« On a dans le monde », a-t-il osé dire, « et même dans les livres, l’habitude de se moquer des prétentions à la jeunesse de ceux qui ont dépassé cet âge heureux de l’inexpérience et de la sottise, et on a raison, quand la forme de ces prétentions est ridicule. […] Pour se distinguer les uns des autres, les Barbey avaient pris l’habitude d’ajouter à leur nom celui de leur terre. […] Vous vous contentez de leur en donner de plus délicates que ce n’est l’habitude dans leur monde. […] Quitter ses habitudes, devenir un autre que soi par l’ivresse de ses facultés morales, et jouer ce jeu à volonté, telle était ma distraction. » Il conclut, étonné par l’anomalie de sa propre intelligence : « Est-ce là une qualité dont l’abus mène à la folie ? […] L’habitude de confondre l’imaginaire et le réel le poursuit dans ce réveil d’ivresse.
En même temps l’homme, par habitude, s’est mis en défense ; l’attitude militante lui est naturelle, et il se tient debout, affermi dans l’orgueil de son courage et dans l’ancienneté de sa réflexion. […] Les yeux fermés, le texte sacré dans la main, il marche de conséquence en conséquence, foulant les préjugés, les inclinations, les habitudes, les besoins des hommes, comme si le raisonnement ou l’esprit religieux étaient tout l’homme, comme si l’évidence produisait toujours la croyance, comme si la croyance aboutissait toujours à la pratique, comme si, dans le combat des doctrines, la vérité ou la justice donnaient aux doctrines la victoire et la royauté. […] Il recule ses nouveaux personnages jusqu’à l’extrémité de l’antiquité sacrée, comme il a reculé ses anciens personnages jusqu’à l’extrémité de l’antiquité fabuleuse, parce que la distance ajoute à leur taille, et que l’habitude cessant de les mesurer cesse de les avilir. […] La mythologie a fait place à la théologie ; l’habitude de la dissertation a fini par abaisser l’essor lyrique ; l’érudition accrue a fini par surcharger le génie original. […] Mais si les habitudes innées et invétérées d’argumentation logique, jointes à la théologie littérale du temps, l’ont empêché d’atteindre à l’illusion lyrique ou de créer des âmes vivantes, la magnificence de son imagination grandiose, jointe aux passions puritaines, lui a fourni un personnage héroïque, plusieurs hymnes sublimes et des paysages que personne n’a surpassés.
En quoi le bon sens, qui n’est que l’habitude de voir juste et de se conduire en conséquence, est-il si caractéristique dans Bossuet, que ce soit surtout par ce mérite simple qu’il nous étonne ? […] Dans Montaigne, outre l’habitude de douter de toutes choses, qui est une marque d’étendue d’esprit plutôt que de justesse, l’imagination a trop de part à ses pensées, et son bon sens, en s’arrêtant à la surface des choses, soit timidité, soit crainte de se fatiguer à approfondir, n’est le plus souvent qu’une vue juste d’une partie seulement des objets. […] C’est sans aucun doute à cette fermeté de bon sens, à cette obéissance toujours fidèle, à cette soumission éclairée, savante, réfléchie, et toutefois entière et sans réserve ; à cette habitude de ne chercher dans la religion que des motifs d’acquiescement à sa tradition et à ses disciplines, de subordonner ses vues particulières à l’interprétation légitime, de toujours se mettre hors de soi pour chercher la vérité, que Bossuet doit d’être l’écrivain en prose le plus naturel et le plus varié du dix-septième siècle. […] Mais il est très vrai que la pratique des auteurs anciens, ces lectures à la plume, l’habitude de s’arrêter au détail, tous ces exercices où le maître s’instruisait pour enseigner, ont donné au génie de Bossuet je ne sais quoi de plus modéré, et tout à la fois de plus aisé et de plus noble, En même temps, la liberté de la morale antique, cette sagesse aimable et riante, ces fortes et naïves peintures de l’homme actif, du citoyen, du guerrier, adoucissaient son austérité, et le préservaient de ces scrupules impérieux dont l’excès poussait un saint Grégoire à brûler les livres des anciens comme infidèles. […] Faut-il accorder ce scandale aux incrédules, que la foi de Bossuet fut la jalousie de l’autorité dans l’évêque plutôt que la paisible et profonde habitude du chrétien ?
