C’est le ciel comme l’imaginait saint François et le peignait Van Eyck, avec les anachorètes, les saintes femmes et les docteurs, les uns dans un paysage de rochers bleuâtres, les autres au-dessus dans l’air sublime, autour de la Vierge glorieuse, rangés par régions et flottant en chœurs. […] Qui est-ce qui peut, en présence de la magnifique nature qui leur sourit et les accueille, imaginer pour eux autre chose que la sensation toute-puissante qui les unit ?
… Le fils d’un de nos plus gais littérateurs imagina de déclamer, tout dernièrement, un fragment de prose de Maizeroy… on s’exclama sur la beauté des vers dits par monsieur Toto !!! […] Poète phocéen, ni préraphaélite, ni magiste, un peu mystique et très mondain, l’auteur si discuté de la Princesse lointaine, surmontant son intimidation d’enfant bien sage — qu’il est, quoi qu’on en ait dit — du bon petit élève « qui n’a pas fait ça », veut bien s’imaginer qu’il repasse son baccalauréat et m’adresse, du fond des Pyrénées, une lettre des plus détaillées et davantage bucolique — à croire qu’il évoqua, tel Jules Bois, ces chères madame de Sévigné et Deshoulières.
Ainsi parlent tous ces esprits impatients du joug et de la contrainte ; ainsi se révoltent, à chaque mot qui les presse, ces grands inventeurs de chefs-d’œuvre ; ainsi, les patriotes de la poésie et des beaux-arts, les saltimbanques de la chose écrite, les maladroits, les médiocres, les éreintés, les impuissants, les inconnus, qui voudraient être célèbres en vingt-quatre heures, les esprits fanfarons et stériles, les diseurs de quolibets, de proverbes et d’équivoques, les braves gens qui vivent des lettres ou du théâtre, et qui se figurent qu’ils exercent un métier comme tout autre métier, régulier, patenté, accepté, régi par des lois, par des ordonnances, par des maîtrises, imaginent d’échapper, par l’injure, à cette loi de la critique universelle qui permet à quelques-uns de formuler l’arrêt de la foule, à condition que si la foule se trompe, elle soit blâmée et raillée et censurée à son tour ! […] Certes, j’imagine qu’il y avait de quoi attendre impatiemment le dénouement d’un pareil drame, à une époque où l’on n’avait encore abusé de rien dans l’art poétique. […] La Fontaine lui-même, qui appartenait à cette école sensualiste, lui qui a fait le conte de La Courtisane amoureuse, n’était pas capable d’imaginer l’adorable faiblesse d’Alceste pour sa maîtresse.
Vous ne pouvez-vous imaginer, ô ma Marianne, quel spasme de douleur j’ai éprouvé, quelle inépuisable source de chagrin et de mélancolie cette perte terrible est pour moi, combien je désire de tout mon cœur voir finir une vie qui est continuellement abreuvée de douleur et de plainte… » — À chaque instant elle exprime les mêmes sentiments exaltés, se plaint de n’être « jamais montée au troisième ciel », ou de réveils violents de ses douleurs passées, exprime en un langage excessif, même en tenant compte des formes passionnées et romanesques de l’italien, les mouvements tumultueux de son âme : « Je n’ai jamais ri (jamais est souligné dans le texte), précisément parce que je ne me suis jamais contentée de rire seulement : je veux rire et pleurer ensemble, aimer et me désespérer, mais aimer toujours, et être aimée également, monter au troisième ciel, puis en tomber — et j’en suis vraiment tombée ! […] Obligé d’aller chez un dentiste, il en devient malade, et il écrit à son frère : « Ma mélancolie ne venait pas vraiment du déplaisir de devoir perdre des dents, mais de la frayeur panique de l’opération, qui est toujours devant ma pensée comme une condamnation à subir et qui m’épouvante comme un enfant. » Quand le choléra éclate à Naples, il s’imagine tout de suite qu’il y est prédisposé, et Ranieri est obligé de prier ses amis de ne jamais parler de l’épidémie en sa présence. […] Maintenant il s’imagine que c’est avec les hommes de la Révolution qu’il doit marcher. […] La question se résume, pour ainsi dire, dans les cas de Lacenaire et de Fieschi, On ne pourrait imaginer ni de pires coupables, ni des circonstances dans lesquelles les inconvénients de la publicité de l’exécution soient moindres.
Étant encore à Bordeaux, et d’un couvent de bénédictines où elle s’était logée aux approches de cette paix, elle écrivait à ses chères carmélites du faubourg Saint-Jacques, avec lesquelles, dans les plus grandes dissipations, elle n’avait jamais tout à fait rompu : « Je ne désire rien avec tant d’ardeur présentement que de voir cette guerre-ci finie, pour m’aller jeter avec vous pour le reste de mes jours… Si j’ai eu des attachements au monde, de quelque nature que vous les puissiez imaginer, ils sont rompus et même brisés.
J’ai vu naître moi-même cette fantaisie royaliste, et non cette politique sérieuse, dans le cabinet d’un ministre des affaires étrangères des Bourbons que je ne nommerai pas ; mais je dois attester que cette fantaisie diplomatique, que les historiens de cette époque prennent aujourd’hui au sérieux, n’alla jamais plus loin que la porte de ce cabinet, et qu’elle ne fut jamais qu’un sujet de conversation entre des diplomates français étourdis et impatients des tracasseries de l’Autriche contre nous, forfanterie de cabinets, politique désespérée qu’on jette au vent comme une menace, mais qui ne retombe que sur ceux qui ont rêvé l’absurde ou imaginé l’impossible.
Il imagine une convention explicite, préexistante à toute convention, c’est-à-dire un effet avant la cause, une absurdité palpable, pour toute explication du mystère social.