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517. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Paix et la Trêve de Dieu »

Le point d’honneur avait tout créé dans cette société, ivre de sa force. […] Sans cesse et partout, à côté de la force militaire des grands féodaux, il aurait vu l’autorité des faibles coalisés dans la prière et prêtant le refrain unanime de leurs clochers à la parole désarmée de la houlette épiscopale. […] c’est la preuve de sa force, puisque les évêques n’avaient d’espoir qu’en elle, et que sans elle ils se déclaraient impuissants ! […] Assurément tout cela mérite d’être compté et apprécié par le critique, mais ne constitue pas néanmoins au livre d’Ernest Semichon l’immobile place que les livres vrais en histoire prennent de force dans les travaux d’une époque et ne perdent plus.

518. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Balzac »

que la force de la moralité dans un homme doublait la puissance de son esthétique. […] car les hommes n’ont pas assez de générosité intellectuelle pour s’incliner devant l’Esprit pur, réduit à sa seule force. […] Il avait écrit à jet continu plus de quatre-vingts volumes, parmi lesquels cette Comédie humaine dont il a dit, avec le légitime orgueil qui nous venge de tous nos désespoirs : « Jamais œuvre plus majestueuse et plus terrible n’a commandé le cerveau humain. » La persévérance enflammée de Balzac fut inextinguible… et dans l’ordre moral elle est tout aussi étonnante que sa force de production dans l’ordre intellectuel. […] Il ne la désarticule pas ; il s’infuse, au contraire, dans tout l’ensemble de l’existence, et il y répand la lumière, la force et la chaleur.

519. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

En touchant son sol, comme Antée en touchant la terre, sa mère, la force lui vint. La force de Byron, en effet, sa grâce, son mouvement, et je dirais presque la divinité anthropomorphite de sa poésie, tout est du plus pur grec qui ait jamais existé. […] Excepté dans Beppo, et dans quelques situations risquées de Juan, mais sauvées encore à force d’art (il venait delire les conteurs italiens et le caméléon qui est dans tout poète réfléchit une minute cette couleur), Byron, l’immoral Byron, comme on dit, avait l’imagination la plus chaste, et c’est là aussi un caractère charmant auquel on pense trop peu, de ce génie sans égal. […] C’est de l’éther qui s’embrase à force d’être concentré… Il aime son maître comme on aime Dieu !

520. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

Dieu, qui est un très grand peintre en arabesques et en toutes autres peintures, l’a composé d’entrelacements très contrastants et très singuliers… La force, en lui, — une force intellectuelle par moments immense, — tout à coup se fond en faiblesse. […] Par une contradiction que j’ose lui reprocher, par un de ces entrelacements étranges qui font de lui la plus inattendue des arabesques humaines, Ernest Hello a l’ambition extérieure de ses facultés et en voudrait, avec fureur, la gloire… Un penseur de sa force aurait de la grandeur à dédaigner la gloire, et un mystique comme lui devrait l’oublier ou ne pas même se douter qu’elle existe, et il raffole de cette misère ! […] Tour de souplesse dans le talent dont la Force n’est pas toujours capable, et qu’on pouvait très bien ne pas attendre d’un homme absorbé dans l’unité de ce mysticisme qui le fait ce qu’il est de si particulier dans la littérature contemporaine ; car je n’y connais pas de talent qu’on puisse, d’accent, comparer au sien.

521. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

Dans une époque comme la nôtre, sans force de principe et sans force de volonté, je sais bien que ce misérable type d’homme ou de femme à deux amours, indésouillable du premier, ayant pris corps avec cette fange, est le type commun et presque universel ; que c’est le cri du sang, de ce sang que nous avons gâté, et que de son temps tout romancier, qui en porte le joug comme un autre homme, peut jeter ce cri à son tour ! […] Quand on n’est pas de force à créer un type, il faut ajouter aux types connus que l’on emploie. […] Malot a eu la force d’écrire quatre cents pages sans nous révéler ce secret, mais le silence qu’il garde le trahit plus que s’il avait parlé… C’est un positif qui doit trouver le christianisme bien vague pour la fermeté de sa pensée.

522. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Armand Pommier » pp. 267-279

Mais la physiologie, cette grande étude des forces et des impondérables, n’est pas d’abord nécessairement matérialiste ; et, d’un autre côté, quoi qu’elle puisse être, c’est une science qui a la puissance des faits qu’elle affirme ou qu’elle recherche et dont on ne peut pas nous tenir compte, à l’heure qui sonne. […] C’est un bien et un très-grand bien, puisque c’était pour les romanciers, lassés de battre le jeu de cartes toujours de la même façon, une force inespérée, une source d’effets de plus. La Critique, qui doit tout comprendre et tout embrasser, excepté le faux, la Critique, qui doit même se réjouir de ce que la science ait investi l’art d’une force nouvelle, devait non-seulement applaudir à l’influence physiologique dans le roman, et dans le roman de la moralité la plus spirituelle, mais elle devait même encourager, sous toute réserve, le genre spécial du roman, qui allait fatalement tendre à se constituer, et qu’on peut appeler le roman purement physiologique. […] C’est une femme qui a la force musculaire du maréchal de Saxe, une beauté plus infrangible que celle de Ninon, qui n’alla modestement qu’à quatre-vingts ans en restant belle, la science occulte d’un Ruggieri, et la férocité voluptueuse d’un Héliogabale, avec une mysticité qui fait plus horreur que cette férocité voluptueuse, car les crimes spirituels sont les plus grands, l’Esprit devant être toujours à la tête de toutes les hiérarchies !

523. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

Ce livre, où les idées morales sont souvent profondes, où l’expression est quelquefois négligée, mais vigoureuse, où l’on voit partout une âme pleine d’humanité jointe à un caractère plein de force, peut à plusieurs égards être comparé à nos meilleurs livres de morale. […] et comment la simplicité d’un enfant timide couvrait-elle cette profondeur et cette force de génie ? […] La suite est un mélange de raison et de sensibilité, de douceur et de force ; c’est le sentiment qui sait instruire, c’est la philosophie qui sait parler à l’âme. […] Puisque la guerre durera autant que les intérêts et les passions humaines ; puisque les peuples seront toujours entre eux dans cet état sauvage de nature, où la force ne reconnaît d’autre justice que le meurtre, il importe à tous les gouvernements d’honorer la valeur.

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