Il imita les mouvemens de Pindare ; mais, à l’exemple d’Horace, il sut captiver l’enthousiasme sous le joug de la raison, de sorte que le désordre est chez lui un effet caché de l’Art ; qualité bien préférable à cette impétuosité fougueuse, plus semblable au délire, qu’à la chaleur du vrai génie. […] Sa conversation & ses manieres ne se ressentoient en rien du génie de sa Muse. […] C’eût été grand dommage assurément, mais c’en est un plus grand encore, qu’un tel Génie fût si foible contre un reproche si léger.
Préface Les essais qui forment ce livre sont consacrés à six écrivains de nationalités diverses, introduits, accueillis et devenus célèbres en France pendant ces cinquante dernières années et qui marquent ainsi un des traits particuliers de l’histoire de notre littérature : l’influence qu’y ont exercée des auteurs étrangers de race, de langue, de tournure d’esprit à tout ce que l’on considère comme le propre du génie gallo-latin. Ce furent quelques classiques au XVe siècle, les Italiens et les Espagnols au XVIe , quelques classiques encore au XVIIe , quelques philosophes et romanciers anglais au XVIIIe , et à l’époque du romantisme, les grands génies germaniques de Shakespeare à Goethe et Byron, qui opérèrent cette fois une évolution décisive. […] Il faut croire qu’à diverses périodes, ces œuvres, et celles qui en ont été inspirées, ont mieux satisfait les penchants d’un nombre notable de lecteurs français que les œuvres véritablement du terroir ; qu’en d’autres termes la littérature nationale n’a jamais suffi, et aujourd’hui moins que jamais, à exprimer les sentiments dominants de notre société, que celle-ci s’est mieux reconnue et complue dans les productions de certains génies étrangers que dans celles des poètes et des conteurs qu’elle a fait naître.
La nature donne tout cela parfois aux génies supérieurs dès leurs premières œuvres. […] Nous ne disons pas du monde chrétien, car le chef-d’œuvre de Gœthe est peut-être son Divan, dont l’inspiration, comme on le sait, est orientale, et qui est un tour de force de cette impersonnalité des grands génies qui les fait s’incarner, par la pensée, dans l’âme la moins semblable à la leur. […] Mais tout cet archaïsme coûte plus qu’il ne vaut même à ceux qui savent y porter des facultés supérieures, et, malgré le succès de ses expériences, on sent la déperdition des forces colossales que le magnétisme du Génie doit employer, comme l’autre magnétisme, pour faire vivre ce qui ne vit plus.
Tout était faux, ou calomnie cruelle, dans ces accusations contre ce beau et infortuné génie. […] Ce n’est pas ainsi que procèdent le génie et la nature. […] Il était inégal comme le génie ; le génie est capricieux comme l’inspiration. […] Molière et Racine n’étaient point amis ; leurs caractères ne différaient pas moins que leurs génies. […] C’est le caractère du génie.
C’est le secret de la disproportion singulière qui se remarque entre son œuvre et son génie. […] Il fut, par essence, un génie rare. […] On ne le sent pas assez, le génie a son prix. […] Elles ont aimé en lui un grand écrivain dont le génie vibrait à leur haleine. […] Mais de son génie de styliste il se défie plus encore que de son imagination dramatique.
Tout ce qu’il y avoit alors en France d’écrivains de génie se trouva diffamé. […] Le nom de Grand, qu’on lui donne, caractérise l’idée qu’on a de l’élévation de son génie. […] A l’égard de ses épigrammes, de celles même qui sont le plus licencieuses, elles portent l’empreinte de son génie. […] On ne voyoit aucune autre plume d’où le fiel pût ainsi couler de source & annoncer autant de génie. […] L’accusation étonneroit moins, si elle ne regardoit pas un homme de génie.
Un homme de génie, & qu’on a vu remplir une des premières places du ministère, dans la préface de sa traduction en prose des essais de Pope sur la critique & sur l’homme, blâme la liberté qu’on avoit prise d’ôter quelque chose au Gulliver. […] Il est certain pourtant qu’il y a des vers de génie, & d’une vérité frappante dans cette traduction en vers de l’Essai sur la critique, ouvrage dont on parle en Angleterre, comme on parle en France de notre art poëtique. […] « Ce n’est là qu’une imitation basse, qui, par une fidélité trop scrupuleuse, devient très-infidèlle : pour conserver la lettre elle ruine l’esprit ; ce qui est l’ouvrage d’un froid & stérile génie. » A force de vouloir être exact, ajoutoient-ils, on n’est que plat & sec, on se fait un stile le plus souvent confus, entortillé. […] Ce qui fait, dit-il, que les grands poëtes de l’antiquité ont été traduits en vers avec beaucoup de succès chez nos voisins, & ridiculement chez les François, c’est la différence du génie des langues, La nôtre ne sçauroit se plier à rendre les petites choses ; à nommer, sans causer du dégoût (tant nous sommes des Sybarites dédaigneux & difficiles) les instrumens des travaux champêtres & des arts méchaniques. […] Le commun ne se doute pas qu’il faille du travail & du génie.