/ 1984
272. (1894) Textes critiques

Mais vite il s’anime pour énumérer chaleureusement la foule des poètes contemporaines, depuis les deux maîtres de cœur et d’art, Verlaine et Mallarmé, mis à part, et feu Jules Laforgue, jusqu’à Henri de Régnier, Verhaeren et Gustave Kahn. […] De Chaudet (ordre alphabétique car, fors des connus, nul nom ne saille, et ceux-là par habitude on en parle moins) le Champ de Blé Noir, par un brûlant soir d’orage ; les cônes du blé couvent le feu des charbonniers. […] Les Néo-impressionnistes renouvellent leur exposition10 : Le Pont et les quais de Port-en-Bessin, sous une pluie de sable de grève gros, et l’entre-deux des dents de la scie renâclant des râpures de corne au métier de feu Georges Seurat n’ajoutèrent encore ni Signac ni Van Rysselberghe11. […] Aimer en même temps — d’un genre si différent — les musiciens de multiples études de Guiguet l’un surtout à la face de feu de Bengale et au dos moiré rosâtre de fuchsine miroitante ; — les Femmes au balcon sur des rues désertes ou passantes ; — le Forgeron (aujourd’hui chez Le Barc) heaume de cuir sphérique en capsule à qui aux yeux le courroux du feu souffle sa bave violette. […] On sait bien qu’ils écartent le feu comme tes mantes précisent les carrefours, mais que l’insecte roux voyageur en robe de tennis porta dans quelque autre coin l’amadou luisant de sa première gangue.

273. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Lorsque sa mère faisait sur lui ce signe de croix que la Philosophie n’a jamais pu effacer, Lyon, la cité des martyrs, la ville de saint Pothin, de saint Attale et de sainte Blandine, se mourait sous le fer et le feu. […] Sous sa main inspirée, c’est le Luther de la Wartbourg et de Worms, c’est l’évangéliste d’Eisleben ; puis aussi c’est le Luther de la famille, du coin du feu, du cabaret ! […] Il a l’enthousiasme, la sensibilité, une flamme qui s’enlace comme une spirale éthérée et lumineuse à tous les débris du passé, semblable à ce feu léger dont le poète couronne les cheveux du jeune Iule. […] C’est ainsi qu’Audin éteignit ou du moins modéra dans son Henri VIII, pour obéir à certaines influences, le feu de polémique qui brûlait dans son Calvin et dans son Luther, et qu’il affaiblit à dessein un des caractères de son talent, essentiellement militant. […] Ces premiers traits, jetés sur un papier que le vent du désert a tourné, et qui furent écrits sur le pommeau de la selle ou sur la pierre de quelque chemin écarté, ressemblent à ces quadri d’André Chénier, base de prose d’où sa poésie s’envolait, trépieds préparés afin que le feu du ciel pût y descendre.

274. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Charron fait consciencieusement son devoir comme controversiste, comme prédicateur ; il amasse ses preuves, il fait servir sa philosophie comme une espèce de machine ou de tour pour battre en brèche la place ennemie : puis, quand il estime que la brèche est suffisante, il ordonne et fait avancer ses preuves directes ; mais tout cela sans feu, sans flamme ; on sent toujours l’homme qui a dit : « Au reste, il faut bien savoir distinguer et séparer nous-mêmes d’avec nos charges publiques : un chacun de nous joue deux rôles et deux personnages, l’un étranger et apparent, l’autre propre et essentiel. […] … L’espérance, allumant de son doux vent nos fols désirs, embrase en nos esprits un feu plein d’une épaisse fumée, qui nous éblouit l’entendement, et, emportant avec soi nos pensées, les lient pendues entre les nues, nous ôte tout jugement, et nous fait songer en veillant. […] « Les désirs et cupidités s’échauffent et redoublent par l’espérance, laquelle allume de son doux vent nos fols désirs, embrase en nos esprits un feu d’une épaisse fumée, qui nous éblouit l’entendement, et, emportant avec soi nos pensées, les tient pendues entre les nues, nous fait songer en veillant.

275. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

De peur qu’elle ne tombât de si haut que le dos de ses bêtes, je le lui ai refusé… » On peut rapprocher ce passage d’un autre qui se lit dans une lettre par lui écrite à la même Mme de Grammont au lendemain des scènes ensanglantées de Blois (1er janvier 1589) : « … Je n’attends que l’heure de ouïr dire que l’on aura envoyé étrangler la feue reine de Navarre. […] Les lettres de ce temps que Henri adresse à M. de Saint-Geniez, son lieutenant général en Béarn et l’un de ses meilleurs serviteurs, montrent à quel point il commence à s’occuper sérieusement de ses affaires, et, à cet âge de trente-trois ans où il est arrivé, à devenir tout à fait l’homme de conseil et de maturité qu’il sera depuis : « N’accomparez plus les actions de feu Monsieur (le duc d’Alençon) aux miennes ; si jamais je me fiai en Dieu, je le fais à cette heure ; si jamais j’eus les yeux ouverts pour ma conservation, je les y ai. […] Il y avait en lui du bon mari, qui aimait à ses heures le coin du feu.

276. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

quel feu dans ce regard ! […] Santeul, qui se flattait avec raison d’être tout de feu et qui mettait la poésie dans la verve, ne tarissait pas quand il parlait des vers exsangues de du Périer, qui usait ses ouvrages à force de les polir, et qui s’y consumait lui-même : Fecerat exsuccum labor improbus arsque poetam, Dum probat et damnat, dumque retractat opus. […] Le Tourneux, qui vise à réformer en lui le cœur, est attentif à poursuivre en lui ce déguisement nouveau de l’amour-propreb : « Considérez, lui écrit-il, mon cher frère, qu’on peut bien, dans l’Église visible et militante, chanter et composer les louanges de Dieu avec un cœur impur et des lèvres souillées, mais qu’on ne chantera pas les louanges de Dieu dans le ciel avec un cœur impur et des lèvres souillées… Vous avez donné de l’encens dans vos vers, mais c’était un feu étranger qui était dans l’encensoir.

277. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

On est entre deux feux. […] Ses premières œuvres, ses Odes (1550) sont remplies d’un feu de tête qui se ressent de la vie renfermée et de l’espèce de serre chaude où il s’était nourri. […] Il l’assouplit en effet, et dans les nouvelles Amours qu’il ajouta aux premières, dans les odes ou chansons qu’il y entremêla aux sonnets, il eut des notes où le feu, la verve et la facilité se font encore aujourd’hui sentir : « Quand j’étois libre, ains qu’une amour nouvelle, etc. » ; « Or que l’hiver roidit la glace épaisse, etc. » ; « Quand ce beau printemps je voy, etc. » Il y a plaisir ici et profit à le parcourir ; on est vraiment avec un poète.

278. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Après l’apothéose, après les gémonies, Pour le vorace oubli marqués du même sceau, Multitudes sans voix, vains noms, races finies, Feuilles du noble chêne ou de l’humble arbrisseau ; Vous dont nul n’a connu les mornes agonies, Vous qui brûliez d’un feu sacré dès le berceau, Lâches, saints et héros, brutes, mâles génies, Ajoutés au fumier des siècles par monceau ; Ô lugubres troupeaux des morts, je vous envie, Si quand l’immense espace est en proie à la vie, Léguant votre misère à de vils héritiers, Vous goûtez à jamais, hôtes d’un noir mystère, L’irrévocable paix inconnue à la terre, Et si la grande nuit vous garde tout entiers ! […] Si midi, du ciel pur, verse sa lave blanche, Au travers des massifs il n’en laisse pleuvoir Que des éclats légers qui vont, de branche en branche, Fluides diamants que l’une à l’autre épanche, De leurs taches de feu semer le gazon noir. […] Pourtant qu’il était beau, tout ce couchant en feu !

/ 1984