J’ai dit déjà plus haut que le prêtre dont il a fait la figure capitale et centrale de son roman avait cette originalité de rester prêtre, au milieu des turbulences et des craquements de l’homme que la passion secoue. […] Exemple encore : toutes les figures secondaires de cette œuvre, où la Comédie, malgré le Drame, est en dominance, et entre autres cette excellente tête du baron Claudius, cette figure si moderne, qui fait de la haute politique en s’occupant d’assiettes cassées et parle de transformations sociales en cherchant de vieux pots… C’est vraiment parfait ; nous l’avons tous rencontré, ce fantoche. C’est comme une fleur de ridicule bien épanouie et que l’auteur a glissée entre les grandes figures sérieuses de son livre, pour nous dérider, et on la respire en riant, cette violette… Quelle trouvaille de comédie !
Mais de leur temps les tranpositions vicieuses étoient à la mode, l’abus des mots étoit autorisé, et l’on les emploïoit sans égard à leur signification propre, soit dans des épithetes insensées, soit dans ces figures dont le faux brillant ne presente point une image distincte. Il est si vrai de dire que ce sont les jeux de mots et l’abus des métaphores, qui, par exemple, défigurent la prose de Sidonius Apollinaris, que les loix faites par Majorien et par d’autres empereurs contemporains de cet évêque, paroissent faites du temps des premiers Cesars, parce que les auteurs de ces loix astreints par la dignité de leur ouvrage à ne point sortir d’un stile grave et simple, n’ont pas été exposez au danger d’abuser des figures et de courir après l’esprit. […] Ainsi, soit que le stile dans lequel nos bons auteurs du temps de Louis XIV ont écrit, demeure toujours le stile à la mode, je veux dire le stile dans lequel nos poetes et nos orateurs tâchent de composer, soit que ce stile ait le sort du stile en usage sous le regne des deux premiers Cesars qui commença de se corrompre dès le regne de Claudius, sous qui les beaux esprits se donnerent la liberté d’introduire l’excès des figures en voulant suppléer par le brillant de l’expression à la force du sens et à l’élegance simple où leur génie ne pouvoit pas atteindre ; je tiens que les poetes illustres du siecle de Louis XIV seront comme Virgile et comme l’Arioste, immortels sans vieillir.
On executoit ces airs avec des luths, des theorbes et des violes qu’on mêloit à quelques violons, et les pas et les figures de ballets composez sur les airs dont je parle, étoient lents et simples. […] Il fut obligé de composer lui-même les pas et les figures de l’entrée de la chaconne de Cadmus, parce que Beauchamps qui faisoit alors ses ballets, n’entroit point à son gré dans le caractere de cet air de violon. […] La danse est aujourd’hui divisée en plusieurs caracteres, si je ne me trompe, les gens du métier en comptent jusques à seize, et chacun de ces caracteres a sur le théatre des pas, des attitudes et des figures qui lui sont propres.
Dans quelque temps que ce pût être, cette grande figure historique, enfoncée et comme perdue en des chroniques qu’on ne lit plus, mais entrevue d’abord et finalement déterrée, aurait passionné de sa beauté singulière toute imagination qui serait restée poétique sous les formes sévères et sobres de l’histoire et de l’érudition. […] dès la première ligne de son ouvrage, l’éloquent historien en convient, du reste : « A côté de la puissante figure de Grégoire VII, il en est une — dit-il — qui semble s’effacer d’elle-même et se mettre pieusement dans l’ombre où les historiens l’ont laissée… » Et après un rapide coup d’œil sur ce qui restait de l’empire de Charlemagne et de la domination allemande au temps de Mathilde, comme pressé et presque haletant d’arriver au grand homme qui d’un geste arrêta l’empereur et toute sa féodalité derrière lui aux portes de l’Église épouvantée, il s’adresse, dès la page 4, la question brûlante : « D’où venait cet homme qui, de son autorité, se rangea parmi les maîtres du monde, et dont le nom est un des noms les plus retentissants du passé ? […] La peur de l’absolu, qui a fait se taire Villemain devant cette figure surnaturelle de Grégoire à laquelle il ne touchera pas (et ce livre-ci nous en console), la peur de l’absolu a-t-elle troublé un esprit fait pour le regarder sans en pâlir ?
