En effet, au-delà de cette barrière de feu qu’on appelle la rampe du théâtre, et qui sépare le monde réel du monde idéal, créer et faire vivre, dans les conditions combinées de l’art et de la nature, des caractères, c’est-à-dire, et nous le répétons, des hommes ; dans ces hommes, dans ces caractères, jeter des passions qui développent ceux-ci et modifient ceux-là ; et enfin, du choc de ces caractères et de ces passions avec les grandes lois providentielles, faire sortir la vie humaine, c’est-à-dire des événements grands, petits, douloureux, comiques, terribles, qui contiennent pour le cœur ce plaisir qu’on appelle l’intérêt, et pour l’esprit cette leçon qu’on appelle la morale : tel est le but du drame. […] Cela dit, ou même simplement senti, le gentilhomme prend la chose au vif, décuple sa livrée, achète des chevaux, enrichit des femmes, ordonne des fêtes, paie des orgies, jette, donne, vend, achète, hypothèque, compromet, dévore, se livre aux usuriers et met le feu aux quatre coins de son bien.
Devant le foyer, suivante accroupie qui couvre le feu. […] Feu notre ami Greuze n’eût pas manqué de prendre l’instant précédent, celui où un père, une mère, envoient leur fille à son époux.
On peut dire que les guerres étrangeres qui commencerent alors en Italie par l’expedition de Charles VIII à Naples, ne tourmenterent pas la societé autant que la crainte perpetuelle d’être enlevé quand on alloit à la campagne, par les bandits du scélerat qui s’étoit établi, et comme on le disoit alors, qui s’étoit fait fort dans un château, ou l’appréhension de voir le feu mis à sa maison dans une émeute populaire. […] Le regne du feu roi, fut un temps de prosperité pour les arts et pour les lettres.
La nature de ce feu qui embrase J. […] Rousseau, dans le temps qu’il habitait le château de Montmorency, y jouait quelquefois, avec feu le prince de Conti, une partie d’échecs.
Même plus tard, quand les faits s’affermissent et se clarifient dans son récit, et prennent de ces certitudes qu’il n’est plus permis de discuter ; même au moment de ces merveilleux succès des Jésuites qui firent croire un jour à l’imagination européenne que la croix conquerrait l’Empire du Milieu, on s’enivrait trop d’une religieuse espérance… car trente-six mille chrétiens, au plus, sur trois cents millions d’âmes, n’étaient qu’une faible étincelle du feu qu’on croyait avoir allumé ! […] Cette petite question de l’opium qui doit planter le feu, un de ces matins, aux quatre coins de l’Asie, a dressé déjà la Chine sur ses pieds contrefaits et lui a fait porter avec terreur ses mains pointues à cette hermétique ceinture qu’elle avait trop imprudemment relâchée.
Il faut y courir comme au feu, car c’est le feu !
De l’organisation la plus heureuse, fait essentiellement pour les lettres, il y débuta en se jetant éperdument dans le feuilleton dramatique, alors florissant, et malgré tous les Mentors, — il en avait plusieurs, — qui craignaient les Eucharis du théâtre pour ce Télémaque en plein feu d’imagination et de jeunesse… La grande littérature du milieu du dix-neuvième siècle était morte ou allait mourir : Balzac et Stendhal n’étaient plus ; Gozlan vivait encore, mais les deux plus grands poètes du siècle, de Musset et Lamartine, étaient tombés, l’un des bras d’une indigne femme dans le désespoir enivré qui devait le tuer, l’autre dans la vie politique, qu’on pourrait appeler la mort littéraire, où il s’engloutit, la lyre à la main, comme Sapho, qu’il avait chantée, dans la mer ! […] Ses commentaires, ses explications, ses analyses, les entrouvrements qu’il pratique dans l’œuvre toujours un peu mystérieuse du génie et qui, à la distance où nous en sommes, est plus mystérieuse dans Eschyle que dans aucun autre, toutes ces choses d’un travail puissant et réfléchi, mais prosaïques, deviennent poétiques dans l’œuvre de Saint-Victor en s’y embrasant d’un feu de peinture qui ne cesse jamais et dont l’intensité, sous sa plume, est presque plastique… Comment donner ridée de cela ?