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424. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Et au moment de la chute ou de la retraite contrainte, il dit encore : « La disgrâce de cet homme était plainte de peu de personnes à cause de sa gloire (de son orgueil). » Chose singulière, l’homme le plus éloigné à tous égards de L’Estoile, le cardinal de Richelieu, en ses Mémoires, parlant de Sully et de sa chute qui fut toute personnelle, dit à peu près la même chose : On a vu peu de grands hommes déchoir du haut degré de la fortune sans tirer après eux beaucoup de gens ; mais, la chute de ce colosse n’ayant été suivie d’aucune autre, je ne puis que je ne remarque la différence qu’il y a entre ceux qui possèdent les cœurs des hommes par un procédé obligeant et leur mérite, et ceux qui les contraignent par leur autorité. […] Mézeray, très bon historien pour ces derniers siècles, portait de Sully le jugement juste et vrai qu’il faut qu’on en porte encore, mais sans embellissement et sans enthousiasme : « Outre qu’il était infatigable, ménager et homme d’ordre, dit-il, il avait la négative fort rude, et était impénétrable aux prières et aux importunités, et attirait à toutes mains de l’argent dans les coffres du roi. » Tant que Louis XIV régna, il fut assez peu question des grandeurs et des gloires des règnes précédents. […] Pourtant la popularité de Henri IV prenait dans les imaginations et s’étendait de jour en jour, comme en représailles de la gloire de Louis XIV, et il lui fallait un second, un conseiller, un fidèle : ce ne pouvait être que Sully. […] Le retour du roi de Pologne Henri III et son arrivée en France, le démenti donné du premier coup aux espérances qu’on avait de lui, ne sont pas moins bien notés ; ce dernier des Valois arrive avec le dessein, qui lui a été suggéré par de sages princes et conseillers qu’il a vus au passage (en Autriche, à Venise et en Savoie), d’octroyer la paix à tous ses sujets et de rétablir l’ordre et la concorde avec traitement égal pour tous ; mais, à peine arrivé, il fait défaut, se laisse retourner par la reine sa mère, s’engage dans je ne sais quelle petite guerre et quel petit siège qu’il est obligé de lever avec mille sortes de reproches et d’injures que lui lancent du haut des murailles les femmes et les enfants : Ce honteux décampement, dit Sully, l’aversion que le roi témoigna dès lors de toutes choses généreuses et de la vraie gloire, qui ne s’acquiert que par les armes, et une inclination et disposition portée toute au repos, aux délices et plaisirs, le firent tomber en mépris qui engendra la haine, et la haine l’audace d’entreprendre contre lui, de laquelle procéda sa perdition avec infamie. […] Il a entendu parler d’une autre personne plus convenable tant pour sa beauté modeste que pour sa vertu et haute extraction ; c’est Anne de Courtenay, fille de M. de Bontin : c’est cette dernière que la raison désigne à Rosny, et, même en telle matière qui a pour fin le mariage, il se rappelle cette maxime : « que celui qui veut acquérir de la gloire et de l’honneur, doit tâcher à dominer ses plaisirs et ne souffrir jamais qu’ils le dominent ».

425. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

On peut dire que cette campagne de 1707, tout utile qu’elle fut à Louis XIV et à ses finances, ne servit point à la bonne réputation de Villars, et, par les scandales qu’elle causa, elle nuisit même d’une manière durable à sa considération : il aura beau faire pour regagner une entière et solide estime, il n’aura dorénavant à espérer que de la gloire. […] La retraite des deux ailes, vers deux ou trois heures de l’après-midi, s’était faite régulièrement et sans être inquiétée. « Notre canon, dit l’un des généraux de l’artillerie, tira toujours sur l’ennemi jusqu’au dernier moment de la retraite, et le contint si bien, que les derniers coups qui se tirèrent en cette journée furent des coups de canon. » Le maréchal de Bouflers eut toute raison d’écrire au roi, de son camp de Ruesne, dès le 11 au soir : « Je puis assurer Votre Majesté que jamais malheur n’a été accompagné de plus de gloire. » On lit dans la relation de la bataille qui fut publiée par les alliés (c’est-à-dire les ennemis) : « On ne peut refuser au maréchal de Villars la gloire d’avoir fait ses dispositions et ménagé ses avantages avec autant d’habileté qu’un général pût jamais le faire. » L’honneur de nos armes dans ces contrées, qui était resté comme accablé et gisant sous le coup des défaites d’Oudenarde et de Ramillies, se releva ; les adversaires, les Anglais surtout, avouaient qu’ils avaient, en ce jour, retrouvé les braves Français, les Français d’autrefois, et qu’on voyait bien qu’ils ne demandaient qu’à être bien menés pour être toujours les mêmes. […] Il avait triomphé de l’envie et pleinement mérité la gloire. […] Au lieu de rien demander après de tels services rendus, il n’avait qu’à s’abstenir, à se renfermer dans le sentiment de sa juste gloire ; mais alors il eût été un autre ; et il était surtout un talent, un beau zèle et une fortune.

426. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Il s’ensevelit sous la religion du silence, à l’exemple des gymnosophistes et de Pythagore ; il médita dans le mystère, et s’attacha par principes à demeurer inconnu, comme avait fait l’excellent Saint-Martin. « Les prétentions des moralistes, comme celles des théosophes, dit-il en tête des Libres Méditations, ont quelque chose de silencieux ; c’est une réserve conforme peut-être à la dignité du sujet. » Désabusé des succès bruyants, réfugié en une région inaltérable dont l’atmosphère tranquillise, il s’est convaincu que cette gloire qu’il n’avait pas eue ne le satisferait pas s’il la possédait, et s’il n’avait travaillé qu’en vue de l’obtenir : « Car, remarque-t-il, la gloire obtenue passe en quelque sorte derrière nous, et n’a plus d’éclat ; nous en aimions surtout ce qu’elle offrait dans l’avenir, ce que nous ne pouvions connaître que sous un point de vue favorable aux illusions. » Il n’est pas étonnant qu’avec cette manière de penser, le nom de M. de Sénancour soit resté à l’écart dans cette cohue journalière de candidatures à la gloire, et que, n’ayant pas revendiqué son indemnité d’écrivain, personne n’ait songé à la lui faire compter. […] presque toujours inconciliables, de la gloire et de la sagesse ? […] On a remarqué que madame de Staël prodiguait la vie ; elle-même a remarqué que M. de Guibert, dans son discours de réception à l’Académie, répéta, je ne sais combien de fois, le mot de gloire.

427. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Decazes qui lui promit justice : « Quand on saura à Tours, écrivait-il à sa femme, que nous avons à Paris des gens qui pensent à nous, on nous laissera tranquilles… Je vois qu’on se fait ici un honneur et une gloire de me protéger. » Il y eut là un moment d’indécision pour Courier et qui tint à peu de chose ; On cherchait à le rallier, il n’était pas encore irréconciliable. […] Ne demandons point à Courier une théorie politique constitutionnelle un peu élevée et compliquée, qui concilie jusqu’à un certain point les souvenirs anciens avec les intérêts nouveaux, et qui cherche à donner un point d’appui social à toutes les gloires. Les gloires, qu’en fera-t-on ? […] Dans sa Pétition pour des villageois, qui est une pièce des plus achevées, il se pose tout à fait en vieux soldat laboureur, devenu bûcheron et vigneron, ami de la vieille gloire nationale ; et, quand ce jeune curé d’Azay ou de Fondettes, sorti du séminaire de Tours où il a été élevé par un frère Picpus, interdit la danse sur la place de l’endroit, Courier s’écrie : Ainsi, l’horreur de ces jeunes gens pour le plus simple amusement, leur vient du triste Picpus, qui lui-même tient d’ailleurs sa morale farouche. […] Le colonel Bugeaud, pendant ces années, pratiquait sincèrement l’agriculture ; vaillant soldat pour qui le nom d’Austerlitz n’était en rien une métaphore, il tenait la charrue tout de bon, et il en devait sortir ce qu’on l’a vu, rude, plus aguerri encore et endurci, mais avec ces qualités supérieures qui ont forcé la destinée, et qui ont valu la gloire à sa vigoureuse vieillesse.

428. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

La gloire, la patrie, l’amitié, voilà des sujets sur lesquels Frédéric ne plaisantait jamais : M.  […] La conversation de M. de Suhm avait un charme particulier qui nous arrive jusque dans ses lettres, quelque chose d’affectif et de pénétrant : Frédéric y était sensible autant qu’esprit peut l’être : « Si désormais vous alliez vous résoudre à ne parler et à n’écrire qu’en chinois, lui disait-il, je serais homme à l’apprendre pour profiter de votre conversation. » Quant à M. de Suhm, il a, dès les premiers instants, deviné et senti la grandeur de Frédéric ; il lui a voué une admiration tendre, ardente, perspicace, qui lui révèle à l’avance la gloire du prochain règne, et qui déborde prophétiquement en toutes ses paroles. […] Je cours après le temps que j’ai perdu si inconsidérément dans ma jeunesse, et j’amasse, autant que je le puis, une provision de connaissances et de vérités. » Plus tard, bientôt, au lendemain de son avènement au trône, la passion le saisira ; l’amour de la gloire, l’idée de frapper un grand coup au début et de marquer sa place dans le monde le fera, coûte que coûte, guerrier et conquérant ; il semblera oublier ses vœux et ses serments philosophiques de la veille ; il oubliera qu’il vient justement de réfuter Machiavel, il distinguera entre la morale qui oblige les particuliers et celle qui doit diriger le souverain. […] Je vous avoue que je suis de ces personnes qui aiment à partager la gloire des autres, et que, sans la philosophie, je verrais avec inquiétude tant de grandes actions sans y assister. […] Il n’y a, je le répète, qu’une explication plausible, et que Frédéric lui-même a donnée plus d’une fois depuis : c’est qu’aussitôt à son arrivée au trône, il fut pris d’un ardent désir de s’illustrer aux yeux de l’Europe par quelque fait mémorable et utile à son pays ; il fut comme transporté par un soudain démon de gloire et de renommée : de là la conquête de la Silésie.

429. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Nous, les enfants du xviiie  siècle, généreux au nom de la gloire de nos pères, nous avons trop longtemps laissé passer cette idée avec le sourire de la tolérance. […] Elle y trouve les traités de Vienne, mais ce n’est là qu’un accident dans son histoire, une revanche de guerre de peu de gloire pour elle, parce qu’ils ont été sans justice. […] voilà ce qui échauffe et gonfle la tête de l’Allemagne, et non pas on ne sait quelle réaction en faveur d’un principe que sa gloire a été de combattre la première. […] Eh bien, examinons le livre même qui vaut à Hurter la gloire dangereuse devant laquelle on voudrait faire une hécatombe des premiers historiens français ! […] Or, comment se conduisit le héros de Hurter dans la question d’où devait sortir la gloire de son règne et sur laquelle, à ce qu’il semble, l’intérêt de l’Église était si éclatant qu’il n’était pas besoin d’être un aigle pour voir des choses d’une telle lumière ?

430. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Cette gloire n’appartient qu’à la grande œuvre du Dante ; et là même, malgré ce nom de Cantique appliqué par lui-même il cette œuvre, ce n’est pas l’inspiration lyrique qui domine le plus. […] Un siècle et demi avant le Dante, quand l’italien à peine naissant ne s’écrivait pas encore, quand la prédication et la poésie étaient encore toutes latines en Italie, un des grands hommes de l’Église, Pierre Damien, ce pur et austère génie, parfois en lutte même contre Grégoire VII, et osant le nommer mon saint tentateur, mon saint satan, avait chanté dans un hymne la gloire du paradis. […] Cette gloire que lui a ravie le péché, elle la contemple encore. […] à vous les louanges ; à vous la gloire et les honneurs ; à vous doivent se reporter toutes les actions de grâces, et nul homme n’est digne de vous nommer. […] Elle flétrit Te vice, comme elle exaltait la vertu ; elle mit sur les actions des hommes le stigmate de la honte ou la lumière de la gloire, et fit elle-même, dans cette vie, les rétributions pénales qu’elle a décrites pour l’autre.

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