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1195. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

Elle n’ébranle pas l’âme de secousses trop vives ; elle ne la force pas à sauter brusquement d’un ordre de sentiments à un autre. […] La poésie descriptive, à son tour, essaie ce tour de force : peindre les choses en termes généraux, abstraits, incolores et nobles ; elle déguise ce qui est rustique sous des périphrases semblables à des manteaux de cour ; la mythologie couvre d’oripeaux de pourpre les vulgarités de la vie campagnarde, et voilà comme les blés se transforment en trésors de Cérès, la vache en Io, la chèvre en Amalthée, la bergère en Amaryllis. […] Si nous passons à l’épopée, Voltaire, dans la Henriade, s’épuise en tours de force semblables, quoique un peu moins malheureux, pour faire entendre, sans user des mots du langage courant, la messe et le mystère de l’Eucharistie. […] Qui sait si ce n’est pas dans ces foyers d’agitation philosophique que les écrivains du temps apprirent à se serrer les uns contre les autres, à former malgré leurs querelles un parti compact, à concentrer leurs forces éparpillées dans cette œuvre énorme et collective que fut l’Encyclopédie ?

1196. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Peut-être que tel illustre personnage disposant, à force d’argent, de la publicité du Figaro ou de quelque autre journal à grand tirage, affectera de suspecter la valeur des opinions émises par la Revue Wagnérienne… S’il y a pour de l’orgueil à revendiquer l’importance de la Revue Wagnérienne, ce péché d’orgueil, je l’admets ; et, dans cette première et (je l’espère) unique occasion, je demande la permission de réclamer tous les droits que je crois dûs à la Revue. […] Berlioz, meurt, honni : et tout à coup l’on s’aperçoit que c’est lui le victorieux ; Manet s’en va, dans la force de son talent, et, en réalité, c’est M.  […] J’honore en Beethoven celui qui a éveillé en moi la passion pour l’art et pour ses plus sublimes buts ; dès lors il a été mon étude et comme je me sens la force de parler dignement sur ce sujet enthousiasmant, j’ai pris la résolution intime d’écrire l’histoire de sa vie. […] Il a donc fallu en un an faire ce tour de force de donner la Tétralogie ; et musiciens et chanteurs y ont mis une ardeur étonnante.

1197. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Il est donc démontré que la très grande partie des hommes (et surtout des femmes, dont l’imagination est double) ne saurait être incrédule, et pour ceux qui peuvent l’être, ils n’en sauraient soutenir l’effort que dans la plus grande force et jeunesse de l’âme. […] Il ajoutait encore que l’incrédule, celui qui persiste à l’être à tous les instants, fait un vrai tour de force ; qu’il ressemble à « un danseur de corde qui fait les tours les plus incroyables en l’air, voltigeant autour de sa corde ; il remplit de frayeur et d’étonnement tous les spectateurs, et personne n’est tenté de le suivre ou de l’imiter ». […] En fait de politique, il avait coutume de dire : « Les sots font le texte, et les hommes d’esprit font les commentaires. » Les livres comme ceux de l’abbé Raynal (Histoire des deux Indes) lui faisaient pitié au fond : « Ce n’est pas mon livre, disait-il ; en politique je n’admets que le machiavélisme pur, sans mélange, cru, vert, dans toute sa force, dans toute son âpreté. » Ce machiavélisme dont il était imbu et qu’il affichait beaucoup trop, il l’a pratiqué jusqu’à un certain point. […] Il fallut l’en arracher, sans quoi il n’eût pas eu la force de partir.

1198. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

À dix-neuf ans, Maury, animé d’ambition et plein de confiance en ses forces, déclara à ses parents qu’il voulait aller à Paris tenter la fortune. […] Mais son organisation, même dans sa fougue, ne se laissa jamais détourner du travail opiniâtre qui devait le conduire au but : Cet auteur est une preuve, a dit La Harpe (son rival), de ce que peut le travail obstiné et la force des organes… Il était né avec de l’esprit, et, se levant tous les jours à cinq heures du matin, étudiant jusqu’au soir, il avait acquis des connaissances littéraires. […] À cette date de 1787, l’abbé Maury, qui avait passé la quarantaine, doué d’un talent actif et robuste, d’une faculté puissante, propre à tout, et d’une grande force d’application, en cherchait l’emploi du côté de la politique, qui commençait à agiter tous les esprits. […] Bossuet encore était aisé, ce semble, à saisir et à manifester, à cause des éclairs qui signalent sa marche ; mais Bourdaloue, plus égal et plus modéré, nul ne l’a plus admirablement compris et défini que l’abbé Maury, dans la beauté et la fécondité incomparable de ses desseins et de ses plans, qui lui semblent des conceptions uniques, dans cet art, dans cet empire de gouvernement du discours, où il est sans rival, « dans cette puissance de dialectique, cette marche didactique et ferme, cette force toujours croissante, cette logique exacte et serrée, cette éloquence continue du raisonnement, dans cette sûreté enfin et cette opulence de doctrine ».

1199. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Son édifice deviendrait aisément immense si le temps, les matériaux et la tranquillité d’esprit ne lui manquaient pas : « C’est ainsi que je file ma soie, dit-il ; j’en verrai la fin avec celle de mes forces. » Cette vie, bien que mélancolique, lui plairait assez si elle pouvait durer. […] Il n’a pas encore épuisé toute sa force d’aventure et de jeunesse, et il est bon qu’il aille dans cet hémisphère nouveau pour y faire ses couleurs et y achever sa palette de peintre. […] Les pages que Bernardin a écrites sur lui sont peut-être ce qui donne la plus simple et la plus naturelle idée du personnage et de son caractère : car, à force d’écrire sur Rousseau, on finit, ce me semble, par l’alambiquer terriblement et le mettre à la torture. […] J’ai à mettre en ordre des matériaux fort intéressant, et ce n’est qu’à la vue du ciel que je peux recouvrer mes forces.

1200. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre I. Après la mort — Shakespeare — L’Angleterre »

La mort est une force. […] Eh bien, cet abaissement, cette peine, cette servitude, cette infirmité, c’est la force. La force suprême, l’Esprit. […] L’insularisme est sa ligature, non sa force.

1201. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

Impuissant à conquérir, par ses propres forces, même une célébrité départementale, Minoret voulait pourtant donner la pâtée à son amour-propre qui criait la faim. […] D’abord, il fit mine de se diriger vers l’autre extrémité de la salle, mais, la force de l’habitude l’emportant, il tourna lentement sur sa canne et son parapluie, — et vint s’asseoir tout à côté de moi, à la table accoutumée. — N’y aurait-il pas des attractions irrésistibles entre certains objets et certaines personnes ? […] — Tout indigène convaincu de puberté est incorporé — de gré ou de force — dans une société savante ou académie. […] Et le jeune Anacharsis est assez fatigué d’avoir couru la Grèce, sans le traîner de force en Allemagne !

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