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561. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Guizot »

une idée qu’à l’instant même une autre idée ne surgisse au bout pour la contrepeser, pour l’empêcher de pencher à gauche ou à droite, — la grande affaire, la seule affaire, en dernière analyse, pour des gens qui n’ont pas la force de haïr vaillamment l’erreur ou d’aimer vaillamment la vérité ! Et tel Guizot, il faut bien le dire… Son idée première, dans ce livre qu’il aurait bien pu ne pas publier, est assurément Calvin et Duplessis-Mornay. […] ce n’est pas simplement manque de franche hardiesse et besoin de saints qui lui ont fait, sans cérémonie, voler les nôtres pour les mettre dans la mauvaise compagnie des siens, ç’a été aussi l’aveuglement de l’erreur et la confusion de toutes les idées. […] Mais comme il n’a pas une idée à lui, dans tout le courant de son ouvrage, il se bute, pour en avoir une, dans la vieille opinion philosophique et gallicane, et de là, de cette moelleuse main qu’on lui connaît, si habile aux nuances et aux délicieux coloris, il nous protestantise légèrement la catholique figure de saint Louis, pour arriver par une pente douce à la figure, tout à fait protestante, celle-là, de Calvin ! […] Je l’ai dit déjà : excepté l’idée du quadrille historique, qui est une idée de maître à danser, il n’y a rien dans le livre de Guizot qui soit vraiment de Guizot, qui ait coûté une noble peine, un vigoureux effort à Guizot !

562. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

En pressant les idées de son auteur, il les a rapprochées des systèmes qui y ont le plus de rapport dans le passé. […] Il est hostile et volontiers méprisant à l’Église, et il croit à sa propre petite Église qu’il voit déjà en idée dominante et universelle. Lorsque arrive la Révolution avec ses rigueurs et ses spoliations fatales, persuadé de l’idée que c’est une expiation divine, il a une pitié médiocre pour les personnes. […] Ceux qui me nomment quelquefois leur ami et qui n’ont pas ces mêmes idées et ces mêmes désirs sont simplement des amis de surface. […] » Il pensait bien, sans le dire, que son propre règne à lui, le règne de l’idée commençait.

563. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

. — Ses qualités ; ses idées ; son brillant. — Le point gâté. — Meilhan. — Longueil et Meilhan-Saint-Alban. […] Molé, dont le jugement excellent en toute matière était parfait dans ces choses littéraires qui touchent à la société, me disait un jour en parlant de M. de Meilhan : « Il a bien connu les mœurs de son temps, mais il en avait les vices. » J’ajouterai qu’il n’avait pas seulement les idées de son temps, il les dépassait souvent et les bravait par sa hardiesse d’esprit ; il devançait sur bien des points celles du nôtre. […] Quand il arrive, dans cette revue qu’il fait en idée de sa bibliothèque, aux auteurs dramatiques et aux tragédies, le président exprime des idées littéraires très libres, très dégagées, et qui, bien que justes au fond, ne sont pas vérifiées encoreao. […] Toutes les idées politiques répandues et dans L’Esprit des lois, et dans l’ouvrage si bien fait, si sagement ordonné, sur la grandeur et la décadence des Romains, sont contenues en germe dans les Lettres Persanes, et le sujet y permet certaines idées qui déparent la dignité d’un ouvrage aussi grave que L’Esprit des lois. […] Il avait des vues, de la portée, des idées.

564. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Joins au tableau les rugissements des furieux, les accents pitoyables d’un amoureux, et les deux yeux fixes d’un nègre silencieux qui vous regarde comme un oiseau de nuit ; et tu ne te feras encore qu’une faible idée de ce que nous avons vu. […] Le cours de mes idées a changé avec autant de rapidité que si j’avais fermé un volume pour en ouvrir un autre. […] Aussi, qui que nous soyons, moralistes, peintres, auteurs de portraits ou d’analyses, si nous voulons nous en faire une juste idée et en vendre aux autres une image fidèle, n’étranglons jamais les hommes. […] L’idée d’Horace Vernet qui, je crois, était celle aussi de Decamps et que je vois plus ou moins partagée par d’autres voyageurs modernes, peut donc avoir sa bonne part de vérité, sans qu’il y ait chance pour cela de la faire prévaloir. […] Je viens d’assister à de grandes manœuvres ; on ne peut se faire une idée des souffrances qu’ont éprouvées les malheureux soldats.

565. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

XI Nous touchons au dénouement de ce drame, le plus grand qui se soit joué sur la terre entre les idées justes et les idées fausses, la vertu mêlée de préjugés, le crime mêlé de vertus, la liberté entachée d’oppression, l’émancipation accomplie par la tyrannie, les martyrs déshonorés par les bourreaux, la raison déshonorée par les supplices. […] Ses crimes à lui avaient au moins une certaine intellectualité qui les rendait non pas moins odieux, mais plus intelligibles ; ils avaient pour but une idée implacable, une idée fausse, ce qu’on appelle une utopie, mais enfin une idée impersonnelle, l’idée de tous les fanatiques devenus bourreaux à toutes les époques de l’histoire des rénovations accomplies ou tentées sur la terre. […] Jamais peut-être sur cette terre, à aucune époque, sauf l’ère de l’incarnation de l’idée chrétienne, un pays ne produisit, en un si court espace de temps, une pareille éruption d’idées, d’hommes, de natures, de caractères, de talents, de crimes, de vertus. […] L’action est grande, et l’idée plane au-dessus de ses instruments comme une cause juste sur les horreurs du champ de bataille. […] Les idées végètent de sang humain.

566. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

De là son mysticisme : elle aime Dieu passionnément, d’une libre et vive tendresse qui déborde hors de tous les cadres artificiels des idées. […] 5° Enfin elle a eu assez nettement l’idée de ce que le xviie  siècle appellera l’honnête homme : et l’Heptaméron est un livre de civilité et de morale. […] Mais précisément, parce que ses idées seules étaient converties, la Réforme ne voulut pas de lui. […] Cette âme légère a fait sa poésie avec ses idées et ses impressions, légères comme elle. […] Il est bien français encore en ce que l’idée chez lui, si peu de chose qu’elle soit, est la substance même et le tout de sa poésie ; le rythme, le mot n’ont de valeur que par l’idée, et relativement à l’idée.

567. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Au reste, ses origines, sa vie, son tempérament, sa conversation, tout en lui exclut l’idée d’une forte nature poétique. […] Il était vif, pétulant, irascible, contredisant, têtu : humeur qui n’est pas en soi poétique, et qu’il dépensait toute à la défense de ses idées. […] Les deux idées sérieuses qu’il pouvait distinguer parmi les invectives et les sottises, qu’avait-il à y répondre ? […] Il pense par saillies ; il n’a pas la faculté oratoire d’enchaîner, de subordonner, de faire converger ses idées. […] La Renaissance et le xviie  siècle, par conséquent Boileau, mêlent la théorie ancienne et l’idée moderne.

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