J’admettrais volontiers cette explication, mais il me semble qu’elle détruit l’hypothèse, car il s’ensuivrait tout simplement que la localisation à gauche serait une localisation d’habitude, puisque le cerveau droit n’est pas absolument impropre chez quelques personnes à exercer cette fonction. Le cerveau, dans cette hypothèse, aurait donc en puissance les mêmes fonctions des deux côtés ; mais certaines circonstances détermineraient la partie gauche à certaines habitudes que n’aurait point le côté droit.
Ces deux parties de la même théorie, ou, pour mieux dire, ces deux théories distinctes sont tellement mêlées entre elles, que ni l’auteur ni ses critiques n’ont pris l’habitude de les séparer. […] Au contraire, tout ce qui n’intéresse qu’un temps particulier, un lieu particulier, quelques hommes, quelques professions, tout ce qui a besoin de commentaires pour être compris et goûté (je ne parle pas de l’intelligence des textes), tout ce qui se rapporte à des usages disparus, à des habitudes spéciales et locales, peut plaire à des érudits, ou a pu plaire dans un temps donné, mais n’est pas universellement, éternellement beau.
VI Ainsi, pour commencer, dégradation de l’intelligence, altération des rapports sociaux, voilà ce que les habitudes de théâtre introduites dans le monde doivent nécessairement produire et attester. […] Nous ne passons pas notre temps à foudroyer des tourterelles ; seulement il nous est impossible d’admettre, et nous vous défions de la supposer, l’innocence ou la moralité de ces comédies de société où le comédien est mandé pour apprendre le rôle à monsieur, et la comédienne pour l’apprendre à madame et à mademoiselle, et où, dans le laisser-aller de la coulisse, les professeurs peuvent faire échange de fonction et intervertir leur personnage avec la souplesse de leur art et les habitudes de leur état !
Si le politique Charles-Quint, mi-parti d’Autrichien, de Flamand, de Bourguignon, et dont le génie, mêlé au génie de plusieurs races, était écartelé comme son blason impérial, si ce Charles-Quint ne fut pas un moine et ne songea jamais à l’être, malgré la piété très profonde de toute sa vie, l’Espagne était, elle, qu’on nous passe le mot, une nation moine (una monja), et tellement moine d’éducation, d’habitude et de préjugés, que c’est à l’influence de cette nation cloîtrée dans des mœurs religieuses comme il n’en avait peut-être existé nulle part, que Charles-Quint dut ces impulsions monastiques dont la philosophie a été la dupe, et qui étaient parfaitement contraires à la nature positive et tout humaine de son génie. […] Ses habitudes d’esprit en ont énervé la trempe.
Buffon avait commencé sa vie pensante et savante par les mathématiques qui sont une science de déduction, et il apporta les habitudes mathématiques partout où depuis s’engagea sa pensée, et c’est à cause de cela, selon nous, bien plus qu’à cause de ses accointances avec Descartes, qui avait été aussi un mathématicien bien avant d’être un philosophe, c’est à cause de cela que Buffon admit si souvent l’hypothèse comme une règle de fausse position. […] C’était l’habitude de son esprit, et c’en était aussi la force, de comprendre, de féconder, d’élargir les faits qu’il n’avait pas découverts.
Il devait sortir des mortes données de l’abstraction pour entrer dans la vie, et il y est entré dans ce traité de la Connaissance de Dieu, où se cachent sous les plus éclatantes questions d’une théodicée, les arêtes d’une méthode profonde ; il y est entré en observateur qui ne scinde pas l’homme et son esprit pour mieux le connaître, qui ne le mutile pas pour l’étudier : « Je ne puis m’empêcher d’affirmer — dit-il à la page 122 de son second volume : — que l’idée d’être bien déployée, si l’on sait mettre de côté l’habitude que nous avons de tout restreindre, de tout abstraire, de placer, même dans l’être, la négation, qui n’est faite que pour le néant, et de n’oser jamais pleinement soutenir l’universelle affirmation, l’idée d’être est identique à celle de force, d’intelligence, de volonté, de liberté, d’amour. […] Mais l’abbé Gratry montre encore mieux par son exemple quelle supériorité vivement tranchée l’habitude et la culture de la théologie chrétienne peuvent donner à l’esprit le plus robuste et le plus sain.
En d’autres termes plus sérieux, nous nous disions, et nous avons toujours pensé, que l’existence de Dieu, créateur du monde, sa providence dans l’histoire, et l’immortalité de l’âme, ces trois vérités de bon sens et d’instinct, n’étaient pas — du moins telles que l’école du spiritualisme moderne a l’habitude de les poser — absolument tout ce qu’il fallait pour apaiser les esprits noblement affamés de certitude, et, ce qui importe bien davantage, pour s’emparer impérieusement de la direction morale de la vie. […] Caro ferme son volume par un compte rendu général et rapide des œuvres quelconques de ce temps où l’Idée de Dieu apparaît, comme elle a l’habitude d’apparaître dans la pauvre tête moderne, qui est si troublée.