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1277. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Sainte-Beuve n’avait pas eu quelque but élevé, il n’aurait pas profané le scalpel philosophique jusqu’à compter si curieusement toutes les fibres luxuriantes qui tressaillent au cœur de son héros ; il n’aurait pas épuisé la langue de son pays pour en extraire, avec tant de peine, tant d’images lascives, tant de métaphores équivoques, tant de périphrases suspectes, tant de synonymes complaisants, variétés infinies de la même espèce. […] Presque tous ont créé quelque grand homme à leur image. […] Aussi le vrai christianisme a-t-il toujours été aussi sobre d’images, aussi tempérant dans son langage, aussi mesuré dans son style, que le paganisme a été hardi, fougueux, obscène, prodigue d’hyperboles sensualistes, et souillant la langue pour corriger des souillures. […] En effet, non seulement ce style s’éloigne de la tradition, et c’est un reproche que d’autres lui ont adressé ; non seulement il ne procède pas du passé, mais il ne tient au présent ni par sa physionomie générale, ni par sa construction, ni par le sens des mots, ni par le choix des images. […] C’est ici le lieu de demander si, parce qu’une langue s’est modifiée en traversant une révolution, parce qu’elle est sortie jusqu’à un certain point de ses anciennes voies, parce qu’elle s’est rajeunie, ravivée, au souffle fécondant d’un écrivain de grand génie, si pour cela elle est condamnée à subir toute espèce de métamorphose ; s’il est permis à chacun de la refaire à son image, de l’habiller suivant sa fantaisie, suivant son caprice.

1278. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Notre vision du monde matériel est celle d’un poids qui tombe ; aucune image tirée de la matière proprement dite ne nous donnera une idée du poids qui s’élève. […] Elle ne nous donnerait de la réalité qu’une image affaiblie et même trompeuse, car la fissure, le jet de vapeur, le soulèvement des gouttelettes sont déterminés nécessairement, au lieu que la création d’un monde est un acte libre et que la vie, à l’intérieur du monde matériel, participe de cette liberté. Pensons donc plutôt à un geste comme celui du bras qu’on lève ; puis supposons que le bras, abandonné à lui-même, retombe, et que pourtant subsiste en lui, s’efforçant de le relever, quelque chose du vouloir qui l’anima : avec cette image d’un geste créateur qui se défait nous aurons déjà une représentation plus exacte de la matière. […] Et il faut la comparer à un élan, parce qu’il n’y a pas d’image, empruntée au monde physique, qui puisse en donner plus approximativement l’idée. Mais ce n’est qu’une image.

1279. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Sa profession de foi sur la Révolution française est simple, elle est celle d’un croyant : il pense que la Providence s’en mêle soit directement, soit indirectement, et par conséquent il ne doute pas que cette Révolution n’atteigne à son terme, « puisqu’il ne convient pas que la Providence soit déçue et qu’elle recule » : En considérant la Révolution française dès son origine et au moment où a commencé son explosion, je ne trouve rien à quoi je puisse mieux la comparer qu’à une image abrégée du Jugement dernier, où les trompettes expriment les sons imposants qu’une voix supérieure leur fait prononcer, où toutes les puissances de la terre et des cieux sont ébranlées… Quand on la contemple, cette Révolution, dans son ensemble et dans la rapidité de son mouvement, et surtout quand on la rapproche de notre caractère national, qui est si éloigné de concevoir et peut-être de pouvoir suivre de pareils plans, on est tenté de la comparer à une sorte de féerie et à une opération magique ; ce qui a fait dire à quelqu’un qu’il n’y aurait que la même main cachée qui a dirigé la Révolution, qui pût en écrire l’histoire. […] [NdA] Dans sa Lettre sur la Révolution française, il parle des prêtres, alors persécutés, sans ménagement et avec des expressions qui ne s’oublient pas ; il leur reproche, par exemple, d’avoir rempli les temples d’images, « et par là d’avoir égaré et tourmenté la prière, tandis qu’ils ne devaient s’occuper qu’à lui tracer un libre cours » ; il les appelle les accapareurs des subsistances de l’âme, etc.

1280. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Quand à son style, il l’a défini lui-même en disant qu’il aime un style qui soit entrant, « comme les marchands de vin appellent un vin entrant celui qui se fait boire de lui-même. » Noble ou non, j’accepte l’image. […] Mon esprit a peu de curiosité d’autres esprits, mais mon imagination aime les images, et le bonheur coule de là chez moi par les sens, Je ne puis cependant ne pas dire un mot du livre des Considérations sur le gouvernement de la France, qui est ce qu’on cite d’abord quand on parle du marquis d’Argenson.

1281. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Le président de Longueil, en ces endroits, devient tout à fait le président de Montesquieu, même pour le bonheur de l’image et le trait du talent. […] La conclusion du président, dans cette espèce de liquidation d’une grande bibliothèque, qu’il montre si réduite si l’on en ôtait tout ce qui est devenu inutile, fastidieux ou indifférent, semblera peu en rapport avec nos goûts d’aujourd’hui, à nous qui aimons toutes les sortes de curiosités et d’éruditions, et qui y recherchons, jusqu’à la minutie, les images et la reproduction du passé ; elle a pourtant sa vérité incontestable et philosophique, plus certaine que les vogues et les retours d’un moment : Tous ces livres, dit-il en achevant son énumération, ne seront pas plus recherchés un jour que les factums relatifs à des affaires qui dans leur temps fixaient l’attention générale.

1282. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Elle a fait faire, à cette intention, un portrait grossier de son enfant, qu’elle place dans le temple : « La mère du petit Micythe, à cause de sa pauvreté, le consacre et le donne à Bacchus, ayant fait ébaucher son image. […] Et vous statues en bois des Nymphes, ouvrages des bergers, et vous réservoirs des sources, et aussi vos petites images, Ô Nymphes, vos figurines qui baignent dans ces eaux8, salut !

1283. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

En accueillant ces images qui étaient de mise à cette date dans les genres réputés nobles et que paraissait réclamer en particulier la dignité de l’histoire, Jomini ne faisait que suivre le courant public et les exemples d’alentour : il eût fallu de sa part un grand effort d’artiste pour atteindre, en 1820, à la simplicité d’Augustin Thierry ; il lui suffisait, quand il tâchait, d’écrire comme Lacretelle. […] Un simple conseil, non plus seulement de patriote, mais d’ami, c’est qu’elle prenne bien garde de conserver à travers tout ses diversités précieuses, image et produit du sol même et des trois races qui en habitent les vallées, les pentes et les replis ; c’est qu’elle conserve comme son plus cher trésor et comme sa marque, à elle, toutes ses libertés.

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