Et cependant, à toutes les époques de cette existence brillante et qui aurait dû être heureuse, le cri de l’ennui que, seule dans tout son siècle, elle a poussé, elle le jeta partout autour d’elle et avec une vibration dont, un siècle plus tard, Chateaubriand, qui avait vu la Révolution française, n’a pas dépassé l’intensité. […] On le donne et on le reçoit. » On n’en finirait pas de citer ces plaintes incessantes contre cet ennemi des autres et d’elle-même qui la tient et l’opprime, cette heureuse d’un siècle si amusant et si amusé ! […] — dans cet autre mot, qui n’est pas le seul de l’espèce : « Il me suffit d’être contente pour être heureuse. » Je n’aime point qu’elle écrive à toute page des phrases dans ce genre affreux : « La nature est le seul tyran dont il ne faille pas secouer le joug.
quel titre et quel thème, en effet, à développer sous ce titre heureux ! […] Eugène Sue, qui avait des reins, Eugène Sue, ce portefaix littéraire, a manqué les Mémoires d’une institutrice, encore un titre plein de choses, un type et un sujet heureux ! […] une forme qu’on a crue heureuse et qui vraiment l’était, mais à laquelle il fallait, de rigueur, joindre beaucoup de talent seulement pour la remplir, — un titre très-séduisant parce qu’il cachait une idée, — et une idée hardie, — sur laquelle on a malheureusement spéculé.
Campaux établit très bien tout cela ; et comme heureux lui-même de cette délivrance : Il était donc échappé une seconde fois à la mort, nous dit-il d’un accent touché, mais dans quel état ! […] La page de critique conjecturale où il se répand à ce sujet, et où il se laisse aller à quelques regrets sur son auteur favori, est trop heureuse de développement et d’une trop bonne venue pour que nous en privions le lecteur : On ne peut, nous fait-il remarquer, afficher plus de mépris pour la campagne que n’en montre Villon dans cette pièce. […] Laissons-nous faire à la poésie ; relisons, redisons-nous tout haut la pièce entière… Heureux celui qui a su ainsi trouver un accent pour une situation immortelle et toujours renouvelée de la nature humaine ! […] Dans la Ballade des seigneurs du temps jadis, Villon a aussi son refrain heureux et approprié au sujet. […] Il aura même poussé l’amitié, en partant le matin, jusqu’à accepter tout l’argent, toutes les épargnes de son généreux hôte, trop heureux de se dépouiller et de se mettre à la gêne pour le poète, comme il le nommait par excellence.
Vite, hâtons-nous et revenons à l’un de ces poètes qui n’ont pas besoin d’être réhabilités ni reconstruits à grand effort de système, et qui ont su traverser les âges par un hasard de destinée, heureux sans doute, mais aussi très justifié, et tout simplement parce qu’ils avaient en eux et qu’ils ont mis dans leurs œuvres une étincelle de cette flamme qui fait vivre : Vivunt commissi calores… II. […] Le même démon familier lui soufflait dans ses nuits d’insomnie : « Tout se flétrit, tout passe, ayons eu, au moins, dans cette fuite rapide, un moment de pleine vie. » Et ce moment, plus heureuse que d’autres, elle l’a consacré dans des vers qui nous sont arrivés tout brûlants après trois siècles, et que répétera l’avenir. […] Non seulement les malheureux et les accablés qui ont rejeté d’eux-mêmes le fardeau de la vie, mais tant d’autres qui l’ont subi et porté jusqu’à la fin, les poètes délicats et tendres, les esprits souffrants et douloureux, les timides et les effarouchés qui ont traversé le chemin en tremblant, qui s’y sont blessés, ou ceux même qui, sans trop s’y blesser, sont trop heureux d’avoir effleuré et rasé rochers et précipices, d’avoir éludé le plus fort de l’épreuve, tous ceux-là ne voudraient plus jamais rentrer dans le circuit des chances inconnues et dans le tourbillonnement des êtres. […] nous heureux ? […] Yemeniz, ce riche et libéral amateur qui, dans sa cité de Lyon, a gardé une étincelle de la Grèce, sa première patrie : le volume imprimé par Perrin (1857), orné d’images et d’emblèmes, distribué petit, nombre et non mis en vente, consacre désormais le nom du trop heureux Papon, au rang de ces curiosités de bibliothèque qu’on enchâsse et qu’on ne lit pas.
