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1231. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

On ne le trouve cultivé et florissant qu’aux époques de forte poésie. » Pour nous, le symptôme est différent : le Sonnet si vanté, à cause de la difficulté vaincue, chez un peuple qui a toujours aimé à vaincre la difficulté, n’est que l’amusette des sociétés qui jouent aux petits jeux de la littérature… Ni les grands noms de Shakespeare, de Milton, de Corneille, de Machiavel, de Pétrarque, qui ont splendidifié ce monde de poésie, si écourté et presque puéril, ne me troublent et ne m’imposent. […] IV Le livre des Sonnets humouristiques est divisé en plusieurs livres, composés, à leur tour, d’un nombre déterminé de sonnets, et ces différents livres, dont nous donnerons seulement les noms, parce qu’en donnant ces noms on donne aussi les teintes de l’imagination qui les a écrits, s’appellent : Pastels et Mignardises, — Paysages, — Éphémères, — Les Métaux, — En train express, — L’Hydre aux sept têtes, — Les Papillons noirs, — et déjà, à ne considérer que ces grandes divisions de l’œuvre des Sonnets humouristiques, on entrevoit la forte originalité de l’esprit qui a concentré tant de vigueur dans de si petits espaces et sous un nombre si rare et si choisi de mots. […] Joséphin Soulary, qui a le riant des teintes, comme on vient de le voir, est bien plus profondément lui-même, quand il est grave, fort et poignant dans sa couleur âprement foncée, ainsi qu’on peut le voir dans ses Métaux, par exemple, ou dans son Hydre aux sept têtes, lesquelles ne sont rien moins que les sept péchés capitaux.

1232. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme de Girardin. Œuvres complètes, — Les Poésies. »

Mme de Staël, ce grand poète en prose, — comme on peut l’être en prose, — qui avait fait chanter Corinne, n’existait plus… Tout à coup, comme pour nous consoler de cette perte et pour la réparer, se mit à jaillir dans la vie (le mot n’est pas trop fort pour dire l’impétuosité de cette jeunesse) une jeune fille qui, elle, chantait de vraies poésies, car elle parlait cette langue des vers que rien, dans l’ordre poétique, ne peut remplacer. […] Elle fut aussi la Campistron d’Alfred de Musset dans La Faute du Mari ; mais elle ne le fut même pas de Molière dans Lady Tartuffe, comédie sans comique, écrite pour la tragédienne Mlle Rachel, mascarade d’un type d’homme qui ne peut jamais être un type de femme, car l’hypocrisie, odieuse dans l’homme parce qu’il est fort et qu’il n’a pas besoin d’être hypocrite, l’est beaucoup moins dans la femme, être faible, souvent opprimé. […] Théophile Gautier a comparé ce poème, perdu dès son apparition dans le bouquet de la poésie romantique, qui éclatait (dit-il) avec un fracas lumineux, à une bombe à pluie d’argent… et c’est là une image juste et charmante qui donne le coloris du poëme et son effet… Évidemment, c’est là de toutes les poésies de Mme de Girardin, l’œuvre la plus réussie et la plus forte.

1233. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Auguste Barbier »

Alors même qu’elle ne penserait pas que la poésie est la plus belle et la plus difficile des choses littéraires, alors qu’elle partagerait pour ce langage des dieux, méprisé des goujats, l’indifférence dédaigneuse des fortes têtes de son siècle, la Critique ne peut pas plus laisser inaperçu un livre de vers signé Auguste Barbier, qu’un poème de Lamartine et des recueils de poésies de Victor Hugo et d’Alfred de Musset. […] Si, avant de le donner, ce coup d’archet magistral et magique, le Paganini qui l’enlevait avec cette furie avait dû se faire fort par l’étude, les essais et les tâtonnements, le volume des Iambes n’en révélait rien. […] V Dans tous les cas, ce n’est pas une question nouvelle que cette infirmité des plus forts, proportionnelle, quand elle existe, à leur puissance.

1234. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Ce poète d’Anges, en effet, qui aima, dit-on, fort peu angéliquement la très peu angélique madame Dorval, n’était point un vaporeux Klopstock. […] Les forts, devant leurs pas, Trouvent un nouveau mont inaperçu d’en bas. […] Il y a dans ces Poèmes d’Alfred de Vigny, réunis sous ce nom général de : Destinées, des morceaux qui n’ont pas ce double caractère que je tiens surtout à signaler, et qui se rapprochent de la première manière de l’auteur, mais concentrée, mûrie, calmée ; d’une couleur moins vive, mais certainement d’un dessin plus fort : La Jeune Sauvage, La Maison du Berger, et surtout L’Esprit pur, poésie cornélienne, l’exegi monumentum du poète, dans laquelle, se mesurant à ses ancêtres, gens d’épée dont il raconte admirablement la vie de cour et d’armes : Dès qu’ils n’agissaient plus, se hâtant d’oublier : il se trouve plus grand de cela seul qu’il a mis sur son casque de gentilhomme : Une plume de fer qui n’est pas sans beauté !

1235. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Jean Richepin »

Il est athée, — mais en attendant qu’il ne le soit plus… Son livre est une lueur sur les fortes souplesses de sa pensée, et nous pouvons tout espérer de lui. […] Quoique le romancier voie les réalités, et, quand il s’agit de les nommer, ne barguigne pas, le cynisme de ce terrible Richepin, qui ne craignait pas autrefois d’être cynique, qui n’hésitait jamais devant l’expression et se jetait à corps perdu sur elle, n’a plus guères, dans tout ce livre, que quelques traits fort rares, et encore le romancier ne s’y arrête pas, ou, s’il les ose, le croiriez-vous jamais ? […] Richepin, ce fort contempteur, ce formidable gouailleur de La Chanson des gueux, l’athée Richepin, qui ne croit à rien, qui ne croit pas à la puissance divine de N.

1236. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

Sandeau, qui n’a jamais rien poussé bien fort devant lui, a tourné moelleusement sur ses gonds sans les faire crier, ni personne. […] Sandeau, ce débris de toutes les palettes n’est plus que le fantôme grimaçant et exsangue des fortes vivantes que nous avons admirées et que nous ne pouvons plus oublier. […] Tout cela manque d’ampleur, de mouvement, de fortes et abondantes entrailles.

1237. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Armand Pommier » pp. 267-279

Mais voyez avec quelle sobriété pleine et forte Shakespeare use de ce moyen physiologique à outrance pour arriver à des effets de terreur écrasants ! […] Évidemment, au dix-neuvième siècle, avec l’influence physiologique qui pleut sur nos têtes, avec l’empoignement de l’Imagination publique par ces questions de magnétisme contre lesquelles les plus forts d’entre nous vont à chaque instant se cogner, évidemment les romanciers et les poëtes (dramatiques ou non dramatiques) devaient avoir une autre manière de toucher à cette corde mystérieuse du système nerveux humain, dont le génie de Shakespeare a tiré une vibration si déchirante, rien que pour l’avoir effleurée ! […] … cet homme assez fort pour se mesurer avec ce phénomène étrange du somnambulisme, en restant un artiste humain, réel, et d’un effet aussi nouveau que le phénomène dont il saura le faire jaillir ?

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