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1013. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Ce ne fut point tout à fait au lendemain de la publication de l’Iliade que la querelle éclata : il fallut quelque temps pour que les adversaires en vinssent à tirer parti de cette lecture dans le sens de leurs idées. […] J’ai déjà indiqué qu’une idée fausse domina toute la querelle. […] Il présentait l’idée d’Homère, en un mot, comme celle d’un poète qui aurait raconté les désastres de la Ligue et les malheurs des derniers Valois pour faire plaisir et honneur à Henri IV régnant et aux Bourbons. Cette idée bizarre du père Hardouin allait bien avec tout ce qu’on savait de lui, et quand on lui représentait qu’il aimait trop à s’écarter en tout des opinions communes : « Croyez-vous donc, répondait-il, que je me serais levé toute ma vie à trois heures du matin pour ne penser que comme les autres ?  […] Au moment où elle brisait cette dernière lance contre le père Hardouin à propos de l’idée d’Homère et du bouclier d’Achille, Mme Dacier était déjà réconciliée avec La Motte.

1014. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Cousin est volontiers l’homme des partis pris, des idées préconçues, ou plutôt encore il est l’homme de son tempérament et de sa propre nature. […] Je ne fais qu’indiquer cette idée que je crois vraie, et qui ne revient pas tout à fait à ce que dit un biographe souverainement inexact : On compara avec passion, dit M. de Lamartine parlant de Bossuet et de Bourdaloue, ces deux émules d’éloquence. […] M. de Bausset a remarqué au contraire, comme une espèce de singularité, qu’il ne vint à l’idée de personne alors de prendre Bossuet et Bourdaloue pour sujet de parallèle, et de balancer leur mérite et leur génie, comme on le faisait si souvent pour Corneille et pour Racine ; ou du moins, si on les compara, ce ne fut que très peu. […] Le propre de Bossuet est d’avoir ainsi du premier coup d’œil toutes les grandes idées qui sont les bornes fixes et les extrémités nécessaires des choses, et qui suppriment les intervalles mobiles où s’oublie et se joue l’éternelle enfance des hommes. […] C’est alors que gouvernant presque seul et supérieur à ce qui l’entourait, il a mis partout l’empreinte de son goût, etc., etc. » — L’idée de faire régner et gouverner M. de Lionne en lieu et place de Louis XIV est surtout des plus singulières.

1015. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

En histoire, nous avons eu un travail analogue à faire pour en venir à une large et juste idée de Napoléon. […] La Restauration, un régime contraire et ennemi, avait d’abord succédé, avec des théories constitutionnelles qu’avaient sucées de nouvelles générations libérales, et, comme telles, encore moins favorables qu’opposées à l’idée impériale ; on semblait ne se rallier à ce passé récent que par la religion de la gloire et du malheur. […] Chacun sut, grâce à lui, à quoi s’en tenir désormais sur tout ce système habile et merveilleux de créations à l’intérieur, sur ce mécanisme savant et simple, essentiellement moderne, dont le public n’avait pas la clef auparavant ou dont on ne se faisait que de vagues idées. […] Somme toute, et quoi qu’il en soit de ces critiques de détail, le premier il a permis aux lecteurs curieux et patients de se faire une vaste idée, une idée continue (j’y insiste) du génie et de la force complexe de son héros. […] Armand Lefebvre n’est point arrivé à ce résultat, je le répète, en vertu d’une idée favorite et préconçue, mais par la seule étude des faits.

1016. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

C’est une vue essentiellement logique qui nous mène à joindre ces noms, et parce que, des deux idées poétiques dont ils sont les types admirables, l’une, sitôt qu’on l’approfondit, appelle l’autre et en est le complément. […] Prenant successivement les quatre ou cinq grandes idées auxquelles d’ordinaire puisent les poëtes, Dieu, la nature, le génie, l’art, l’amour, la vie proprement dite, nous verrons comme elles se sont révélées aux deux hommes que nous étudions en ce moment, et sous quelle face ils ont tenté de les reproduire. Et d’abord, à commencer par Dieu, ab Jove principium, nous trouvons, et avec regret, que cette magnifique et féconde idée est trop absente de leur poésie, et qu’elle la laisse déserte du côté du ciel. […] On le voit, l’art, à le prendre isolément, tenait peu de place dans les idées de Regnier ; il le pratiquait pourtant, et si quelque grammairien chicaneur le poussait sur ce terrain, il savait s’y défendre en maître, témoin sa belle satire neuvième contre Malherbe et les puristes. […] André Chénier avait beaucoup réfléchi sur l’amitié et y portait des idées sages, des principes sûrs, applicables en tous les temps de dissidences littéraires : « J’ai évité, dit-il, de me lier avec quantité de gens de bien et de mérite, dont il est honorable d’être l’ami et utile d’être l’auditeur, mais que d’autres circonstances ou d’autres idées ont fait agir et penser autrement que moi.