Cela vous signale, et les trois quarts des badauds sont tentés de dire : « Voilà un homme qui s’y entend. » C’était la souveraine jouissance de Gustave Planche, et il se la procurait à tout prix, d’autres sont heureux et flattés des affections ou des sympathies qu’ils inspirent : lui, il tirait gloire des répulsions mêmes et des aversions qu’il provoquait. […] Vernet lorsque je ne trouverai plus dans ses œuvres les qualités qui le distinguent, et que je ne comprends pas qu’on puisse lui disputer ; mais tant que je verrai cette verve, cette adresse et cette vigueur, je ne chercherai pas les ombres de ces précieux rayons de lumière. » Touches heureuses de critique, qui sentent le poète, qui consolent et qui vengent du pédant10 ! […] J’examine : tout est lié, motivé, sensé, possible, intelligible ; tout ressemble à ce qu’on a vu ou à ce qu’on peut se figurer, et les peintres sincères vous diront tout ce qu’il y a, sous cette ressemblance vive, de hardiesses de première venue, de difficultés abordées de front, enlevées à la pointe du pinceau et tournées en effets heureux et en triomphes. […] En voici un encore, l’aimable Félix Mendelssohn, « le puissant et doux maître du piano » (comme l’appelait Gœthe), qui voyageant en Italie, et rencontrant à Rome Horace Vernet directeur à la Villa Médicis, va nous donner l’impression la plus fidèle et la mieux sentie de cette nature heureuse et de cette mouvante existence : « (Rome, 17 janvier 1831.) […] Il faut, à la vérité, que je me recueille avant mon improvisation, mais je la ferai. » Je consentis de très-grand cœur, et je ne puis vous dire combien je fus heureux en voyant que mon jeu lui avait fait réellement tant de plaisir.
Malgré ces heureux ravitaillements, il est bien clair qu’auprès de la plupart, en cette société moderne, l’école du style, soit académique, soit non académique, perd en crédit, en importance, qu’on l’apprécie moins et qu’on s’en passe ; qu’à voir tant de gens se jeter à l’eau d’abord et apprendre ensuite d’eux-mêmes à nager, on en estime moins les préceptes de la natation, et qu’un moment viendra où (je le répète), sans être pourtant insensible à un certain tour et à un certain éclat d’expression, on ira surtout aux faits, aux idées, aux notions que portera le bien dire ou le style. […] Deux nuits entières il lutta, les mains jointes, contre cette vision ; elle disparut enfin et le laissa meurtri, brisé, mais saintement humilié et persuadé qu’il avait choisi la bonne part13. » Voilà des miracles de la littérature exquise, de celle qui ne brille que par l’étendue et la rapidité des aperçus, la justesse heureuse des touches, les ménagements et le choix des couleurs et du langage. […] Il a des débuts heureux, de jolis lieux communs, des amas, comme on disait autrefois, des enfilades de citations qui, bien choisies, font comme un chapelet qu’on égrène. […] Je ne le savoure pas moins, je ne l’en savoure que mieux, quand je me rends compte de sa composition à jamais heureuse. […] Heureux âge, où est-il ?
Un mot heureux qu’elle dit tout d’abord fit fortune et la classa pour l’esprit : il n’en faut pas plus en pareil cas. […] Votre Majesté rira peut-être de ce que je lui dis là, mais la bénédiction du lit, les prêtres, les bougies, cette pompe brillante, la beauté, la jeunesse de cette princesse, enfin le désir que l’on a qu’elle soit heureuse, toutes ces choses ensemble inspirent plus de pensées que de rires. […] Elle se plia à son humeur, et le rendit aussi heureux qu’il pouvait l’être. […] Il dut céder à l’exigence française ; sa bonne étoile ne lui fit pas défaut ; il fut heureux ; son lieutenant Lœwendal mena à bien cette entreprise réputée impossible et fort inutile de Berg-op-Zoom qui n’était que pour l’honneur et pour la montre : le succès de Lawfeld, dès cette campagne, put sembler couronné d’un résultat. […] J’ai rapproché précédemment (page 85) le nom du maréchal de Saxe de celui de Kléber ; j’ai été heureux de rencontrer depuis, dans la Vie politique et militaire de Napoléon par Jomini (tome I, page 302), une confirmation de cette vue.