Vous revoyez passer la figure déjà dessinée, les mêmes détails, entre lesquels il est bon de ne pas oublier la mort philosophique, sans confession, et le petit éloge de la femme de Marat, épousée devant le soleil et la nature, de cette femme dévouée dont l’Histoire n’aurait jamais parlé sans Michelet. À côté de ces figures d’une gloire officielle, l’historien des Femmes de la Révolution nous en montre d’autres entourées d’un nimbe moins éclatant et moins large. […] Ainsi encore, après Théroigne de Méricourt, une figure moins terrible, une sainte plus douce, mademoiselle Kéralio, madame Robert, une fille noble, mal mariée, devenue ambitieuse, et tombée, à force d’abjection et de folie, dans le mépris de madame Roland, et si bas que Michelet, ému jusqu’aux entrailles dans la personne de cette petite madame Robert, se risque à protester contre le portrait déshonorant qu’en fait madame Roland dans ses Mémoires : « Ce qui prouve — ajoute-t-il mélancoliquement — que les plus grands caractères ont leurs misères et leurs faiblesses !
Guy Livingstone est le frère du Giaour, de Lara, de Conrad le Corsaire, moins coupable sans doute que ces sombres figures de la Force blessée au cœur et qui continuent de vivre avec la fierté de la Force jusqu’au moment où, d’un dernier coup, Dieu les achève… C’est un héros de Lord Byron resté au logis (at home), dans son ordre social, qui a été très bon pour lui et qui lui a donné à peu près tout ce que l’ordre social peut donner : la naissance, la fortune, l’éducation, les relations, tout ce qui s’ajoute à la force individuelle dans un pays où l’ordre social est si bien fait qu’un homme s’y dira, avec la certitude qu’on n’a jamais ailleurs, dans les pêles-mêles que l’on prend pour les sociétés : « Je nais ici, et c’est là que je puis mourir. » Comme les héros de Lord Byron, Guy Livingstone est un de ces Puissants taillés pour l’Histoire, et qui les jours où l’Histoire se tait, — car il y a de ces jours-là dans la vie des peuples, — débordent de leur colosse inutile le cadre de la vie privée. […] La Bible, — cette éducation de l’Angleterre, ce livre grand et terrible où le Dieu jaloux frappe Satan, l’autre jaloux, — la Bible a empreint pour jamais l’imagination anglaise de sa grandeur et de sa terribilité, et c’est elle que je vois rayonner de son feu sombre et âpre aussi bien dans Richardson, qui a fait Lovelace, que dans Milton, qui a fait Satan ; aussi bien dans ce nouvel écrivain qui ajoute dans Livingstone une grande figure à ces grandes figures aimées et hantées par l’imagination de son pays, que dans ce Byron dont il est l’enfant intellectuel.
Elle retourne malaisément les médailles qu’elle a gravées pour les frapper dans un autre sens et en compléter la figure. […] À côté de cette découverte et de cette interprétation qui nous fait voir une grande figure sous un angle oublié, nous n’avons rien trouvé dans ces trois volumes d’un mérite égal et d’un charme aussi pénétrant. […] Aussi, dans son livre, quoique vous y voyiez passer les figures qui sont les éternelles tentations des peintres d’histoire : Richelieu, Mazarin, Louis XIV, le Grand Condé, saint Vincent de Paul, — j’allais presque dire saint Turenne, car ce grand converti de Bossuet, avant qu’un boulet de canon l’envoyât à Dieu, pensait à y aller autrement en se retirant à l’Oratoire, — tous ces personnages, tous ces grands hommes, n’y existent que dans le rapport qu’ils ont directement avec Bossuet.