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690. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Parce qu’il possède la raison et l’imagination, la raison qui lui fait concevoir l’invisible et l’intelligible au-delà des choses visibles et sensibles, l’imagination qui confond les deux objets de sa pensée dans une représentation symbolique. […] En tout cas, que la religion soit œuvre d’imagination ou besoin de foi, la conclusion à tirer de tous ces essais de définition tentés par les naturalistes psychologues, c’est que leur méthode est impuissante à donner une véritable idée de notre nature. […] En recueillant les particularités des mœurs qui se retrouvent chez les différentes peuplades nègres à l’état naturel et primitif, on a pu dégager ce qui fait la nature propre de cette race, à savoir la prédominance marquée de la sensibilité sur la volonté et l’intelligence : d’où le défaut d’initiative et d’originalité, l’incapacité radicale pour les idées et les spéculations abstraites, pour les arts et les œuvres de grande création qui réclament une puissante volonté, pour les institutions de self-government qui demandent une forte personnalité ; d’où, au contraire, une aptitude marquée pour toute œuvre de passion violente, de sentiment tendre, d’imagination grossière. […] « Il importe bien de remarquer ici que, dans le point de vue de l’observateur de la nature extérieure, la cause qui produit ou amène une série de faits analogues, ne peut jamais être donnée a priori, ni conçue en elle-même, encore moins imaginée dans le comment de la production des phénomènes qui s’y rattachent ; aussi la langue des sciences naturelles manque-t-elle toujours du terme propre qui signifie précisément l’activité productive, l’énergie essentielle de toute cause efficiente, manifestée actuellement par les phénomènes sensibles qu’elle produit, mais non constituée par eux, puisqu’elle est connue comme étant nécessairement avant, pendant et après ces phénomènes26. » Ainsi, comme le remarque ici judicieusement un philosophe : « Dans ce que nous appelons, par exemple, force d’attraction, d’affinité, ou même d’impulsion, la seule chose connue (c’est-à-dire représentée à l’imagination et aux sens), c’est l’effet opéré, savoir, le rapprochement des deux corps attirés et attirant.

691. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Tout cela bien aprétié, n’est qu’une imagination heureuse, mais qui pour l’ordinaire nuit au jugement, à mesure qu’elle est forte et dominante. […] L’écriture ne nous a point été donnée pour nous rendre sçavans, encore moins pour amuser nôtre imagination. […] Il se livre au hazard à tout ce que son imagination lui offre : il traite ce qu’il ne devroit point traiter, il peint les objets par des faces étrangeres à l’occasion présente, il épuise ce qu’il ne falloit qu’effleurer, il ajoûte sans égard le médiocre à l’excellent, le froid au vif, le bizarre au naturel : avec cette licence d’imagination, il n’est pas difficile d’être abondant. […] Un auteur judicieux commande à une imagination trop fertile. […] Ils sont comme ces imaginations foibles, qui, subjuguées par l’éclat des dignitez et des richesses, admirent dans la bouche d’un grand, ce qu’ils trouveroient pitoyable dans un homme du commun.

692. (1902) Le critique mort jeune

L’autre, c’est ce goût paresseux du vague qui tue l’imagination. […] Faguet n’en avait point conçu un seul qui appartînt à la littérature d’imagination. […] Si le défaut d’imagination peut servir à caractériser M.  […] Faguet, c’est cette imagination constructive qui échafaude les intrigues et accumule les aventures. […] Rousseau instaura le règne de l’imagination et de la sensibilité, c’est-à-dire de la « déraison ».

693. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Ils groupèrent ces éléments avec les anciens sans nul souci des traditions et des bienséances qui liaient autrefois l’imagination : leurs images furent insolites, hardies, déconcertantes. […] Il n’avait pas la ressource de la fuite dans le rêve comme Chateaubriand : il manquait d’imagination et d’égoïsme. […] Visiblement, le sentiment, dans cette âme robustement équilibrée, n’est pas une source suffisante de poésie ; et son débit ne suffit pas à emplir les formes que prépare incessamment l’imagination. […] Alors il tient l’inspiration qu’il lui faut pour soutenir son imagination et pour être par surcroît l’idole d’un peuple pendant trente ans. […] Dans toutes ces œuvres, les grandes facultés de l’artiste trouvaient leur exact emploi : toutes les formes du monde extérieur, nature et histoire, se laissaient évoquer par son imagination vigoureuse, ordonner en vastes ou pittoresques tableaux, où sa « pensée » profonde élisait des symboles, sans que la médiocrité, le vague ou la banalité de cette pensée eussent d’importance.

694. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

Ces deux frères siamois de l’« écriture artiste », nous les aimons parce qu’ils sont de leur temps autant qu’on en puisse être, aussi modernes par le tour de leur imagination que tel autre par le tour de sa pensée, et aussi remarquables par la délicatesse de leurs perceptions et par leur nervosité que tel autre par la distinction de ses rêves et par le détachement diabolique de sa sagesse. […] Une prodigieuse imagination du faux le sauvait de l’expérience, lui gardait l’aveuglement et l’enfance de l’espérance… et ne faisait tomber sur lui que le coup inattendu des malheurs, etc. […] De l’esprit, MM. de Goncourt en ont tant qu’ils veulent, et parfois aussi tant qu’ils peuvent, du plus subtil, du plus tourmenté ; un esprit qui est souvent, à l’origine, un esprit de pénétration aiguë et rapide, un esprit d’analystes, mais qui est plus souvent encore un esprit de stylistes, une coquetterie de l’imagination en quête d’expressions rares, d’alliances de mots imprévues, d’enfilades de synonymes d’un relief croissant ; une coquetterie à qui la justesse ne suffit point, qui ne s’en tient pas au brillant, qui va d’elle-même au raffiné, au singulier, à l’extravagant, qui renchérit sans cesse sur ses trouvailles et qui s’excite à ce jeu. […] Tout l’esprit de MM. de Goncourt, étant moins une fleur de bon sens qu’une fleur d’imagination, et ayant ses origines dans leur extrême impressionnabilité, ne les empêche pas de nous émouvoir, et même assez souvent. […] On en est venu à regarder l’optimisme, dans les œuvres d’imagination, comme tout proche de la banalité.

695. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Saint-Lambert, directeur de l’Académie, recevait Vicq d’Azyr et lui répondait ; l’abbé Delille couronnait la séance par la lecture de deux morceaux de son poème de L’Imagination. […] Vicq d’Azyr entre à pleines voiles dans ces espérances et ces illusions que presque tous partageaient alors, et, y joignant le tribut d’une imagination naturellement bienveillante, il ne voit devant lui que des pronostics de bonheur. […] Son imagination tendre, aux prises avec des tableaux constamment funestes, s’en imbut et se terrifia.

696. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Il l’expliqua un jour très gaiement, et avec beaucoup d’imagination et d’esprit, au roi Henri II, qui, au retour de ce siège, l’accueillit comme il devait et l’entretint longuement durant cinq heures d’horloge, se faisant tout raconter, et ses harangues, et ses ruses, et le détail des souffrances, mais le roi ne pouvait, malgré tout, concevoir encore comment il avait su s’accorder si bien et si longtemps avec une nation étrangère et délicate, surtout en de pareilles détresses. […] Il s’adressait d’ailleurs à une population déjà exercée et aguerrie ; dès avant son arrivée et au premier cri de cette indépendance menacée, la population de Sienne, et les femmes les premières, avaient eu l’idée de s’organiser pour la défense et d’y aider de leurs mains : à ce souvenir et à la pensée de ce que lui-même a vu de bonne grâce généreuse et patriotique en ce brave et joli peuple, Montluc s’émeut ; son récit par moments épique redouble d’accent ; quelque chose de l’élégance et de l’imagination italienne l’ont gagné : Il ne sera jamais, dames siennoises, que je n’immortalise votre nom tant que le livre de Montluc vivra : car, à la vérité, vous êtes dignes d’immortelle louange, si jamais femmes le furent. […] Montluc n’a pas exécuté son projet, il n’en a eu que l’imagination ; mais il l’a eue simple et grande, et il nous la laisse15.

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