est ainsi, j’imagine, qu’en Grèce, avant l’âge des éloges et des panégyriques, et quand on était de l’école de Xénophon, on louait ses amis par un mot juste et léger, dit en passant.
Je l’ignore, mais j’imagine comment on pouvoit donner une valeur certaine dans la musique instrumentale à chaque semeia ou note organique, par des points placez soit au-dessus, soit au-dessous, soit à côté : ou bien en mettant au-dessus de chaque note l’un des deux caracteres qui servoient à marquer si une sillabe étoit breve ou si la sillabe étoit longue, et dont chacun a sçu la figure dès les premieres classes. […] Il paroît donc en lisant un passage de Quintilien, que pour venir à bout de mesurer, pour ainsi dire, l’action, et pour mettre en état celui qui faisoit les gestes, de suivre celui qui recitoit, on avoit imaginé une regle, qui étoit que trois mots valussent un geste. […] Mais nos artisans ont cru qu’il falloit à quelque prix que ce fut, prescrire une methode qui reglât la mesure du geste, qui déplaît également, soit qu’il soit trop lent, soit qu’il soit trop précipité, et le principe qu’ils ont établi est ce qu’ils ont pu imaginer de mieux. " j’ai traduit le mot d’ artifices dont se sert ici Quintilien par ceux qui font profession de composer la déclamation des pieces de théatre, et de les faire representer sur la scene, fondé sur deux raisons. […] Mais sans discuter la possibilité de ce projet, je me contenterai de dire que les anciens ne pouvoient pas même l’imaginer, parce que leur horlogerie étoit trop imparfaite pour leur laisser concevoir une pareille idée.
. — De plus, toutes nos sensations un peu étranges ou vives, notamment celles de plaisir ou de douleur, l’évoquent, et souvent nous oublions presque complètement et pendant un temps assez long le monde extérieur, pour nous rappeler un morceau agréable ou intéressant de notre vie, pour imaginer et espérer quelque grand bonheur, pour observer à distance, dans le passé ou dans l’avenir, une série de nos émotions. — Mais ce nous-mêmes, auquel, par un retour perpétuel, nous rattachons chacun de nos événements incessants, est beaucoup plus étendu que chacun d’eux. […] Je suis capable de sentir, de percevoir les objets extérieurs, de me souvenir, d’imaginer, de désirer, de vouloir, de contracter mes muscles, et, à cet égard, Pierre, Paul et les autres hommes sont comme moi. […] Notez que tout ce rêve était un roman ; mais le recul et l’emboîtement s’étaient faits spontanément sans rencontrer de représentation contradictoire, en sorte que l’article imaginé se trouvait affirmé. […] Métivier, jeune, jolie, fille du concierge d’un ministère, s’imagina que le ministre la regardait souvent et affirma qu’il lui avait envoyé une entremetteuse. […] « Parmi plusieurs femmes hypnotisées, dit le docteur Elliotson, l’une s’imaginait qu’elle était de verre, et elle tremblait qu’on ne vînt à la briser ; une autre, qu’elle n’était pas plus grosse qu’un grain de blé ; une autre, qu’elle était morte. » Pareillement, certains fous sont persuadés que leur corps est en cire, en beurre, en bois, et agissent en conséquence.
D’une part, sitôt qu’il est perçu ou imaginé, il éveille en moi la représentation sensible, plus ou moins expresse, d’un individu de la classe ; cette attache est exclusive ; il n’éveille point en moi la représentation d’un individu d’une autre classe. D’autre part, sitôt que je perçois ou imagine un individu de la classe, j’imagine ce son lui-même, et je suis tenté de le prononcer ; cette attache aussi est exclusive ; la présence réelle ou mentale d’un individu d’une autre classe ne l’évoque point dans mon esprit et ne l’appelle pas sur mes lèvres. — Par cette double attache, il fait corps avec toutes les perceptions et représentations sensibles que j’ai des individus de la classe et ne fait corps qu’avec elles. […] En d’autres termes, quand il revoit ce chien, il imagine ce son, et, par instinct imitatif, après quelques tâtonnements, il le profère. Si le chien aboie, il rit, il est enchanté, il est doublement tenté de prononcer lui-même le son animal très frappant et tout nouveau dont il n’a encore entendu qu’une contrefaçon humaine. — Jusqu’ici, rien d’original ni de supérieur ; tout cerveau de mammifère est capable d’associations pareilles ; un renard qui saisit un lapin, a certainement imaginé d’avance le cri aigu et sec que pousse le lapin ; un chien de chasse qui entend le rappel d’une perdrix, imagine certainement la forme visuelle de la perdrix dans l’air, et, quant à la reproduction instinctive du son entendu, on connaît les perroquets et plusieurs autres espèces d’animaux imitateurs. […] Mais ce réseau, si agrandi qu’on l’imagine, n’aura jamais autant de mailles qu’il y a de caractères dans l’objet auquel il correspond ; car il suffira toujours de trouver un corps nouveau pour lui en ajouter une.
S’imagine-t-on bien ce qu’aurait été La Fontaine, s’il n’avait pas trempé sa galette gauloise dans le miel du mont Hymette et le vin mis en amphore sous Périclès ? S’imagine-t-on bien ce qu’un pareil génie, sans réminiscence, et placé bien en face de la nature avec son observation pour toute ressource, serait devenu et aurait fait ? […] Procédé grossier et barbare, diront les académies, mais loyal et le seul que rechercheront toujours les artistes profonds, les vrais connaisseurs, qui savent reconstituer une poésie avec les mots qui l’ont exprimée, comme on imagine l’effet d’ensemble du collier dont on tient les perles défilées dans sa main.