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526. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Avant de légiférer pour son propre compte et en son privé nom, il nous a donné, en abrégé, l’histoire du duel en France, et cette histoire démontre, à toute page, l’inanité des législations quand il s’agit de changer et de modifier des mœurs toujours victorieuses d’elles… L’esprit moderne, dont la manie est de croire aux constitutions, qui sont les créations de son orgueil et que le vent de cette girouette a bientôt emporté, l’esprit moderne, qui méprise si outrageusement et si sottement le passé, apprend ici, une fois de plus, que tout dans l’histoire ne se fait pas de main d’homme, et que les coutumes ne s’arrachent pas du fond des peuples comme une touffe de gazon du sol… Saint-Thomas, dont le bon sens (heureusement pour lui) ne me fait point l’effet d’être dévoré par l’esprit moderne, semble l’avoir compris. […] Ce législateur, pratique et d’une application immédiate » n’a fait du duel qu’une question d’histoire, — et peut-être, à bien y regarder, n’est-il que cela ? […] II Auront-ils plus de force, ces républicains nés d’hier dans notre histoire ? […] Dans ce pays, qui en avait fini avec cet abus des ancêtres, — qui se vantait de n’avoir plus d’ancêtres, — dans ce pays qui voulait tuer l’histoire du passé avec l’histoire du présent, on se battait comme les ancêtres, et pour les mêmes raisons que ces ancêtres méprisés !

527. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

Seul, le fond de l’histoire, qui est assez ignoble aussi, appartient à M.  […] Gustave Flaubert dans sa Madame Bovary, mais il a une légèreté plus navrante encore… Cherchez un cri, un monosyllabe, un geste, un pli de bouche arraché par le dégoût au conteur, dans toute cette affreuse histoire d’une femme affreuse, vous ne le trouverez pas ! […] Histoire de rire ! […] III Or, voici cette histoire de Germaine. […] Le roman qui porte son nom est l’histoire de ce défricheur de génie, et quoique cette histoire, trop simple pour qu’on puisse l’analyser, ait moins d’étoffe et de sensibilité que les romans de M. 

528. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Prosper Mérimée. » pp. 323-336

Prosper Mérimée a eu le bonheur de naître à la littérature en cet instant, qui sera probablement unique dans l’histoire du dix-neuvième siècle, où la France, lasse de guerre et de politique, sembla vouloir changer de gloire, et se retourna vers les choses de l’esprit avec cette furie française qui n’a d’égale que les mollesses qui la suivent. […] L’autre Mérimée, l’homme de la double vocation, l’historien et l’antiquaire viendront ailleurs… En ces derniers temps, celui-ci a publié deux livres d’histoire, où la vocation de l’ancien romancier, — indécise comme toute vocation partagée, — se trahit encore dans le choix des sujets qu’il a essayé de traiter. Il est évident, en effet, que l’imagination de l’auteur de Carmen et de la Chronique de Charles IX se reconnaît, quoique affaiblie, dans les sujets qui l’ont attiré, et qui sont, à coup sûr, les sujets les plus romanesques de l’histoire. La vie des Faux Démétrius de Russie, cet imbroglio dramatique, cette mystification pour tout un peuple, cette sanglante et incroyable comédie, deux fois recommencée et toujours avec le même prestige, avec la même force d’illusion, l’histoire des Cosaques d’autrefois, ce poëme dix mille fois plus poétique que le Corsaire de lord Byron, et qu’un Byron seul, doublé d’un Hogarth, pouvait raconter, ont été écrites par une plume qu’elles n’ont pas réchauffée, et qui avait plus de netteté et de tranchant autrefois, quand elle écrivait des romans bien moins romanesques que ces histoires. […] Il a eu tout… excepté ce qu’il fallait pour l’histoire, comme pour le roman, — la grande vocation, — la vocation incompatible, et qui, par cela seul qu’elle est incompatible, ne peut être qu’une, — jamais deux !

529. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

D’ingénieux érudits dressent chaque jour l’histoire littéraire des écrivains, là même où précisément cette histoire semble le plus faire défaut ; les poëtes grecs ou latins, dont tout le bagage a péri dans le naufrage des temps, retrouvent des investigateurs d’autant plus curieux et presque des sauveurs. […] Virgile, au troisième livre des Géorgiques, accuse aussi la même difficulté de se faire jour : Omnia jam vulgata…, et Tite-Live, dans la préface de son histoire, semble comme accablé d’avance sous le nombre de je ne sais quels illustres devanciers : « … Et, si in tanta scriptorum turba mea fama in obscuro sit, nobilitate ac magnitudine eorum, meo qui nomini officient, me consoler. » Les érudits seuls savent peut-être aujourd’hui quelques noms de cette foule de poëtes et d’historiens célèbres, d’où se sont dégagés à grand’peine Tite-Live et Virgile. […] — Mais non ; il est et il demeure bien résolu que de nouvelles conditions de stabilité ont été introduites dans le monde ; les ruines brusques et violentes n’appartiennent qu’à l’histoire ancienne ; dupes, entraînés et turbulents jusqu’à ce jour, les hommes ont, de ce matin, cessé de l’être. […] nous avons la philosophie de l’histoire, qui a mis et mettra bon ordre à tout cela. […] L’histoire de la Bibliothèque d’Alexandrie, avec variante, est encore la nôtre ; nous serons dévorés, et, quand la dernière postérité nous voudra connaître par quelque échantillon, qu’importe !

530. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

Je ne puis faire l’histoire du journalisme : ce n’est pas par le détail qu’elle intéresse la littérature, et je signalerai en leur lieu les noms à retenir. […] Tous ces écrits sont des documents d’histoire : mais le plus instructif document, historique et humain tout à la fois, est celui que fournit le propre tempérament de l’écrivain. […] Muret, l’Histoire par le théâtre, 3 vol. in-12, 1865 (t. […] Hatin, Histoire de la presse française, 1859-61, 8 vol. in-8 ; Bibliographie hist. et crit. de la pr. […] Mémoires et correspondance pour servir à l’histoire de la Révolution française, publ. p.

531. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Guy de Maupassant »

Laissez-moi donc vous dire l’histoire de mes impressions sur Maupassant, et quand et comment je le lus pour la première fois. […] C’était l’histoire de deux amants qui se séparent, après une dernière promenade à la campagne ; lui brutal, elle désespérée et muette. […] Une vie est l’histoire — un peu laborieusement contée, sous l’influence encore proche de Flaubert — d’une pauvre créature sacrifiée, qui souffre par son mari, puis par son fils, et qui meurt. […] C’est l’histoire d’une femme et d’une jeune fille qui souffrent et d’un homme qui les fait souffrir ; et elles sont bonnes, et il n’est pas méchant, et tous sont irresponsables, et tout cela est bien triste. […] Cette étrange histoire, nous en touchons du doigt la vérité, jour par jour, heure par heure.

532. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

Il sait plus que l’histoire littéraire française. Il sait l’histoire politique, l’histoire scientifique, l’histoire des mœurs. — Et voilà déjà une grande difficulté à l’égaler. […] Anatole France, et surtout le charme anecdotique de l’histoire de l’église, des apôtres et des saints : la beauté plus directement plastique des lettres et des arts grecs et français ne l’attira pas moins ; ni la beauté intellectuelle de la philosophie déterministe, de la science moderne, si relativiste, et si sceptique. […] Il a raison, mais on peut se demander ce qu’il fait, Choulette, en toute cette histoire, et ce qu’y font les personnages autres, également amusants, du décor.

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