L’antiquité fut fouillée avec un sens critique, une connaissance des textes, un génie d’interprétation que la France n’avait pas l’habitude de porter dans ces sortes de recherches. […] Renan « l’infini » ou « l’idéal » ; mais ces agents transcendants jouent un rôle si vague et si obscur dans leurs doctrines, qu’il est difficile de bien saisir la part qui leur est faite, et qu’il est permis d’y voir des concessions à l’opinion et à l’habitude plutôt que de vrais principes sciemment et scientifiquement reconnus. […] Quelques hautes idées se sont dégagées de ce chaos de faits particuliers ou d’applications commodes, et à un moment donné les sciences ont pu croire qu’il était temps d’opposer philosophie à philosophie, et de remplacer les interprétations métaphysiques et psychologiques, dont on était las, par des interprétations cosmologiques, dont on avait perdu l’habitude et le goût. […] Si le spiritualisme est vrai, il n’a rien à craindre de cette contre-épreuve, car la vérité ne peut se démentir elle-même ; mais si, dédaigneuse à l’excès de ce qui se passe autour d’elle, la philosophie spiritualiste ne s’apercevait pas de l’empire chaque jour plus étendu que conquièrent les sciences positives dans notre société, et des habitudes d’esprit qu’elles amènent avec elles, il serait à craindre que, même en possédant la vérité, elle ne se vit abandonnée, la plupart trouvant inutile de raisonner pour établir des vérités que le sens commun, le cœur et la foi démontrent suffisamment à leurs yeux, et les autres lui contestant le caractère de science, et opposant à son immobilité les progrès croissants de la physique, des mathématiques et de la chimie. […] Littré sait très-bien que le matérialisme n’est pas démontré, et il voudrait se tenir à égale distance de cette doctrine et de la doctrine opposée ; mais d’un autre côté les habitudes de l’éducation, l’entraînement fatal du savant, qui n’a pas trouvé de contre-poids dans l’étude des sciences psychologiques et morales, plus que tout cela peut-être, la pression de certains disciples plus ardents que ces tempéraments ne satisfont point, telles sont les causes de ce conflit interne dont le positivisme doit se dégager, s’il veut compter parmi les sérieuses écoles philosophiques de notre temps.
On rit aux vérités les plus graves, pour peu qu’un mot nouveau s’y montre qui contredise nos habitudes. […] Au contraire, à mesure que la séparation entre l’idéal et le réel se prononça davantage, à mesure que l’habitude de philosopher apprit aux auteurs et à leur public à se retirer en eux-mêmes pour y chercher le type absolu de tout ce que la comédie voue au néant par le ridicule, le théâtre ne commença qu’en apparence à être plus moral, et il devint en réalité moins poétique et moins comique. […] Les Français aussi sont pathétiques sous ce rapport, et leur éloquence des passions n’est pas toujours un simple fatras de paroles, comme nous le croyons souvent, nous Allemands, avec notre habitude de concentration profonde, qui nous fait presque regarder comme une injure faite à nos sentiments de les exprimer par des formes variées… L’homme dans lequel se manifeste le sentiment pathétique doit en être rempli et pénétré, mais en même temps être capable de le développer et de l’exprimer convenablement… On a apposé Voltaire à Shakespeare.
La monarchie à mille formes, l’aristocratie, l’oligarchie, la démocratie, la démagogie, l’anarchie, la république dérivée de la représentation ou des décrets directs du peuple, l’État, la souveraineté de l’État, les changements violents ou les révolutions lentes, les passions du peuple ou les factions des grands, les combinaisons variées de ces divers principes de gouvernement, les décadences ou les renaissances qui les précipitent ou qui les relèvent, tout cela est écrit dans la Politique d’Aristote aussi nettement que dans les cent mille brochures des doctrinaires de nos jours ; à l’exception du principe de l’esclavage, passé en loi et en morale par l’habitude, et considéré par le publiciste d’Athènes comme l’œuvre de la nature et non comme une erreur des lois, il n’y a rien dans Aristote qui ne soit dans les mêmes termes aujourd’hui dans nos philosophes politiques. […] La justice est une nécessité sociale car le droit est la règle de l’association politique, et la dérision du juste est ce qui constitue le droit. » XIX Ici il tombe, pour la seule fois, de sa logique dans le sophisme d’habitude du paganisme et même du christianisme, la justification de l’esclavage, instrument, dit-il, donné par la nature pour faciliter au maître l’usage de la propriété. […] D’abord la propriété, quelque mince qu’elle soit, et l’habitude du travail, puis la tempérance ; et, enfin, pour celui qui veut trouver le bonheur en lui-même, le remède ne sera point à chercher ailleurs que dans la philosophie : car les plaisirs autres que les siens ne peuvent se passer de l’intermédiaire des hommes.
Je vis entre autres des nids de linots et de diverses espèces de fauvettes, à des hauteurs différentes suivant leurs habitudes. […] Comme d’habitude, il s’informa avec intérêt de ce que j’avais vu de neuf ces jours-ci, et je lui racontai que j’avais fait connaissance avec une femme poète. […] Ils ont leur tir dans des cabarets, comme nous y avons des jeux de quilles, et ils se réunissent d’habitude vers le soir dans ces endroits où je les ai regardés souvent avec le plus grand plaisir.