Je ne cherche ni à incendier ni à éblouir : je cherche à adorer, à travers la nature et la foi (car je suis chrétien par le lait de ma mère), je cherche à adorer l’Auteur infini de cette nature ; ma poésie n’est que ma prière, mon enthousiasme n’est que mon encens. […] Si quelqu’un pouvait faire une épopée évangélique par la foi et par le talent, c’était M. de Laprade ; mais nul ne peut faire qu’une doctrine soit une poésie, ou qu’une morale soit un drame. […] Vous saurez, comme nous, malgré la loi commune, Porter le cœur toujours plus haut que la fortune, Un cœur qui dans sa foi jamais ne se dément ; Et, de votre œuvre, à vous, quel que soit l’instrument, Ou le fer, ou la plume à mes doigts échappée, Tout sera dans vos mains noble comme l’épée.
Pour le grec, dont l’étude a été le premier travail de la Renaissance, il n’en sut pas davantage que les moines ; et leur article de foi, Graecum est, non legitur, aurait pu être sa devise. […] Il n’y fait allusion qu’en un seul endroit, dans un dizain où il se prononce pour la doctrine orthodoxe du mérite des œuvres : La foi sans œuvre est morte et endormie. […] L’immortalité, pour le chef de la Pléiade, ce n’est pas l’espoir timide et obscur de la récompense après le labeur, ni un transport extraordinaire, un jour, que la muse a été plus souriante107 ; c’est une assurance habituelle et comme une foi sans vivacité, parce qu’elle est sans défaillances : Les vers qu’il m’a plu de dire Sur les langues de ma lyre Vivront, et, superieurs Du temps on les verra lire Des hommes postérieurs ; Sus donc Renommée, charge Dessus ton espaule large108.
Vous fûtes un poète, un soldat, le seul Roi De ce siècle où les rois se font si peu de chose Et le martyr de la Raison selon la Foi. […] Elle y fut aidée par la réforme de Luther, dirigeant les âmes vers une foi aimante, tout cordiale. […] C’est, dans la Passion suivant Saint-Mathieu, limitant des récitatifs qui recréent, comme des mots, l’émotion religieuse, c’est le chœur initial et le chœur final : l’emportement raisonnable et sincère d’un peuple, l’hymne de la foi nouvelle, nullement luxurieuse ou mystique : une ferveur discrète, infinie.
Amour et foi suprêmement épurés par la dissipation de tous les nuages de l’esprit, par le rejet de toutes les fables superstitieuses, et où ce serait déjà quelque chose que d’avoir désiré se hausser, ne l’eût-on pas pu, comme à ce qui donne seul à la nature humaine un prix décisif. […] Le fond réel et vivant de leur foi, c’est qu’il y a une puissance souveraine qui a les yeux sur l’homme, qui veille sur lui, et qui, dans le conflit universel de l’iniquité et de la justice, réserve à la justice le dernier mot. […] Pour moi, la réelle idée de Dieu, c’est le plus ou moins de foi, foi en nous, foi en la valeur de la vie et de l’œuvre humaine, que notre âme trouve dans son fond à opposer aux mille motifs que le spectacle de l’humanité et de l’existence, telles qu’elles sont, pourrait nous fournir de nous asseoir au bord du chemin, de ne chercher que notre divertissement éphémère, de nous désintéresser de tout. Des synonymes métaphysiques, même nouveaux, n’ont rien qui puisse raviver cette foi. […] Que Joseph Delteil ait sa place élue et définitive parmi les inspirés de cette forte Muse aux gros bras, il serait téméraire de l’affirmer sur la foi de ce seul livre dont la truculence n’est pas toujours sans affectation.
Il a, — déjà, — la piété sans la foi. […] Cette perversion de l’amour maternel pouvait avoir pour complice la foi religieuse. […] Mais alors, il était indispensable qu’Emma Olson nous fût présentée comme une personne d’une foi ardente, d’une foi égale, par son intensité, à celle du Torquemada de Victor Hugo, si vous voulez. […] Mon père allait trahir sa patrie et sa foi ! […] et de peu de foi.