1017. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Et ce ne sont pas des velléités ni des éclairs d’aperçus ; il y insiste et embrasse l’idée moderne dans sa portée. […] Commynes, dans ce chapitre, devance les idées réformatrices des Vauban, des d’Argenson. […] Ces idées de Commynes purent ne lui venir à lui-même qu’après la mort de son maître, quand il eut connu à son tour l’adversité, l’oppression, et qu’il eut pu vérifier par expérience sa maxime : « Les plus grands maux viennent volontiers des plus forts ; car les faibles ne cherchent que patience. » Mais, quelle que soit leur date dans la vie de Commynes, les idées qu’on vient de voir donnent la mesure de l’étendue de son horizon. […] En un mot, Commynes est tellement moderne par les idées et par les vues, qu’on pourrait assigner en le lisant (ce qui est bien rare pour les auteurs d’une autre époque) la place qu’il aurait tenue à coup sûr dans notre ordre social actuel, et sous les divers régimes que nous avons traversés depuis 89. […] Plus il se resserre dans la prison qu’il s’est faite, plus il cherche à se multiplier dans l’idée des autres et dans la sienne, à faire le vivant.

1018. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

On a eu l’idée, dans un moment où il venait des idées de bien des sortes et qui toutes n’étaient pas aussi louables, d’établir dans les divers quartiers de Paris des lectures du soir publiques, à l’usage des classes laborieuses, de ceux qui, occupés tout le jour, n’ont qu’une heure ou deux dont ils puissent disposer après leur travail. […] J’ai causé d’ailleurs avec quelques-uns de ces hommes distingués qui s’honorent du simple titre de lecteurs, et, à mon tour, je me permettrai de discourir un peu sur ce sujet, en soumettant mes idées aux leurs et en me hâtant de reconnaître que je leur emprunte beaucoup à eux-mêmes dans ce que je vais exprimer. […] C’est ainsi qu’il vous suivra avec une honnête liberté, et qu’il tirera la conclusion en même temps que vous, sans croire accepter l’autorité d’un maître, sans l’accepter en effet, et en se faisant par lui-même une idée distincte de l’auteur en question. […] À cette époque si rude de la saison, dans une salle de spectacle non chauffée comme celle du Conservatoire, il serait difficile de prendre une juste idée de ce que sont les réunions en temps ordinaire ; l’auditoire se trouve nécessairement très réduit. […] On ne serait pas éloigné, ajoute-t-on, de l’idée de les concentrer en un seul lieu, afin d’obtenir un résultat plus saillant.

1019. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Le 12 novembre dernier, nous avons assisté aux touchantes funérailles d’un homme universellement estimé, qui personnifiait en lui toute l’idée qu’on peut se faire de l’homme de bien et aussi de l’homme de lettres d’autrefois. […] Sans prétendre empiéter sur ce qui sera dit ailleurs par des organes plus autorisés et avec plus de développement, je ne voudrais qu’acquitter ici, à ma manière, mon tribut d’estime envers un homme que j’ai connu et que j’ai particulièrement respecté ; je voudrais rendre plus nette et plus familière à tous l’idée qu’il faut rattacher à son nom. […] Quelque idée qu’on se forme de la masse des hommes, on ne saurait tout à fait les haïr, quand il se trouve parmi eux quelques bons et quelques justes aussi incorrigibles que celui-là. […] Droz remarquait que plus d’un critique s’était trompé en voulant faire la part des deux collaborateurs dans cet ouvrage : quelquefois une idée légèrement comique était venue de lui, et Picard avait fourni un filet de sentiment. […] Le fait est que, grâce à ce concours d’écrivains occupés à répandre de saines idées économiques et morales, des idées pacifiques, l’action des écrivains hostiles est tenue en échec ; le niveau de la morale publique se maintient.

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