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1759. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Duclos s’empare de ce fait, mais, à force de l’abréger, il en ôte le sens et la force : « L’épuisement des finances, dit-il, fit que le Dauphin, pour suivre le roi, emprunta de l’abbaye de Saint-Antoine de Vienne une croix d’or de deux marcs, ornée de quelques pierreries, qu’il mit en gage pour douze cents écus. […] Duclos historien n’a qu’un procédé, il n’est qu’un abréviateur ; il l’est avec trait, je l’ai dit, quand il a affaire à l’abbé Le Grand ; il l’est avec un certain goût et avec un adoucissement relatif quand il a affaire à Saint-Simon ; dans l’un et dans l’autre cas pourtant, il n’a pas toutes les qualités de son office secondaire, et il ne porte au suprême degré ni les soins délicats du narrateur, ni même les scrupules du peintre qui dessine d’après un autre, et de l’écrivain qui observe les tons : il va au plus gros, au plus pressé, à ce qui lui paraît suffire ; c’est un homme sensé, expéditif et concis, et qui se contente raisonnablement ; il a de la vigueur naturelle et de la fermeté sans profondeur ; nulle part il ne marche seul dans un sujet, et jamais il ne livre avec toutes les forces de sa méditation et de son talent une de ces grandes batailles qui honorent ceux qui les engagent, et qui illustrent ceux qui les gagnent. […] Qui que nous soyons et dans quelque genre que la vocation ou la destinée nous ait poussés, tâchons d’être de ceux-là ; tâchons, un jour ou l’autre, d’arriver à la perfection de ce qu’il nous est donné de faire, à la réunion de toutes nos forces, à la plus haute puissance de nous-mêmes : et, comme cette heure et cet accident de grâce et de lumière n’est pas en notre pouvoir, tenons-nous prêts et montrons-nous-en dignes en y visant constamment.

1760. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Il y a de la force dans cette vue-là, soit qu’on l’ait comme Joseph de Maistre en son belvédère de Savoie ou de Lausanne, soit qu’on l’ait comme Saint-Martin de plus près et à bout portant. […] Il se pose nettement au nom des spiritualistes contre les idéologues : « Les spiritualistes, dit-il, sont spécialement et invariablement opposés aux idéologues qui voudraient que nous fissions nos idées avec nos sensations, tandis qu’elles nous sont seulement transmises par nos sensations. » Il attaque l’idée matérialiste qui est le fond de la doctrine adverse, et la force à reculerg. […] [1re éd.] et la force de reculer.

1761. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Il n’a point cherché de ces effets qui renversent d’abord ; les choses neuves qu’il a à nous apprendre sur le règne de Henri IV, il ne les a demandées qu’à des séries de faits soigneusement assemblés et rapprochés avec méthode, avec force. […] Mayenne, sentant sa faiblesse, entra donc en arrangement avec l’Espagne, d’abord à demi ; mais la journée d’Ivry (14 mars 1590), où ses forces jointes aux auxiliaires espagnols furent défaites, acheva de le convaincre qu’il lui fallait pour se maintenir un plus vigoureux appui d’au-delà des monts. […] Quand le soleil, sur les six heures du soir, commençait à perdre la force de ses rayons, on nous menait promener vers le champ des moissonneurs, et ma mère y venait aussi bien souvent elle-même, ayant toujours mes sœurs et quelques-unes de mes tantes avec elle… Elles s’allaient toutes reposer en quelque bel endroit d’où elles prenaient plaisir de regarder la récolte, tandis que nous autres enfants, sans avoir besoin de ce repos, nous allions nous mêler parmi les moissonneurs, et, prenant même leurs faucilles, nous essayions de couper les blés comme eux… Après la moisson, les paysans choisissaient un jour de fête pour s’assembler et faire un petit festin qu’ils appelaient l’oison de métive (c’est le mot de la province) ; à quoi ils conviaient non seulement leurs amis, mais encore leurs maîtres, qui les comblaient de joie s’ils se donnaient la peine d’y aller.

1762. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Et nous-mêmes qui savons le fort et le faible, qui vous avons vu naître, briller et mourir, nous y applaudirons et nous y applaudissons déjà, à ce commencement d’illusion, parce qu’après tout votre renommée charmante, si elle dépasse un peu vos œuvres, ne fera pourtant qu’égaler votre génie, — ce que ce génie aurait été si vous en aviez daigné pleinement user et en artiste plus maître de sa force […] Ces érudits allemands, à force d’étudier, ne doutent de rien. […] Je ne saurais, je l’avoue, admirer beaucoup cette prose symétrique dans laquelle la rime donne le mot, de gré ou de force, et tire tout à soi ; mais enfin le premier mouvement, l’accent et, pour ainsi dire, le geste sont là.

1763. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

… Plus je reviens sur les émotions qu’elle m’a fait éprouver, plus elles prennent de force, et je me sens tout jeune. » Si la verve et l’enthousiasme, si le mouvement naturel de poésie, si le coup de soleil de l’imagination n’est pas là sensible, je ne sais plus où les trouver. […] Voilà ce qui fait la force de la France ; c’est ce champ ouvert à toutes les capacités, pour tirer parti d’elles-mêmes à leur profit. » N’est-ce pas bien vu et bien pensé ? […] L’abondance du flot et la force du courant m’ont emporté.

1764. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Toutefois Malouet pensait qu’en général la pièce avait un ton de censure et une force de logique qui devait produire un grand effet, émanant d’un philosophe aussi célèbre. […] Chapelier, qui, à l’exemple de Barnave, ne demandait pas mieux que d’entrer dans cette voie de transaction et qui en avait pris même l’engagement secret à la veille de l’ouverture des débats pour la révision de l’acte constitutionnel, fut le premier à y manquer quand on fut à la tribune ; il y manqua, parce qu’on n’est pas libre de rétrograder quand on marche en colonne, parce que la force des choses en ces moments domine les volontés particulières ; parce qu’il y a courant et torrent irrésistible au dedans des assemblées comme au dehors ; parce que les mêmes hommes ne peuvent pas jouer deux rôles opposés à quelques mois d’intervalle devant les mêmes hommes, devant les mêmes murailles ; parce que l’esprit même y consentant, la langue tourne et s’ refuse ; parce que les murs, à défaut des fronts, ont une pudeur ; parce qu’enfin les uns se lassant, d’autres tout frais et tout ardents succèdent, qui ne permettent pas ces petits compromis particuliers avant le complet déroulement des principes et l’entier épuisement des conséquences. […] Louis xviii le fit ministre de la marine ; mais les forces du fidèle serviteur étaient à bout, et Malouet mourait bien avant la fin de cette année 1814 (6 septembre).

1765. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Mais Du Bellay ne pouvait deviner une science de linguistique qui ne datera que du xixe  siècle, et il est peut-être bon que la force humaine, la faculté d’initiative de chacun s’exagère sa vertu et son pouvoir pour arriver et atteindre à tout son effet, à tout son talent. […] Que s’il y a retard au perfectionnement, c’est une garantie de plus pour la force et la durée ; si la langue française a été plus lente à mûrir, elle en sera plus vivace, plus robuste, de même que les arbres qui sont lents à se décider et qui « ont longuement travaillé à jeter leurs racines ». […] Enfin, après tout cela, il n’a plus qu’à emboucher la trompette, exhortant de toutes ses forces les Français de son temps à partir pour la grande croisade française, et à marcher derechef, en vrais enfants des Gaulois, à la conquête de Delphes et du Capitole.

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