Dans La Guerre et la Paix, le prince André Bolkonsky, ardent, aigu, tenace avec la sentimentalité secrète des penseurs amers, est mené du tumulte des champs de bataille à l’activité verbeuse des salons politiques, séquestré dans son bien, enlacé dans un délicat amour, perdu par le dédale de croyances abandonnées et reprises, mêlé à mille événements historiques et intimes, agité de pensées et d’émotions innombrables jusqu’à ce que, blessé mortellement, il paraisse, en sa longue agonie, dans le déchirement de tous les voiles, entrevoir la solution de toutes les détresses, pour s’éteindre comme distrait de cette terre par de formidables intuitions ; le prince Pierre, lourd, énorme, charnu et charnel comme un animal, mais sourdement miné des mêmes inquiétudes, épris et déçu des hommes, jeté hors de lui-même par les systèmes théosophiques et religieux qui l’attirent tour à tour, s’abandonne à ses poussées de foi et d’appétits, s’appesantit de la grosse sensualité de ses compagnons de club, jusqu’à ce que, dans le trouble de Moscou pris, s’affolant confondu dans la foule et frôlant la mort, il rencontre, parmi les prisonniers auxquels il s’appareille, un pauvre hère de doux soldat paysan qui le console et le met pour toujours en paix par quelques simples mots de bonté, crise dont il émerge presque guéri, heureusement marié, mais avec on ne sait quel désarroi brouillon encore dans un esprit mal dégrossi et aventureux aux hasards politiques. […] Plus assidûment encore et avec de plus harcelants malaises, le prince Pierre Bezonkhof, inquiet et se dégoûtant des grosses jouissances dont il essaie de tromper ses besoins spirituels de foi, se lance de-ci de-là à la recherche d’une règle, d’un mot magique qui donne quelque sens à ses actes, et rencontre en plein désespoir, un singulier personnage qui lui parle de Dieu et de la vie future selon les formes de la franc-maçonnerie ; il se jette dans cette secte pour reconnaître promptement l’inanité de sa philosophie et de sa morale, retombe dans sa morosité et ses débauches quand à l’approche de l’année française il est témoin de la forte certitude, de la foi et de la joie qui animent les masses populaires et les armées ; pris de contagion, enflammé d’un patriotisme fumeux, il quitte son palais, se môle à la populace, conçoit un instant le dessin d’assassiner Napoléon ; une conversation dissipe ce transport de férocité, il se fait horreur devant l’exécution de quelques-uns de ses compagnons, et froissé, prostré, éperdu, rejoint une troupe de prisonniers, où l’existence de pauvre qu’il mène, cette vie de résignation et d’insouciance l’apaisent peu à peu et l’ouvrent aux humbles paroles d’un petit soldai paysan, familier, doux et sensé ayant sur lui quelque chose de la bonne fraîcheur de la terre. […] Comme Lévine, il a rencontré sur sa route un pauvre d’esprit dont les paroles ont retenti dans son cœur, comme une voix intérieure, et ce Slave dont l’âme violentée et repoussée par les durs dogmes de la science occidentale, demandait au monde plus de bonté qu’il n’en contient, cet aristocrate, cet homme de fortune, ce grand écrivain s’est retiré à la campagne, écrit des contes pour les moujiks, s’adonne à des travaux manuels, fait des souliers et raccommode des poêles, donne son bien en aumône, prêche la vie populaire, le refus du serment, le pardon des injures, l’union avec une seule femme, interdit le divorce, le service militaire, la violence, la résistance aux méchants, les injures et menace de fonder une nouvelle secte de gens scrupuleux et troublés dont il sera le patriarche, devenu aujourd’hui un grand vieillard de soixante ans, les cheveux longs rejetés en arrière du front creusé de profondes rides, au-dessus des yeux plus caves, mais fermes, inébranlablement fermes, les joues creuses autour du large nez et ployant sur de massives pommettes, la bouche droite, saillante et close, au milieu d’une longue barbe blanche tombant sur de larges épaules, l’air vénérable et sûr, de la certitude de ceux qui ont cru à jamais ; l’air noble et d’une joie austère, de la joie de ceux qui sont affermis dans leur foi.
Le cas de Dostoïewski est extrêmement instructif pour l’histoire de celle forme de la foi et de la foi en général. […] Chez Tolstoï, dont la foi religieuse bien que fort vive n’est pas à proprement parler mystique, puisque sa religion est un système rationnel et qu’il croit à un triomphe sur terre, ou peut cependant ramener clairement l’origine des pensées qui le lui ont fait adopter à une prédominance graduelle de la sensibilité sur les facultés de perception, qui pourtant étaient chez lui énormes, et sur les facultés d’idéation qui étaient plus faibles. […] S’ils sont croyants, ils se réfugient dans la religion, mais non pas dans la foi calme et aussi rationnelle que le comportent ses mystères.